Chapitre 18
Il me regardait fixement. Je jouais littéralement ma vie sur son envie de connaître le fin mot de l’histoire. S’il en foutait ou même s’il ne me croyait pas, j’avais de grandes chances de mourir dans les deux cas. Mon regard dériva vers son pistolet, toujours braqué sur moi. Non, j’allais mourir. C’était certain.
- Alors ? s’impatienta t-il.
Je le regardai, me retenant de soupirer de soulagement. Au moins, il allait m’écouter. J’allais vivre encore un peu.
- Oui ! Euh… j’ai découvert une faille de sécurité dans la Castle Bank et le dossier m’a été retiré. Ce fut le point de départ de mon investigation et de ma mise sous surveillance. N’ayant pas réussi à rattraper le hackeur à ce moment-là, j’ai lancé un filet sur tout le réseau à la recherche d'une faille similaire.
Il hocha la tête, je pris soin de ne pas employer de jargon trop technique pour éviter de le perdre. Je n’avais pas envie qu’il s’énerve alors qu’une arme était pointée sur moi.
- Tu as trouvé le même genre de chose dans Conglomérat Energies. Je t’ai entendu quand tu en as parlé. Comment tu peux savoir que c’est lié ?
- Les hackeurs et les gens de mon domaine sont… On a un style, tu vois ce que je veux dire ? Une espèce de signature, une manière de faire particulière. Ce type était vraiment doué, j’ai reconnu sa patte.
- Et alors ? Tu l’as attrapé ? Qui c’est ? demanda-t-il.
- Le type a transféré une bonne moitié des réserves d’énergies de la ville avant de se retirer des systèmes.
- La moitié ? Comment ça peut passer inaperçu ? Et vers où ? Ce type construit des bombes à photons ou quoi ?!
- L’énergie a été transférée vers un dépôt de stockage nommé NY-PW-STG-OR. Dans ce genre de nomenclature les deux premières lettres désignent le lieu où se trouvent les entrepôts, à NY donc. En ville, tous les bâtiments publics ont une désignation numérique commençant par OR.
Il resta silencieux quelques secondes, je lui laissai le temps d’intégrer tout ça.
- Tu es en train de dire… quoi ? Qu’un entrepôt de stockage d’énergie existe tout spécialement à cet endroit, NY, pour accumuler l’électricité en provenance d’Oreley ?
- C’est tout à fait ce que je suis en train de dire. dis-je calmement.
- Mais c’est impossible. Quitter la ville ?! Pour aller où ? Il n’y a rien !
- J’ai aussi récupéré l’identifiant que le hacker avait utilisé. C’était NY-DGC-298.
- La Direction Générale du Conglomérat ? A ce NY ?
Je hochai la tête.
- Quand j’ai su ça j’ai demandé à mes parents où ils vivaient avant. Ils sont arrivés à Oreley pendant leurs études de médecine en 2110. Mais ils ont esquivé le sujet et m’ont interdit d’en reparler…
- Maintenant que tu le mentionnes, ma mère habite aussi en ville depuis 2110. Mais elle n’a jamais parlé d’un autre endroit.
- Je trouvais ça bizarre alors j’ai … obtenu certaines infos supplémentaires… en m’introduisant dans les bases de données sur les citoyens.
Il m’adressa un regard moqueur. Reconnaître avoir commis un crime en face d’un tueur à gage semblait l’amuser. Ou c’était le fait que je sois mal à l’aise qui l’amusait. Il me fit signe de continuer.
- Après avoir compilé une bonne partie des données des habitants j’ai remarqué une chose flagrante. La population se découpe entre les gens nés avant et après 2110. Ceux qui sont nés après ont des certificats de naissance et tout est bien enregistré tout bien comme il faut. Mais pour ceux nés avant… leur lieu de naissance est masqué. Sur toutes les fiches.
- Bizarre… Comme s’ils étaient nés ailleurs ? Mais d’où viennent-ils ?
- Associé à ça, on retrouve un numéro sur toutes les personnes. C’est bizarre, ça ressemble à un numéro de série. Ceux étant nés avant 2110 sont GEN-1, leurs enfants sont GEN-2, leurs petits-enfants GEN-3. Et ce n'est pas le numéro de sécurité sociale. C’est un… identifiant secret.
- GEN ? Génération ? Comme… pour du bétail ?
- Je peux te montrer si tu me laisses faire. J’ai copié quelques fiches.
Il hocha la tête lentement. Je soulevai mes doigts de la table où j’avais posé mes mains depuis de longues minutes. Presque toutes mes articulations craquèrent, la peur ayant crispé mes doigts. En quelques secondes, j’avais affiché les hologrammes de plusieurs fiches : les nôtres, celle de sa mère, un enfant et une mamie pour montrer les différentes classifications. Il avait légèrement tiqué en voyant la fiche de sa mère mais il s’était ensuite repris.
- Qu’est ce que c’est ça ? dit-il en désignant le bas d’une fiche où on voyait très légèrement du texte.
- C’est le plus important… répondis-je, énigmatique.
Je me dépêchai de refaire l’opération qui m’avait entraînée au plus près de la vérité jusqu’à présent. Je bidouillai le contraste des couleurs pour que la chaîne de caractères apparaissent clairement. Les caractères couvraient l’ensemble des fiches, comme une écriture invisible. Je me retins de parler, pariant ma vie sur le fait qu’il voudrait savoir et qu’il me croirait. C’était risqué.
- C’est sur toutes les fiches… murmura-t-il.
J’ouvris mon programme de déchiffrement dans une autre fenêtre et collais la longue chaîne de caractères à l’intérieur. Je le lançai et un nouveau message apparut, parfaitement lisible cette fois-ci.
Sujet faisant partie du projet OED78-V2 géré par un Comité de la Direction Générale du Conglomérat. Projet initié en 2078. Version 2 démarrée en 2110.
Les individus de première génération ont été créés à partir du génome des participants à l’étude OED78-V1. Tout descendant engendré dans le cadre du Projet OED78-V2 est propriété du Conglomérat.
Brevets déposés par Conglomérat Biologie, Conglomérat Énergie, Conglomérat Digital à l’Institut Mondial de la Propriété Intellectuelle, New York, Etats-Unis, planète Terre.
- Qu’est ce que c’est que ce bordel ?! s’exclama Keven.
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