Chapitre 2

6 minutes de lecture

La dépendance est géniale. Assez spacieuse, avec beaucoup de fenêtres. Il y a une demi-douzaine de pièces, dont une chambre qui est deux fois plus grande que celle que j’avais à Paris, une salle d’eau, une pièce à vivre qui fait à la fois salon et cuisine. J’entrepose ma guitare dans le salon ; je la traîne depuis cinq ans, mais je n’ai jamais pris le temps d’apprendre à en jouer.

Je suis en train de décorer à coup de posters, de cadres et de photos quand Périne vient frapper à la porte. J’ai l’impression d’être un gamin à noël quand je vais lui ouvrir.

— Je peux entrer ? demande-t-elle comme si elle n’était pas vraiment chez elle dans cette partie de la résidence.

Elle observe la façon dont j’ai agencé le couloir d’entrée et la pièce à vivre en silence. Au bout d’un moment, je ne tiens plus et lui demande son avis.

— C’est très ordonné, se contente-t-elle de dire.

Je lève les yeux au ciel. Il est possible que j’ai développé au cours de nos pérégrinations à travers le pays quelques tocs. Comme ce besoin incessant de toujours retrouver mes affaires à leur place. Les cadres sont disposés parallèlement sur la commode, les affiches de concerts et de films sont collées à égale distance les unes des autres sur les murs, et je sais que mes crayons gris sont disposés de manière presque millimétrée sur mon bureau.

Mais maman ne s’arrête pas là. Elle loue la façon dont je décore et m’approprie les lieux, et elle m’explique que Nicole vient de partir pour voir à quoi ressemble le fleuriste dont j’ai trouvé l’adresse ce matin. Il est juste à quelques rues de chez nous, alors je me sens chanceux.

— Tu vas quand même nous rendre visite, hein ?

Maman dit ça sur le ton de la rigolade, mais je sais qu’au fond elle s’inquiète un peu. Je suis conscient que, dans sa tête, elle s’est déjà montée des histoires où je quitte le cocon familiale sans un regard en arrière. Elle est un brin excessive quand elle s’inquiète.

— Bien sûr. Je peux venir dîner à la maison ce soir si tu veux.

On rit tous les deux. Elle pose doucement la main sur ma joue avec ce regard que ne peuvent avoir que les parents. Elle finit par me laisser, et je reprends mon activité avant de sortir dans le jardin pour inspecter les parterres de fleurs.

Y a pas à dire, les anciens proprios n’avaient pas la main verte. Toutes les plantes sont fanées, et la pelouse est parcourue de mauvaises herbes. C’est pas le genre de travail que je vais pouvoir boucler en quelques jours.

C’est pas plus mal, j’aurais au moins une occupation en attendant de prendre mes marques.

Peu de temps après que j’ai sortis tout le matériel de jardinage, Nicole me rejoint dans le jardin avec un vase rempli de roses rouges.

— Pour chez toi, dit-elle, je les ai acheté chez le fleuriste.

J’adore les roses, ce sont mes fleurs préférées. Emma a toujours dit que c’était un cliché, mais je m’en fiche. Ma meilleure-amie est du genre à sortir du lot. Si quelqu’un disait qu’il aime le bleu, alors elle aime le rose. Le jour où une fille a débarqué avec les mêmes converses qu’elle, elle avait colorié ses chaussures au marqueur avant la fin de la première heure.

Je prends une photo du bouquet de fleurs pour la lui envoyer, puis je l’attrape et je vais lui trouver une place dans la dépendance.

— D’ailleurs, dit ma mère en me suivant à l’intérieur, tu devineras jamais qui est le fleuriste.

Je lui lance un regard en haussant les sourcils.

— C’est le voisin d’à côté.

— Celui qui a trois palmiers sur le jardin de devant où celui qui a pas encore enlevé ses décos de Noël ?

— Monsieur Palmier. Quand je lui ai dis que tu aimais jardiner, il a proposé de passer demain pour te donner quelques conseils. Il avait l’air plutôt content que quelqu’un s’occupe de ce pauvre jardin.

Tu m’étonnes !

— Ce serait cool, dis-je en posant le vase sur la table à manger.

— Sinon, ta mère et moi on va se présenter à son épouse. Tu devrais venir, ils ont une fille. Elle a à peu près le même âge que toi, elle pourrait être ta première amie.

Je suis pas vraiment étonné que mes mères soient à l’initiative de la première personne que je vais rencontrer ici. Comme mon pantalon est plein de terre, je lui dis que je vais me changer et que je les rejoins tout de suite.

Lorsque je fais face à mon dressing, j’ai un doute. Comment je dois m’habiller pour faire bonne impression ? J’hésite entre quelques tenues différentes avant de choisir des vêtements lambda. Autant être le plus naturel possible.

Les voisins de gauche n’ont pas que des palmiers. Leur jardin est une féerie de couleurs. Mes mères se moquent de moi et de mes yeux exorbités. Tout à coup, j’ai hâte d’être demain et de jardiner avec M. Palmier. Avoir un fleuriste comme voisin semble être une vraie aubaine. On monte le perron et Nicole appuie sur la sonnette. C’est une femme blonde qui porte des lunettes à monture blanche qui nous ouvre.

— Bonjour, dit maman, nous venons d’emménager dans la maison d’à côté et nous voulions venir nous présenter.

Périne à une voix de dingue, il est impossible, quoiqu’elle dise, de s’offusquer tellement elle est polie.

— Oui, dit la femme, Eugène m’a prévenu que vous viendriez, entrez !

Elle s’efface pour nous laisser passer avec un grand sourire. J’ai l’impression que ces voisins ne vont pas nous poser de problème. À moins que les choses ne se passent pas bien avec leur fille, l’entente entre nos deux maisons devrait être tout à fait cordiale.

— Je m’appelle Karen. Suivez-moi, j’allais me servir du thé, vous en voulez ?

Elle n’arrête pas de sourire, c’est presque un peu excessif. Mes mamans acceptent volontiers, mais moi non. En général, les gens me regardent bizarrement quand ils voient la dose de sucre que je mets dans le thé.

— Évangelista, les voisins sont là, tu viens te présenter ?

Comment l’a-t-elle appelé ? J’essaye de répéter son prénom dans ma tête, mais je ne suis pas sûr de l’avoir bien compris. Pourtant, il sonnait joliment.

La fille dévale les escaliers. J’entends le bruit de ses chaussures sur le parquet du couloir quand elle apparaît dans l’encadrement de la porte, et mon regard se fige sur elle.

— Bonjour, dit-elle d’une voix musicale.

De longues boucles blondes qui lui tombent dans le dos, elle a un visage aux traits doux et des lèvres pleines, naturellement roses, sans aucune trace de maquillage. Mon attention se dirige vers son haut blanc qui dévoile ses bras terminés par des mains gracieuses aux longs doigts de pianiste.

Je la regarde si longtemps qu’elle finit par détourner les yeux, gênée. Je me reprends aussitôt, et essaye de rectifier le tir.

— Salut, je m’appelle Joshua.

Je lui tends une main timide, qu’elle serre avec un petit sourire. Mes mamans échangent un regard complice qui fait s’embraser mes joues.

— Eugène avait l’air très excité d’avoir un jeune voisin qui aime jardiner, dit Karen comme si elle était inconsciente de notre embarras. Nos anciens voisins n’étaient pas vraiment portés sur les fleurs.

Périne répond quelque chose qui fait rire tout le monde. Je me contente de sourire en évitant de regarder la jeune fille. On reste silencieux tous les deux. Karen verse l’eau chaude dans les trois tasses, et un fumet au parfum agréable s’en échappe.

— Évangelista, tu veux aller montrer à Joshua les roses dans le jardin arrière ?

En entendant mon nom, je relève la tête. Tout le monde me regarde. Je me précipite derrière la fille en essayant de me rappeler de son nom. Mais ça ne rentre pas.

— Excuse-moi, dis-je alors qu’on passe par une porte-fenêtre similaire à la notre pour aller dehors. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris ton nom.

Elle rigole, et je me rends compte que je me mets de la pression tout seul. Aussitôt que je me fais cette réflexion, je commence à me sentir plus à l’aise.

— Évangelista. Mais mes parents sont les seuls à m’appeler comme ça. Tu peux m’appeler Lista, comme mes amis.

— OK, ça marche.

On échange un sourire complice, et elle désigne le côté droit du jardin.

— Les roses sont par-là.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Sullian Loussouarn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0