Le reste de la journée, je suis un peu plus serein. Je pense beaucoup à Lista, mais je résiste plus facilement à l’envie de la bombarder de textos. Le soir arrive, et je vais me coucher. Je me lève tôt le matin pour partir courir, en me souvenant de la proposition de ma voisine de l’accompagner faire son footing avant d’aller se coucher.

Je suis en avance lorsque je sors de la douche. Je fouille dans mon frigo et dans les placards, mais il n’y a rien à manger. Je devrais aller faire des courses sans compter sur mes parents, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que si je bourre l’indépendance de gâteaux je vais passer mes journées à grignoter.

Je passe en skate devant la maison de Lista, et m’arrête au coin de la rue pour l’attendre. Cinq minutes plus tard, elle me rejoint, hors de la vue de ses parents.

— Tu en as marre de marcher ?

Elle hausse des sourcils amusés en désignant la planche à roulettes. Je souris, content de la voir de bonne humeur.

— Fallait bien que je la sorte un peu.

On rejoint tous les deux l’abri de bus et on attend que le car arrive. Je m’assois à peu près au milieu quand Lista se glisse à côté de moi. Cette nuit, je me demandais comment elle allait réagir face à Jérémy. Apparemment, elle a décidé de l’éviter.

Quand c’est au tour du garçon de monter dans le car, il lui passe devant d’un air coupable, mais elle ne le voit pas car elle détourne les yeux. Je pense qu’il va essayer de lui parler pendant les cours. Il a l’air de vouloir s’excuser.

Je garde mes soupçons pour moi, parce que j’ai pas envie d’aborder le sujet et de pourrir l’ambiance. Quand on sort, on rejoint tous les deux les couloirs du lycée en parlant des horaires pour aller courir. Elle a l’air réjouie par cette idée, mais en même temps son regard part dans tous les sens. Elle sait que dans pas longtemps tout le monde sera au courant qu’elle s’est disputé avec Jérémy, et ils ne parleront plus que de ça.

Quand la sonnerie retentit, on se sépare et je la regarde partir avec la boule au ventre. J’espère que tout va bien se passer pour elle.

Je passe tout le premier cours à regarder par la fenêtre en m’interrogeant sur ce que peut faire Lista. Je suis sûr que Jérémy a déjà profité d’être dans la même classe qu’elle pour aller lui parler. Quand on change de salle, je ne la croise pas, et je garde les yeux rivés sur mon portable, au cas où elle voudrait m’envoyer un message.

La mâtinée passe. Parfois, je jette des coups d’œil à Charlie et les garçons, mais ils ne me regardent pas, ce qui me fait penser que je ne suis pas le sujet de leurs bavardages. Ça ma rassure un peu, parce que même si j’ai promis à Lista de l’aider, j’ai pas envie de me mettre tous les potes de Jérémy à dos dès le début de l’année.

Quand vient l’heure de manger, j’ai presque mis de côté tous mes doutes, et je suis plutôt confiant quand je sors de cours.

Du moins, jusqu’à ce que je remarque Audra, qui m’attend à côté de la porte. Elle me rejoint et cale son allure à la mienne.

— C’est vrai, ce qu’on raconte ?

Elle va droit au but. J’ai beau avoir une petite idée de ce qu’elle veut dire, je fais genre de ne pas être sûr.

— Sur quoi ?

— Sur Lista. Jérémy et elle ont cassé ?

Je pince les lèvres, sans répondre. Audra pousse un profond soupir.

— C’est mieux ainsi.

— Pourquoi tu dis ça ? Fais-je en lui jetant un coup d’œil surpris.

On arrive presque à la cafèt. Je me demande si je ne dois pas attendre Lista. Est-ce qu’elle va manger toute seule ? Je ne voudrais surtout pas ça.

— Tu sais ce qui s’est passé avec Déborah ?

— L’histoire avec son ex ?

— C’est ça. L’ex, c’est Jérémy.

Je pile net, et les gens derrière nous font un grand écart pour ne pas me rentrer dedans.

— Lista et nous, on était amies, avant, explique Audra. Mais quand Jérémy a lancé ces rumeurs sur Déborah, elle ne l’a pas beaucoup défendu. Après ils ont commencé à sortir ensemble, et notre amitié est carrément parti en l’air.

Je baisse les yeux, mesurant l’importance de cette révélation. Si j’avais des doutes sur Jérémy, je comprends maintenant que c’est un véritable connard. Mais pour ce qui est de Lista, je suis plus étonné. Audra me dit qu’elle n’a pas défendu Déborah, et puis elle est sorti avec lui ensuite. De mauvaises langues diraient qu’elle a cherché ce qui lui arrive.

J’ai envie de me mettre une gifle, rien que pour avoir pensé ça. Elle ne mérite pas que Jérémy l’envoi voir ailleurs comme ça. Et puis, après avoir déjà vu ce qui est arrivé à Déborah, elle avait d’autant plus de raisons de ne pas vouloir coucher avec lui…

Je commence à rire tout seul. Tout ça parce que ce type voulait coucher. Toutes ces histoires à cause des pulsions sexuelles d’un mec qui a à peine la majorité.

— Tu viens manger avec nous ? Finit par proposer Audra.

On arrive devant les portes de la cafèt. De loin, j’aperçois les cheveux blonds de Lista. Je m’apprête à refuser au moment où je vois qu’elle est assise à côté de Jérémy. Elle sourit.

Non, elle rit.

— Joshua, ça va ?

Je sens la colère monter en moi. Je me disais bien que Lista lui pardonnerait si il venait s’excuser, mais je m’attendais pas à ce qu’elle le fasse aussi vite.

Je secoue la tête, refusant la proposition d’Audra.

— Non, vas-y, moi j’ai plus faim.

Je passe ma pause déjeuner à discuter avec Emma. Je lui raconte ce qui s’est passé ce week-end, et tout ce que je viens d’apprendre. En général, elle est de bons conseils. Dans notre lycée, à Paris, c’était toujours elle qu’on venait voir pour régler les problèmes, parce-qu’elle a toujours le bon compromis. Mais là, elle semble à court de mots.

Faut dire qu’à Paris, on s’est jamais retrouvé mêlés à des histoires de harcèlement et de sexe, du moins pas directement.

— Tu penses qu’elle a changé d’avis ? À propos de coucher avec son copain ?

— Non. Elle a pas changé d’avis.

C’est au moins une chose dont je suis sûr. Quand Lista m’en a parlé, elle a évoqué sa foi. Pour elle, le meilleure scénario serait d’attendre jusqu’au mariage. Dans le pire des cas, elle voudrait le faire avec quelqu’un avec qui elle sort depuis plus longtemps que quelques mois. Jérémy correspond à aucun des profils.

Du moins, c’est ce dont j’essaie de me convaincre.