Chapitre 69

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Les jours qui suivent sont difficiles, autant moralement que physiquement. Nous prenons toutes les précautions nécessaires pour que Flynn s’en sorte. Tous les adultes sont mis au courant des menaces lancées contre lui, et on recherche activement une solution qui ne nous oblige pas à avertir la police, ni à payer les dealers.

Autant dire qu’on cherche épingle dans une botte de foin.

Néanmoins, assister à tout ça semble apaiser Flynn. Je pense qu’il se rend compte, aujourd’hui, que les gens l’aiment réellement. On ne se casserait pas la tête comme ça si on ne tenait pas un minimum à lui. J’ai la sensation qu’il fait moins de cauchemars, malgré l’atmosphère pesante qui nous entoure toute la journée.

Au lycée, on évite au maximum les amis de Noah. L’absence de ce dernier, toujours retenu par la police, se fait sentir dans les couloirs. Certaines personnes nous regardent de travers, à croire que tout son réseau de clients nous tient pour responsable, alors qu’on n’a jamais parlé de cette histoire à personne.

Ce qui est un coup dur à ajouter à liste : le lundi, on se fait une raison, tout le monde est au courant pour les problèmes d’addiction de Flynn. On ne peut plus espérer garder ça secret, et autant quelques-uns de nos amis font comme si de rien était, par respect, comme Audra et Déborah, autant d’autres se montrent plus vicieux.

La jour où on trouve une seringue vide sur les affaires de Flynn en revenant du cours de sport, mon ami craque.

Mis à part lors de son sevrage, j’ai rarement eu l’occasion de voir Flynn pleurer. Je me retrouve, dès qu’on rentre à la maison, à tenter de le réconforter avec Alice, alors qu’il se roule dans les draps de son lit, à bouts de nerfs. À l’intérieur de moi, je sens la colère et la rancœur grandir. Comment des adolescents peuvent-ils être d’une telle cruauté ?

Je me rends compte un peu trop tard que j’aurais dû m’en douter. Quand des types comme Jérémy sont capables de faire pression sur leur copine pour avoir des relations sexuelles, alors d’autres sont parfaitement capables d’enflammer les addictions des autres.

Je dois m’éclipser un instant, pour ne pas montrer ma colère devant mes amis. Je profite que Alice sert Flynn contre elle pour aller dans le jardin, où j’arrache rageusement une rose, me piquant la paume de la main à cause des épines. Je serre la tige dans mon poing en imaginant que la douleur chasse ma rage, sans grand résultat.

Pourquoi faut-il que les choses soient si dures ? Ne peut-on pas juste vivre notre vie avec un minimum de paix ? Est-ce donc trop demander à l’univers ?

Je lâche la fleur et observe la peau égratignée de ma main. Je devrais aller à l’intérieur, pour désinfecter toutes les petites coupures, mais je reste planté dans l’herbe, comme si j’attendais que le monde se renverse d’un coup, et que j’atterrisse dans un endroit parfait, sans aucun problème.

Sauf que ça n’arrivera pas. Ça n’arrive jamais.

Je serre les dents et regarde la haie haute, devant moi, qui sépare notre maison de celle des Estella. Je m’imagine au milieu de leur jardin, avec Eugène, en train de planter de nouvelles fleurs colorées. Et pendant ce temps, Lista donne des cours de piano à Flynn, et les notes dissonantes nous parviennent. J’entends le rire discret d’Eugène, à côté de moi, tandis que de notre côté de la haie les éclats de voix de Karen se mélangent à ceux de ma mère. J’entends le vélo d’Alice déraper sur le gravier, alors qu’elle rejoint Flynn pour aller voir un film au cinéma, et Eugène se tourne vers moi en me demandant ce que sa fille et moi comptons faire ce soir.

Une scène idyllique. La vie que je rêverais d’avoir.

En un clignement des yeux, je me retrouve devant la dépendance, dans le vrai monde. Je suis là, la main blessée, alors que Flynn pleure dans les bras d’Alice. Je sens le sentiment d’impuissance qui nous serre tous la poitrine, alors que mes mères se creusent la tête pour trouver un moyen d’arrêter le terrible coup du sort qui nous cloue sur place. Et je peux presque voir, malgré la haie et les murs, Lista, qui travaille à son bureau, dans sa chambre, sans parvenir à se concentrer parce-qu’elle sait que dans la maison d’à côté c’est vraiment la merde. Et elle s’en veut parce-qu’elle ne sait pas comment nous aider, et qu’elle a déjà ses propres problèmes avec sa famille.

Je rage. C’est vraiment ça Larmore-baie ? J’ai l’impression de me répéter toujours la même chose. Comment on peut vivre tout ça en quelques semaines, et avoir le temps de se demander « Est-ce que tu es réellement surpris ? » ?

Je retourne dans la dépendance et vais désinfecter ma main dans la salle de bain. J’ai l’impression que les sanglots de Flynn ont cessé, mais la porte étant fermé, je ne peux pas en être sûr.

Je préfère les laisser tranquilles tous les deux, alors une fois ma main enroulée dans un pansement, je leur laisse un mot sur la table pour leur dire que je reviens vite, et je pars avec mon téléphone et mes clés de voiture. Une fois dans l’habitacle, j’ai un moment de flou.

L’odeur de Lista se mélange à celle de Flynn dans une explosion tellement agréable qu’elle fait poindre des larmes au coin de mes yeux.

Je roule un long moment, une playlist lancée sur mon téléphone. Bloquer mon attention sur les signes de la route, les panneaux de signalisation et les autres véhicules m’empêche un temps de trop réfléchir. Mais comme beaucoup de choses, ça ne dure pas.

Je fais plusieurs fois le tour de la ville. Je la connais plutôt bien, maintenant. Ses rues me paraissent familières. J’essaie de me remémorer les meilleurs moments que j’y ai vécu. Je repense aux sorties avec Alice. Nos premiers rencards, à l’époque où on croyait tous les deux qu’il pouvait exister quelque chose entre-nous. Ce qui était plutôt stupide, avec du recule.

Moi, j’étais raide dingue de Lista. Et elle, elle était carrément accro à Flynn, refusant de se l’avouer.

Je passe devant le parking où nous avons eu cette fameuse discussion, celle où nous avons tout clarifié. Je crois que c’est à ce moment-là qu’on est vraiment devenu des amis proches. Rien de mieux qu’une fausse relation amoureuse pour sceller une amitié.

Je revois de loin le centre commercial où nous avons été avec Emma. L’un des meilleurs instants de ma vie, jusqu’à ce que la mère de Lista ne débarque. Je vois aussi la gare, et j’ai un court moment l’irrépressible envie de monter dans un train pour Paris afin de retrouver ma meilleure amie. J’ai besoin de lui parler, mais entendre sa voix à travers un téléphone ne suffit pas.

Il commence à pleuvoir lorsque je passe pour la deuxième fois devant la plage où je vais courir avec Lista. Je revois nos étreintes sur ces étendues de sable blanc léchées par la méditerranée. Le vent qui commence à souffler violemment fait fuir les derniers traînards, et la plage est bientôt vide. Je ralentis au niveau des rochers, juste devant le Trou de l’Enfer, éclaboussé par des vagues gigantesques.

J’arrive à l’endroit où Lista et moi nous sommes embrassés pour la première fois. Le temps que je trouve une place suffisamment près pour pouvoir aisément observer les lieux, le ciel s’est brusquement obscurci, et la pluie se fait plus forte. La musique de mon téléphone s’interrompt à un moment donné mais, plongé dans mes souvenirs, je n’y fais pas attention tout de suite. Quand je regarde, mon téléphone est éteint. Plus de batterie.

C’est le moment pour moi de rentrer, j’imagine. Je devrais retrouver Alice et Flynn, recommencer à travailler sur cette histoire de dealers. Ce serait tellement plus simple de juste aller voir les flics, et de leur expliquer la situation. Mais sincèrement, quel ancien consommateur de drogue peut se flatter d’avoir été protégé par les forces de l’ordre ?

J’ai davantage confiance en nos propres capacités qu’en les leurs. Sinon, il y aurait longtemps que le sort de Noah serait tiré, et qu’on serait tranquilles.

À force de rouler et de réfléchir, je commence à me dire que la plupart de mes problèmes ne sont pas réglables, excepté un : le comportement des parents de Lista. Ça me fout en boule de savoir qu’on considère leur homophobie comme quelque chose de normale, quelque chose que l’on ne peut pas changer.

Et puis, admettons, ils n’aiment pas mes mères, mais ça ne veut pas dire qu’ils devraient empêcher Lista de me fréquenter. Après tout, j’estime avoir été plus ou moins irréprochable. Si on ne peut rien faire sur leur vision de l’homosexualité, on peut au moins leur rappeler que je suis un garçon, et que ma relation avec leur fille est toute à fait viable à leurs yeux !

D’un coup de volant, je tourne au dernier moment, prenant la direction de la boutique d’Eugène. Il faut que je lui parle, que je le fasse change d’avis. Notre dernière discussion me donne un goût d’incomplet, et il faut que j’arrange ça.

Je gare la voiture sur le parking, et je traverse la pluie battante pour entrer à l’intérieur, au milieu des fleurs, sous le regard mauvais du père de Lista.

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