Chapitre 18
Mme Pacat rentre une heure après, avec Luke et un garçon asiatique de quatorze ans, appelé David. Ils courent tous les deux dans la cuisine, et Mme Pacat leur crie de ne pas manger trop de cookies. Après quoi, on va dans le salon pour retrouver Ginny.
— Tu as passé une bonne journée ? Demande-t-elle d’une voix douce à l’enfant.
Ginny hoche la tête et lui fait signe de se baisser, pour lui murmurer des mots à l’oreille. Le visage de Mme Pacat se fend d’un grand sourire tandis que la jeune fille sort du salon.
— Elle t’aime bien, me dit sa tutrice en s’asseyant dans le fauteuil. Et elle trouve que tu lis bien.
Je ne peux pas m’empêcher de rigoler, pas peu fier de moi. J’étais si stressé en arrivant, et au final ça ne s’est pas si mal passé.
— Je vais appeler ma mère pour qu’elle vienne me chercher, dis-je en sortant mon téléphone.
Elle hoche la tête quand je m’éloigne, mais je m’arrête juste une seconde :
— Madame Pacat…
— Appelle-moi Sabine.
— D’accord. Flynn est rentré tout à l’heure, il doit être dans sa chambre.
Je vois son visage se crisper l’espace d’une courte seconde, même s’il y a toujours de la douceur dans son regard.
— Il ne t’a pas posé de problème ? s’inquiète-t-elle.
Je secoue la tête. Il aurait dû ?
— Non, mais je crois qu’il a mal pris que je sois là. Je crois qu’il a l’habitude de s’occuper de Ginny ?
Sabine se mord l’intérieur de la joue, un tic que nous avons en commun, apparemment.
— Oui, mais après la dernière fois… (Elle s’interrompt, et donne un sourire peu convaincant.) Disons que j’ai émis des craintes quand j’ai parlé à ta mère. Je préférerai que quelqu’un d’autre surveille Ginny quand mon mari et moi ne sommes pas là.
Je hoche la tête, comprenant le message sous-jacent. Je suis là pour du baby-sitting, pas pour écouter les problèmes des enfants que les Pacat gardent. C’est ma mère la psy, pas moi.
— Tu pourrais la garder de nouveau, tu penses ?
— Bien sûr, avec plaisir.
Sabine sourit, l’air rassuré, et rejoint les garçons dans la cuisine pour surveiller leur consommation de cookies. Ils vont bientôt passer à table.
— Tu as fini ? Me demande maman quand je l’appelle.
— Oui, mada… Sabine est rentrée.
— Ça marche, je viens tout de suite.
Je préviens Sabine et Ginny que Nicole vient me chercher, et je vais chercher mon manteau, que j’ai laissé dans le jardin. Je sors de la galerie pour le prendre sur le dossier d’une chaise de jardin, et alors que je retourne à l’intérieur, quelque chose tombe sur mon épaule.
Je baisse les yeux et d’un geste chasse les traces de… cendre ?
Je lève les yeux sur Flynn, adossé au balcon, juste au dessus de moi, une cigarette à la main.
— Désolé, dit-il d’une voix pas désolée du tout.
Je retiens le « connard » qui frappe à mes lèvres, et reviens à l’intérieur. Ma mère ne tarde pas à venir frapper à la porte.
— Tiens, me dit Sabine en me tendant un billet de cinq euros. Je sais que c’est pas beaucoup mais…
— C’est largement suffisant, je la coupe en acceptant le billet.
Maman m’a prévenu qu’avec quatre enfants à charge et toutes leurs activités, ils ne croulaient pas sur l’argent. Avec mes mères, j’ai tout l’argent que je veux, alors je suis tenté de refuser et de lui laisser son billet, mais je sens qu’elle le prendrait mal.
Elle m’accompagne à la porte et me remercie de nouveau, en me promettant de m’appeler directement sur mon portable si elle en avait besoin.
On rentre rapidement à la maison, et je fonce dans la dépendance pour troquer mon jean contre mon short de sport et récupérer le ballon de basket. Moi qui m’imaginais devoir courir partout dans la maison pour ne pas perdre Ginny des yeux, je me suis retrouvé à surveiller une petite fille particulièrement calme et autonome. Ce soir, j’ai un trop plein d’énergie qu’il faut que j’expulse de mes veines.
Je viens d’enchaîner trois paniers parfaits lorsqu’une voix masculine s’exclame derrière moi :
— Wouah, bien joué mec !
Je me retourne. Lista et Jérémy sont sur le trottoir devant la maison. Ils se tiennent la main, et je m’oblige à garder les yeux rivés sur leurs yeux.
— Je peux essayer ? Demande le garçon.
S’il était désagréable, les choses seraient plus faciles. Mais Jérémy est trop gentil, trop poli, trop tout ce qu’il faut. Je lui lance le ballon, qu’il rattrape aisément. Ça a au moins le mérite de les faire lâcher leurs mains.
Jérémy s’avance dans le jardin tandis que je rejoins Lista. Il lève les bras et lance la balle avec un mouvement du poignet presque professionnel. Panier parfait, évidemment.
— Génial ! Me forcé-je à commenter.
Jérémy revient vers nous avec un sourire satisfait.
— Comme ça tu fais du baby-sitting ? Demande-t-il d’un air amusé.
Flynn n’a pas mit longtemps à faire circuler l’info. Heureusement que c’est pas quelque chose dont je peux avoir honte.
— Euh… ouais, j’ai du temps à perdre, réponds-je en récupérant ma balle.
— C’est pas trop ennuyeux ?
— Moi je trouve ça formidable, intervient Lista.
Elle me sourit, et je ne peux pas m’empêcher de lui répondre, les joues rouges. Puis je baisse précipitamment les yeux en espérant que son petit-ami ne remarque pas mon regard équivoque.
Jérémy reprend la main de Lista, et ils s’avancent vers sa maison, avant qu’il ne se retourne :
— Au fait, dit-il, il y a une soirée tout à l’heure, chez Charlie. Tu veux venir ?
Une seconde, je pèse le pour et le contre, avant de me dire que j’ai dix-huit ans, qu’il y a pas école demain, et que j’ai aucune raison de refuser.
— Ouais, pas de soucis. Mais je sais pas où il habite…
— Tu peux nous emmener, Lista et moi, comme ça on te montre la route.
J’ai la sensation, tout au fond, qu’il est juste en train de me prendre pour un taxi.
— Ça marche.
Lista et lui me sourient tous les deux, avant de remonter l’allée vers la maison voisine. Quand la porte s’ouvre, je m’approche de la haie, par curiosité. J’entends la voix du père du Lista :
— Ah, Jérémy, content de te voir, fiston.
— Moi aussi Eugène.
Jérémy l’appelle par son prénom. Et lui, M. Estella est content de le voir. Je me rends bien compte qu’il a tout pour lui. Moi, tout ce que j’ai c’est l’amitié de Lista.
La première fois que j’ai vraiment l’impression de bien aimer une fille, il faut qu’elle me soit inaccessible. Sérieux, ça ferait un bon pitch de film à l’eau de rose.
Je retourne à mes paniers en m’efforçant d’être le moins inactif possible. Comme ça ne marche pas, je décide d’aller courir un peu autour du quartier. J’ai beau tout faire pour me fatiguer, j’ai l’impression d’avoir ingéré des tonnes de sucre.
Après avoir pris ma douche, je vais prévenir mes parents que je vais à cette soirée. Elles ne mouftent pas, et encore une fois, je me rends compte de la confiance qu’elles ont en moi. Je mange sur le pouce et, vers 21 heures 30, Lista m’envoie un texto pour me dire que Jérémy et elle vont bientôt arriver.
Ma seule réaction, c’est de me demander si son mec est resté dîner avec ses parents et elle.
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