Chapitre 49
Je ne parle pas de mes projets avec Lista quand nous allons courir le dimanche soir. J’attends le lundi. C’est la dernière semaine avant les vacances de la Toussaint, et je veux profiter du temps libre qu’on aura pour me rapprocher le plus possible d’elle – en faisant toutefois attention à ne pas la brusquer.
Après tout, je lui ai promis qu’on irait à son rythme.
Quand sa mère la dépose sur le parking et qu’elle me rejoint à l’intérieur du bâtiment 1, je lui fais tout de suite ma proposition : je n’ai toujours pas visité le musée sur l’époque Napoléonienne, et je sais qu’elle adore tout ce qui touche à l’art et à l’histoire. Cette sortie semble lui faire plaisir autant que moi, malgré les moqueries de Flynn sur le sujet.
Cette nouvelle me refait la journée, si bien que je ne fais pas attention à la tension entre Charlie, Antoine et moi pendant le cours de sport. Malgré le conflit avec Jérémy, on continue de jouer ensemble, du moins le temps qu’on fera du basket. Inutile de changer une équipe qui gagne, et on aime beaucoup trop le sport pour ne pas nous donner à fond.
Quand je rentre, je jette mon sac de cours et fais signe à Flynn de monter dans la voiture. On a beaucoup discuté hier, et on a prit tous les deux la décision d’aller chez les Pacat en fin d’après-midi : déjà pour montrer à Sabine que Flynn s’en sort plutôt bien, et qu’il est digne de la confiance qu’elle a en lui, mais aussi pour qu’il puisse revoir Ginny, qui lui manque terriblement.
Quitte à aller jusqu’au bout, Sabine nous à même invité à dîner, ce qui dans notre situation ne se refuse pas. Je suis sûr que lui faire un debrief des progrès de Flynn lui fera marquer des points. Lui qui ne voulait pas voir de déception dans ses yeux, c’est sans doute l’occasion idéale pour renverser la vapeur.
Quand on arrive, la voiture est à peine arrêtée que Ginny sort de la maison et traverse le jardin en courant. Dans son élan, Flynn l’attrape sous les bras et la soulève dans les airs. Son sourire ravageur – le même qui fait fondre tout le lycée – fait plaisir à voir.
On rejoint Sabine au perron, qui nous regarde arriver avec un sourire incertain. Elle ne sait pas encore à quoi s’attendre, ce qui se comprend : déjà avant d’avouer son addiction à l’héroïne, Flynn n’était pas le garçon le plus facile dont elle ait la charge, et il lui en avait fait baver.
Il met toute son énergie pour donner le change. Il veut lui montrer qu’il est en train de changer, et quand on entre le regard qu’elle me lance veut tout dire : elle a autant envie que nous que les choses marchent.
On passe quelques heures très agréables. On évite de mentionner les problèmes qu’on rencontre, et on enjolive bien la situation lorsque Ginny demande pourquoi elle ne voit plus Flynn. Au bout d’un moment, je vois que Sabine s’est bien détendue. Elle se montre très complice avec lui, et très affective, ce qui semble lui faire beaucoup de bien. Juste avant de manger, Ginny et moi les laissons un peu tous les deux dans la cuisine, et je vais lui faire la lecture.
— J’ai lu un peu toute seule, me dit la petite en m’entraînant vers le canapé, mais c’est pas la même chose quand tu fais pas tes voix bizarres.
Je rigole, conscient que je n’oserais jamais faire ces « voix bizarres » devant quiconque à part elle.
Ginny me tend le premier tome de la série Aru Shah. N’étant pas un grand lecteur à la base – encore moins de livres jeunesse – je ne sais pas trop à quoi m’attendre, d’autant que j’arrive en plein milieu de l’histoire. C’est assez bizarre, mais une fois que j’ai intégré que l’auteur s’inspire des mythologies de l’Inde, j’arrive à trouver quelques cohérences au fil des chapitres.
Sabine vient nous chercher quand il est l’heure de manger. Luke et David descendent manger avec nous, ce qui nous oblige à allonger la table de la salle à manger. Stéphane rentre du travail au moment où j’aide Flynn à mettre la table. Il semble bien content de revoir le garçon, mais j’observe la même réserve que Sabine au début.
Autour de la table, l’atmosphère est un peu tendue. Les deux garçons ont l’âge de comprendre ce qu’il se passe, et ils restent complètement silencieux. Sabine essaye de lancer quelques sujets de conversation, mais l’attitude un peu méfiante de son mari casse un peu tout. Il n’a pas eut le même temps avec Flynn qu’elle.
Finalement, c’est Ginny qui met de l’ambiance. Conscient qu’il ne peut pas parler à Stéphane devant tout le monde, Flynn se concentre sur la petite fille, et sa joie me fait l’effet de voir une tout autre personne que celle qui m’accompagne aujourd’hui dans mon quotidien.
Quand on arrive au dessert, j’aide Sabine à apporter toutes les petites assiettes sur lesquelles elle à rassemblé des boules de glace maison et des morceaux de fruit. C’est plus qu’alléchant, et en arrivant à la fin de ce dîner, j’en viens à me dire que ma mère a une sérieuse concurrente en matière de cuisine !
— C’était délicieux, lâché-je en soupirant, le ventre prêt à exploser. J’avais jamais goûté la moitié de ces fruits.
— C’est de région, commente Flynn. Tu vas pas en trouver à Paris. Pas frais en tout cas.
— C’est bien vrai, commente Stéphane. Ça doit être triste le nord.
Je hausse les épaules.
— C’est moins énergique et chaud qu’ici. C’est pas forcément un mal.
C’est comique de voir comment le regard de Flynn et celui de son tuteur sont identiques quand ils entendent ça.
— Mon gars, y a rien de mieux que le sud, rétorque mon ami.
— On devrait te faire découvrir un peu plus la région, approuve Stéphane. Tu y réfléchiras à deux fois.
Les deux hommes échangent un regard entendu sans se rendre compte qu’ils ont totalement oublié la tension qui régnait quelques minutes plus tôt. Sabine et moi échangeons un petit sourire de connivence.
C’est un peu triste qu’on ait dû attendre que le dîner soit terminé pour que tout le monde se mette à intégrer la conversation, mais au moins la chaleur a investi de nouveau la salle à manger, et on termine cette soirée mieux qu’on ne l’avait imaginé.
Vers 10 heures, on finit par partir, parce que j’ai cours le lendemain. Juste avant de sortir, Sabine et Stéphane en profitent pour nous parler du lycée, et sans me prévenir Flynn annonce qu’il y reviendra après les vacances de la Toussaint. Je ne fais pas de commentaire – j’imagine qu’il est mieux placé que moi pour savoir s’il est prêt ou non.
Faut dire qu’aujourd’hui, il est nettement plus en forme que la semaine dernière. Même s’il ne se débarrassera jamais de la tentation, qu’il devra combattre toute sa vie, ça ne doit pas l’immobiliser éternellement.
Et puis, on est en terminal. À la fin de l’année c’est le bac, et si Flynn ne s’y remet pas vite, même les meilleurs profs particuliers ne pourront pas l’aider à rattraper son retard.
Fin bon, me dis-je, son retard scolaire c’est clairement pas la priorité pour le moment.
Quand on rentre, on passe par la maison pour raconter à Nicole comment tout ça s’est passé. Je les laisse un peu parler et en profite pour rejoindre la dépendance et prendre une douche. Quand je sors de la salle d’eau, Flynn attend son tour.
Je ne sais pas ce que c’est d’avoir un frère, mais partager cette petite maison comme on partage une chambre me donne l’impression d’avoir un lien privilégié avec Flynn, ce qui est complètement dingue car il y a quelques semaines je le prenais pour un vrai salaud…
On est couché quand Lista m’envoie un texto pour m’annoncer qu’elle a donné une excuse à ses parents pour notre sortie au musée, ce week-end. Je m’endors en souriant comme un idiot, fier de moi, et content que notre relation puisse évoluer.
Cette nuit, je rêve que je suis heureux avec elle. Qu’on traverse les couloirs du lycée en se tenant la main, et en nous en foutant royalement de Jérémy et de ses potes. Que je l’embrasse devant ses parents et qu’ils sont heureux pour nous.
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