Chapitre 61
Quand Flynn rentre, j’ai une brusque envie de le tuer et d’enterrer le cadavre au fond du jardin.
Ça ferait un bon engrais pour mes plantes…
Il est tard, et on a enchaîné notre cinquième film quand Lista s’endort dans mes bras. Avec des gestes précautionneux, je baisse le son de la télévision pour ne pas la déranger – quand bien même, j’arrête de regarder. Toute mon attention est focalisée sur les tremblements de ses paupières, sur sa respiration douce et lente, la façon dans ses mains s’accrochent à mon bras qui entoure son corps menu. C’est la sensation la plus délicieuse que j’ai jamais ressenti.
Puis, Flynn ouvre la porte avec fracas et lance un « Remettez vos sous-vêtements ! » tonitruant.
Lista sursaute à mes côtés, l’air hagard, et je fusille Flynn du regard. Ce dernier me sourit, haussant les sourcils, tout content de son effet.
Connard !
— Il est quelle heure ? Je devrais rentrer, bafouille Lista.
Elle regarde son téléphone, mais ses parents ne lui ont pas envoyé de message. Pour expliquer son absence, elle a raconté à ses parents qu’elle passait la journée chez Audra avec Déborah et quelques amies.
Elle met son téléphone dans la poche de son jean et tourne le regard vers moi.
— J’ai vraiment passé un super moment, dit-elle en plaquant un baiser sur ma joue. On remettra ça, promis ?
— Promis, acquiescé-je.
Je l’accompagne jusqu’à la porte, et même un peu sur le jardin. Avant de la laisser disparaître et franchir la haie, je l’embrasse une dernière fois.
Quand j’entre dans la dépendance, Flynn s’est jeté sur le canapé et pointe la télécommande vers la télévision, dont il a débranché le lecteur DVD.
— Mec, t’abuses, fais-je en nettoyant les gâteaux et canettes de soda que Lista et moi avons laissé sur la table basse.
— Désolé, mais j’avais pas envie de tomber sur vous à poil, prétend-il, l’air de s’amuser comme un fou.
Je lui renvois un regard bien senti, et Flynn le doigt en l’air, comme s’il venait de le mettre sur un point particulièrement important.
— C’est vrai, dit-il, j’avais oublié que vous baiserez pas avant le mariage.
Je lui fourre un coup d’emballage de gâteau sur la tête.
— Le mot « baiser » est banni de cette maison, réponds-je. Il est disgracieux.
— N’empêche que tu me contredis pas, rétorque-t-il en pouffant.
Je grogne comme seule réponse. Oui, je suis conscient que Lista aimerait se préserver jusqu’au mariage. Et non, ça ne me dérange pas des masses. Je veux dire, je suis pas non-plus pressé de passer cette étape. Peut-être que j’y trouverais mon compte, moi aussi : la masturbation, ça me suffit largement, quoi qu’en pensent la plupart des autres ados de notre âge.
Quoique, si Flynn continue à squatter ma chambre, c’est pas demain la veille que je pourrais me branler sans avoir tout désir coupé.
— Comment ça s’est passé, pour Alice et toi ? Je demande pour changer de sujet.
— Tranquille. On a passé un bon moment.
Il reste évasif, et j’insiste pas. La relation entre Alice et Flynn relève désormais du domaine privé, j’ai pas envie de savoir ce qu’ils font tous les deux, si ce n’est partager une glace sur la jetée. Ça, c’est le genre d’histoire que je pourrais écouter. Le reste… Non.
Je me couche tôt ce soir, et Flynn fait l’exploit de ne pas me réveiller quand il entre dans son lit. Le lendemain, je me réveille avec la sensation que les vacances sont interminables. Ce n’est pas que j’ai hâte de recroiser Jérémy et sa clique dans les couloirs, mais je commence à avoir cette impression d’avoir besoin d’une occupation régulière, comme lorsqu’on approche de la fin des vacances d’été. J’ai toujours eut ce problème des longueurs – mes mères ont l’habitude de dire que les vacances devraient êtres moins longues mais plus nombreuses, et je suis plutôt d’accord.
Je profite du dernier week-end pour faire mes devoirs pour le lundi. Flynn commence lui aussi à rattraper les cours qu’il a manqué pendant son sevrage. C’est plutôt tard pour autant de boulot, mais il a l’air d’y mettre beaucoup d’énergie.
C’est bizarre, mais à force de constater qu’il passe autant de jours absents que présents au lycée, il ne m’est jamais venu à l’esprit que Flynn puisse être un bon élève – ou en tout cas, un élève appliqué.
Quand la nuit tombe le dimanche qui précède le retour au lycée, je referme mon livre d’anglais et pousse un long soupir de soulagement. C’en est terminé pour moi, et je vais aussitôt me laisser choir sur le canapé. Flynn restant travailler, j’évite d’allumer la télévision et lance un nouvel épisode de Desperate Housewives sur mon téléphone en fourrant mes écouteurs dans les oreilles.
Je suis en train de regarder les affres de la famille Bolen quand Nicole entre dans la dépendance.
— Je vois que tu travailles dur, commente-t-elle en m’adressant un sourire taquin. Tu devrais prendre exemple sur Flynn.
— C’est ce que je dis toujours, dit ce dernier sans lever les yeux de ses exercices d’espagnol.
— Quelque chose ne va pas ? Je demande en mettant mon épisode sur pause.
— Pourquoi quelque chose n’irait pas ?
Je ne réponds même pas à sa question, me contentant d’un haussement de sourcils.
— Bon, d’accord, admet-elle. Je viens vous prévenir que certaines choses pourraient circuler au lycée, demain.
— Certaines choses ?
Flynn se désintéresse de son espagnol.
— On a reçut un mail du directeur, tout à l’heure, explique-t-elle. Vendredi prochain, vous avez une sortie au théâtre et l’un de vos accompagnateurs ne peut pas venir. Périne s’est portée volontaire pour la remplacer.
Flynn s’adosse au dossier de sa chaise, l’air confus.
— C’est quoi le problème ? Demande-t-il. Des parents qui servent d’accompagnateur, ça arrive souvent.
— Oui, mais pas nous, répond Nicole.
Flynn ne comprend pas, mais de mon côté, une idée commence à germer. J’ai peur d’avoir raison, aussi ne dis-je rien. Malheureusement, mes craintes se réalise quand ma mère clarifie les choses :
— Ce que je veux dire, c’est que nos voisins ne sont peut-être pas les seuls dans cette ville à… ne pas nous aimer. Et il risque d’y avoir des réactions.
— Parce-que vous êtes gays ? Répond Flynn. Mais c’est stupide, aucun parent ne viendrait foutre la merde au lycée parce que…
Il ne termine pas sa phrase : il croise mon regard et comprend tout de suite que, si, certains parents pourraient très bien le faire. Et quand bien même, tous les élèves de terminal apprendront demain si Périne venait à être choisie pour nous accompagner, ce qui remontera forcément aux oreilles de leurs parents.
Rien ne dit que les Estella ne vont pas faire un esclandre, et s’ils venaient à la boucler, d’autres pourraient le faire à leur place.
— T’inquiète, dis-je à ma mère, c’est pas quelques ragots qui vont nous blesser.
— Je sais. Mais si ça venait à vous déranger en classe, ou à devenir vraiment insupportable, n’hésitez pas à venir nous parler, ou à aller voir l’administration. Il est hors de question que vous vous sentiez mal dans ce lycée.
Ça me fait bizarre de l’entendre dire « vous », incluant d’office Flynn comme si entendre des moqueries ou des insultes sur mes parents pouvait le toucher autant que moi. Mais en même temps, je me sentirais en colère et blessé si on venait à faire la même chose sur les Pacat, et pourtant je n’ai pas passé les dernières semaines sous leur toit.
Je me demande à quel point ma famille est devenue importante aux yeux de Flynn.
— Bon, termine Nicole, je vous laisse tous les deux, ne vous couchez pas trop tard.
— Bonne nuit, maman.
— Bonne nuit, Nicole.
Au moment où elle ferme la porte derrière elle, mon regard se tourne vers la maison des Estella, comme si je pouvais voir à travers le mur. Si Périne venait à nous accompagner, je sens qu’on va en entendre parler…
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