Le reste de la semaine, Lista me paraît plus posée, et moins sur les nerfs. Elle a toujours l’air de bonne humeur et heureuse de base, mais les quelques fois où nous nous retrouvons pour discuter juste tous les deux, je sens dans ses aveux que les choses vont mieux pour elle.

Même si son père est toujours aussi irritable, inexplicablement.

Le mardi, à l’heure du déjeuner, Déborah vient me voir pour me remercier. J’essaie d’expliquer que Lista est la seule à avoir pris la décision d’aller s’excuser, mais elle insiste. Elle me parle de Alice, et me confie que son amie à très hâte de me retrouver à la fête foraine de ce week-end. Je me rends compte que j’ai pas eu besoin de feindre le sourire quand on s’éloigne l’un de l’autre. Moi aussi, j’ai hâte de revoir Alice.

Les jours suivants, c’est dans cette perspective que j’avance. Ça m’empêche de penser à Lista, et au fait que je ne pourrais jamais sortir avec elle. J’ai presque l’impression de trouver Jérémy sympathique, comme aux premiers jours de notre rencontre.

Pendant une heure de libre au milieu du jeudi, je fais du skate avec Charlie sur le parking, tandis que quelques(uns de nos amis sont assis sur une camionnette à plateau qui appartient à Antoine, le seul avec moi à avoir le permis et l’âge de conduire. J’enchaîne les figures, en apprends quelques-unes à Charlie, qui m’en montre d’autres en retour.

Je me sens vraiment bien, à ce moment précis, parce que j’ai vraiment l’impression de m’être fait une place dans cette nouvelle ville. Je me suis même demandé si c’était intéressant d’aller dans une université de la région pour rester avec tout ce monde. Où alors je pourrais aller à Paris, pour retrouver Emma.

La sonnerie finit par mettre fin à ce moment de détente, et tout le monde se dirige vers le bâtiment. Je prends du retard en échangeant quelques cahiers laissés dans le coffre de ma voiture, faute d’avoir un casier à l’intérieur du lycée. En faisant marche arrière, je passe devant une voiture et reconnaît la voix de Flynn.

Il reste bien la personne avec qui je garde le plus de distance, même si ces derniers jours, notre relation est un peu plus cordiale. Je ne sais pas ce qui me pousse à tendre l’oreille, et à ralentir en passant de l’autre côté la Porsche rutilante. Mon instinct me dit que ce n’est pas sans rapport avec ce que j’ai pu entendre dire Lista.

— Tiens, mais tu devrais vraiment limiter ta consommation. Je peux pas te fournir aussi souvent.

— T’occupe. Tant que je paye…

— Y a pas que ça, mec. Je m’inquiète pour toi.

Un ricanement désagréable répond à la voix qui m’est inconnue.

— Je te dis que je te paye pour ça. Tu devrais t’en foutre du reste.

— Mais je m’en fous pas. Je sais que tous tes potes croient que je suis un connard sous prétexte que je suis ton dealer, mais je suis pas insensible…

— Insensible tu parles, tout ce qui t’intéresse c’est que je suis ton meilleur client…

Mon skate cogne contre la carrosserie de la voiture, et les voix s’interrompent brusquement.

Le plus silencieusement possible, j’essaie de rejoindre le bâtiment où mon prochain cours a lieu. Je monte les escaliers quand Flynn me rejoint et me plaque brutalement contre le mur, le bras en travers de la gorge.

— Qu’est-ce que tu foutais à nous écouter ?

J’étouffe un peu, mais il a l’air tellement furieux qu’il ne s’en rend pas compte.

— Rien, je…

— Je sais pas ce que t’a entendu, mais t’as intérêt à la fermer, c’est clair ?

— À… à qui tu veux que je le dise ?

Il me relâche, et je prends une grande inspiration en portant la main à ma gorge.

— Tous ceux qui ne sont pas au courant s’en fichent, réussis-je à dire.

— Qui sont au courant ?

Flynn ouvre les yeux comme s’il était terrifié à l’idée que son petit secret soit divulgué.

— Jérémy, Lista, Antoine… Tout le monde sait que tu fumes avec ce mec, Noah. Pas que…

— Pas que des clopes ?

J’ai l’impression de voir un sourire rassuré sur son visage.

— Tu parles du fait que je fume derrière le gymnase ? (Il a vraiment l’air amusé.) Je suis pas le seul, et c’est pas vraiment…

— Alors c’est pire que ça ? Qu’est-ce que tu peux acheter à ce type que tu ais si peur que les autres apprennent.

Son sourire disparaît. Il revient vers moi d’un air menaçant.

— Tu devrais vraiment faire gaffe à ce que tu dis. Pose pas de questions et arrête de m’espionner.

Sans dire un mot de plus, il me plante dans les escaliers.

Je prends quelques minutes pour me remettre de mes émotions, et faire le trie dans mes pensées. J’ai l’impression que tout ça cache un truc plus gros que je peux l’imaginer, mais en même temps Flynn a raison, ce ne sont pas mes affaires.

J’ai presque l’impression d’entendre la voix de Nicole dans ma tête. C’est pas parce que tu n’es pas son ami que tu ne dois pas t’inquiéter pour lui.

Peut-être que si. Peut-être que justement je ne dois pas m’inquiéter. Après tout, il a l’air de gérer. Il cache un secret inavouable derrière une petite excuse. Mais qu’est-ce qui pourrait être pire que fumer des substances diverses en cachette ?

Quand je rejoins ma salle de classe, je m’excuse devant le professeur en espérant qu’il ne m’envoie pas chercher un billet de retard. Heureusement, notre prof de littérature m’a à la bonne, et elle me laisse m’asseoir à mon bureau avec une excuse banale.

La fenêtre donne directement sur le parking, mais je ne peux pas voir de l’autre côté de la Porsche. Si Flynn a rejoint Noah, je ne les vois pas. Sans doute se montreront-ils beaucoup plus prudents à partir de maintenant. Au mieux, Noah décidera d’arrêter de vendre son truc à Flynn, peu importe ce que c’est.

J’y crois pas trop, cependant. J’ai bien entendu ce que Flynn lui a dit : il est son meilleur client.