Chapitre 27
Le lendemain matin, j’attends que Lista me rejoigne dans la voiture la tête pleine d’appréhension. Je n’arrête pas de penser à la veille. Pas au baiser, ni à la course du retour, mais au moment où je me suis couché.
C’est la première fois que je me suis masturbé en pensant à Lista. C’était excitant, et terrifiant. J’avais la sensation de faire quelque chose de mal, de presque dégradant, ce qui est étrange car la seule différence entre les autres filles et elle, ce sont les sentiments que j’ai.
Pourtant, malgré mon mal-aise, je n’arrivais pas à m’empêcher de penser à notre baiser. Au goût de ses lèvres, à leur douceur, à ce contact si intime. J’avais des picotements dans le dos qui ne cessaient pas, et qui n’ont disparu qu’après avoir assouvi ce désir brusque. Je ne pense pas me branler plus que n’importe quel adolescent, et je ne sais pas quel était vraiment la différence, mais je n’ai jamais eu autant de plaisir en me touchant que cette nuit.
Alors ce matin, quand je repense à ce que j’ai fais, j’ai l’impression que je ne pourrais plus jamais poser ma main sur elle, jamais la toucher, sans me souvenir qu’elle m’a procuré plus de plaisir qu’aucun autre de mes fantasmes, et sans rien faire si ce n’est m’embrasser l’espace d’un instant.
Nous échangeons un regard gêné, et aucun de nous n’a vraiment l’air de vouloir parler. Elle se mord la lèvre inférieur en évitant mon regard, et je me mords l’intérieur des joues en fuyant le sien. Elle s’assoit sur la banquette arrière, et reste silencieuse au moment où Jérémy entre dans la voiture.
Dès que je le vois, les dernières heures défilent dans ma tête et je regrette déjà notre baiser.
Je n’arrête pas de me dire que les choses sont injustes. Elle a des sentiments pour moi, elle n’est pas certaine d’avoir pardonné à Jérémy, et on est bien tous les deux. Sinon, notre discussion n’aurait pas dérivé de cette façon. Alors pourquoi cela devrait-il être aussi compliqué ?
Parce-que je ne connais Lista que depuis un mois. Et elle, elle sort avec Jérémy depuis longtemps. Pourquoi devrait-elle abandonner une valeur presque sûre pour moi ? Cela demande du courage au mieux, mais peut-être, et surtout, de la bêtise.
Le pire dans cette situation, c’est que je la comprends totalement. Je comprends ses doutes, ses appréhensions. Mais je lui en veux aussi de m’avoir fait comprendre que mes sentiments sont réciproques, avant de me retirer tout espoir. Elle aurait dû refuser mon baiser, me repousser.
La voiture garée, on sort tous les trois, et je rejoins le groupe de Audra et Déborah, juste pour ne pas me trouver à proximité de Lista.
— Ça va ? Me demande Audra.
— Oui, ça va
Sur ce mensonge débute une semaine lourde et terrible. Lista et moi évitons tout contact, sans pour autant arrêter de nous parler. On évite d’attirer l’attention sur nous. Et pendant tout ce temps, je sens une colère ourdir en moi. Ça me fout en rogne, parce que j’ai l’impression qu’elle me considère comme fautif de la situation, même si au fond je sens que c’est stupide.
Je retourne à deux reprises chez les Pacat, et à la deuxième David se rajoute à Ginny. Il n’est pas du tout intéressé par la lecture de Narnia, et passe la plupart de son temps dans sa chambre. À quatorze ans, je ne m’attendais pas non-plus à ce qu’il reste collé à nous, et je lui fais confiance pour ne pas faire de connerie. Pour ce qui est de Flynn, il est absent à chaque fois que je me présente à leur porte, et s’il rentre, c’est seulement après mon départ.
Il n’est pas non-plus très souvent au lycée. Il est davantage absent que présent, et cela attire toujours mon regard quand je l’entends répondre à l’appel d’un prof. Je suis tenté d’en parler à l’un de ses amis, mais je n’ose pas. Pourtant, alors que les jours passent, je commence à m’inquiéter. Cette histoire de drogue avec Noah ne me plaît pas, et j’ai l’impression de le laisser tomber.
Ce qui est fou, parce que, au fond, on ne s’est jamais aimé l’un l’autre. Si je ne gardais pas Ginny chez les Pacat, Flynn aurait toujours été ce type désagréable auquel je ne fais pas attention.
Le week-end, Alice m’envoie un texto pour me proposer un rencard. J’aime bien qu’elle prenne les devants, je ne sais pas si j’aurais eut le cran de lui proposer, surtout après ce qui s’est passé avec Lista. Je saute sur l’occasion, chassant la petite voix dans ma tête qui insinue que je me sers d’elle. Je passe en voiture la chercher, et lui demande si elle a un projet en tête.
— Il y a un film que j’attends, qui passe au cinéma dans deux heures. Ça te tente ?
Je hausse les épaules sans détacher les yeux de la route.
— Qu’est-ce que c’est ?
Un film d’aventure, de l’heroic-fantasy, parfait pour me changer les idées. On passe dans un petit café que Alice aime bien avant de partir pour le cinéma. En quelques minutes, l’attitude fraîche et l’esprit amusant de la jeune fille me font oublier tous mes soucis, et je commence à passer un bon moment. Tandis qu’elle sirote son café, et moi mon chocolat, elle me parle de la soirée que Jérémy organise le week-end prochain.
— Je suis pas allé à la dernière qu’il a fait. Je pensais passer une heure ou deux. Et toi ?
— Les soirées, c’est pas trop mon truc.
— OK, pas de soucis, répond-elle avec sourire.
Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’ajouter :
— Mais ça dépend, peut-être que je pourrais changer d’avis.
— Ce serait cool, acquiesce-t-elle.
On échange un regard, le sourire aux lèvres. Ça me plaît, cette situation. On finit nos commandes et on reprend la route pour arriver au ciné un peu en avance. Je laisse Alice aller trouver des places pendant que j’achète sucreries et boissons.
— Salut, Joshua.
Quand j’arrive devant la caisse, je reconnais Tim, le pote de Audra. On discute quelques instants, j’apprends qu’il bosse ici tous les week-ends, et certains soirs de semaine pour aider ses parents. Ils ne roulent pas sur l’or. Je trouve ça cool de sa part de les aider.
Je rejoins Alice quelques secondes avant que la lumière ne s’éteigne dans la salle. Il y a du monde, mais elle n’est pas bondée.
Pendant la majeur partie du film, on rigole tous les deux. Les costumes ne sont pas très crédibles, et le héros à plus l’air du fou du roi que de l’aventurier courageux. On arrive cependant à le croire dans les scènes romantiques, et je suis parfois assez mal à l’aise. J’ai l’impression que la main d’Alice, à moitié ouverte, attend que je vienne la serrer dans la mienne. Je passe beaucoup trop de temps à guetter son visage, détournant les yeux quand elle me surprend.
Dans l’obscurité de la salle, je peux cacher plus facilement mes émotions, alors que je réfléchis à notre relation. Le soir où on s’est rencontré, on a ouvertement parlé de rencard. Et cette sortie au cinéma, c’est bien un rendez-vous. Mais j’ai l’air beaucoup trop coincé. Malgré l’aisance que j’ai avec elle, je n’arrive pas à me sortir de la tête que Lista est peut être amoureuse de moi. Elle ne m’a pas rendu mon baiser pour rien.
Mais cette semaine, elle n’a pas eut l’air de vouloir rompre avec Jérémy. Elle n’a pas eut l’air de vouloir y donner suite. Je n’ai pas fait de pas vers elle. Il est peut-être là le problème.
Et cependant, je suis ici, devant cet écran où passent héros valeureux et monstres effroyables. Dans les films, les amoureux ont toujours l’air de trouver les choses faciles. Même quand des embûches se dressent sur leur chemin, ils se retrouvent toujours. Moi je ne sais pas quoi faire.
Je ne suis même pas certain de traiter comme il le faut Alice comme Lista.
C’est ça. Avant même de penser à sortir avec elles, il faut que je sois sûr d’être bon, pour elles.
Rien qu’hésiter entre deux filles me confirme que je ne suis bon, ni pour l’une, ni pour l’autre.
Quand le film se termine, je l’accompagne jusqu’à la sortie. L’après-midi touche à sa fin, mais il n’est pas encore l’heure que le soleil se couche.
— T’as envie de faire quelque chose ? Demande-t-elle distraitement alors qu’on rejoint le parking. Aller au centre-commercial ?
Aussitôt, je pense à Lista.
— Il faut que soit franc, dis-je avant de me dégonfler.
Elle s’arrête, et me regarde avec un léger haussement des sourcils.
— Je crois que je suis amoureux de… d’une autre.
Son sourire me surprend.
— T’inquiète pas, rigole-t-elle, je sais.
— Comment ?
— Audra m’a parlé de la façon dont tu regardes Lista quand tu es avec elle. T’inquiète pas, je crois qu’elle est la seule à l’avoir remarqué. Et puis, j’ai pas arrêté de t’envoyer des signes toute la journée, tu as répondu à presque aucun d’entre eux. Tu n’arrêtes pas de détourner le regard.
Je baisse les yeux, ce qui la fait rire alors qu’elle relève ma tête d’une pression sous le menton.
— Je t’aime bien, Joshua. T’es un chouette garçon. Mais je peux pas t’obliger à m’aimer.
— C’est ça le problème, dis-je d’une voix hésitante. Je crois…
— D’accord, me coupe-t-elle en souriant franchement. Tu m’aimes bien. Et Lista est déjà en couple. Je comprends ce que tu peux avoir dans la tête. Mais tu peux hésiter entre deux filles. Et moi je vais t’attendre.
— C’est honnête de ta part, je fais remarquer.
J’ai un semblant de sourire. Elle ne semble pas bouleversée, ni prendre mal la nouvelle. Elle a l’air à la fois navrée et contente, ce qui me laisse un peu pantois.
— J’ai déjà eu une relation compliquée, dit-elle en reprenant notre marche. Je dis pas que je suis devenu une fille super sage, et que je comprends tout mais, à choisir, je préfère abandonner maintenant que m’engager avec toi si tu n’es pas sûr. Je me sens bien avec toi, et toi tu te sens bien avec moi. C’est ce qu’on peut attendre chez un ami, sans que ça aille forcément plus loin.
Elle s’arrête, et pose les mains sur mes épaules.
— Si jamais on devait aller plus loin, un jour, on pourra essayer. Mais je veux pas me prendre la tête, et c’est clairement ce que tu es en train de faire depuis qu’on s’est retrouvé aujourd’hui. Alors on va profiter du temps qu’on a ensemble, juste en amis. Et on va voir par la suite.
Je pousse un soupir de soulagement. Soudain, j’ai l’impression d’avoir une fenêtre ouverte sur un monde plus lumineux. Après tout ce temps à réfléchir sur la situation avec Lista, ou Jérémy, ou Flynn, ou que sais-je… Savoir que Alice me comprend, qu’elle n’attend pas plus de moi, ça me libère d’un poids.
— Ça me convient.
— C’est cool, dit-elle en souriant. Alors on va au centre-commercial ? J’ai envie d’un donut.
J’éclate de rire et je la suis dans les rues du centre-ville. On se tient la main, mais je sais ce que ça veut dire et, comme elle me le conseille, j’arrête de me prendre la tête.
Annotations
Versions