Je ne fais aucun effort pour m’habiller. Un sweat à capuche et un jean. J’ai acheté un pack de bières, juste histoire de ne pas arriver les mains vides. Mes mères m’ont regardé faire en haussant les sourcils, parce-qu’elles savent que j’ai jamais aimé l’alcool.

— C’est une soirée, ai-je dis. Ils vont tous boire.

— Rappelle-moi le pourcentage de personnes majeurs qui viendront, a fait Nicole.

— T’es psy, pas flic.

Ça lui a suffit. Mes mères ont toujours été cools à ce sujet.

Le jour de mon seizième anniversaire elles m’ont fait goûter l’alcool le plus dégueu qu’elles connaissaient, histoire de me dégoûter un maximum. Quand j’allais à des fêtes, elles me lançaient l’habituel « pas d’alcool », même si au fond elles me faisaient entièrement confiance.

De manière générale, je sirote un même gobelet pendant trois heures, et j’évite de me resservir.

J’attends dans le salon de la maison, pour guetter à la fenêtre l’arrivée de la voiture censée nous emmener, Lista et moi, chez Jérémy. La pièce est décorée avec goût, mais mes mères n’ont toujours pas trouvé comment occuper tout l’espace. Il y a un grand vide entre le canapé en cuir et la table, et le tapis au milieu semble bien seule.

La nuit n’est pas encore tombée lorsqu’une voiture s’arrête devant la maison des Estella. C’est le moment pour moi d’y aller.

Juste avant de traverser la haie, je la vois me lancer un regard perçant, et ses lèvres bouger, me disant de ne plus avancer. Un regard discret m’apprend que ses parents la regardent partir. Elle ouvre la portière et entre dans la voiture, qui me passe devant pour s’arrêter de nouveau hors de la portée du regard d’Eugène et Karen.

— Chouette, merci pour le cadeau, lance Charlie, sur le siège passager avant, quand je lui passe le pack de bières.

— Donc, tes parents t’empêcheraient d’aller à une soirée s’ils savaient que j’y vais aussi ?

Je boucle ma ceinture tandis qu’un type que je ne connais pas appuie sur l’accélérateur. À côté de moi, Lista lève les yeux au plafond.

— J’en peux plus, dit-elle. Ils croient que je vais à une soirée pyjama. J’aime pas leur mentir, mais si je les écoutais je ne pourrais jamais rien faire.

— Oublie et profite de la soirée, se contente de dire Charlie.

Lista me demande mon avis du regard et je hausse les épaules avec un sourire complice. Le sien ne tarde pas à fleurir sur ses lèvres.

À côté d’elle, je me sens un peu négligé. Sa robe argentée la met en valeur tout en restant habillée et élégante. Elle a un très d’eye-liner violet très fin autour des yeux, et un peu de rouge sur les lèvres. Lista ne se maquille jamais beaucoup, et elle n’en a pas besoin. Elle a bouclé ses cheveux et, le temps que la voiture s’arrête devant la maison de Jérémy, j’ai le temps de humer son parfum florale.

— Jérémy habite loin ?

Je pose la question en espérant que la réponse soit négative. Une fois que tous les conducteurs auront trop bu pour reprendre le volant, je n’ai pas envie de devoir rester sur place plus longtemps que nécessaire. En général vers trois heures du matin plus personne ne réussit à tenir une conversation cohérente.

— Cinq minutes en voiture et une demi-heure à pieds, répond Lista comme un ressort.

À son regard, je devine qu’elle a déjà vécu cette situation.

Quand on arrive devant la grande maison où doit se passer la soirée, une dizaine d’autres voitures sont déjà garées. On entend la musique à deux rues de distance. Je sors et claque la portière, mais ne bouge pas tout de suite.

— Tu viens ?

Lista marche à reculons à travers le jardin, attendant que je la suive.

C’est une soirée, je viens pour faire la fête. Une fois que je mets mon cerveau sur pause, je suis ma première amie et on entre ensemble dans la maison.