Chapitre 2-1 - Lyam
Après une journée éreintante à tourner le verre, mais surtout, pour ma part, à casser toutes les pièces que je soufflais, mes amis et moi nous rejoignons dans les vestiaires avec mes potes. Lorsque nous avons appris pour la grossesse d’Erin, j’ai dû arrêter mes études pour être vitrailliste afin de subvenir à nos besoins. J’ai trouvé ce travail de souffleur de verre grâce à Noah qui y travaillait déjà.
— Hey les mecs ! On se retrouve au pub ce soir ? demande Noah.
— Carrément, j’ai besoin de baiser, ma semaine a été longue. En plus, ma mère garde Hope ce week-end.
— Nya sera là ? me questionne Aaron.
— J’en sais rien, mais ma sœur, tu la touches pas, compris ? grogné-je alors qu’il détourne le regard.
— Tu es au courant que certains hommes ne veulent pas juste tirer leur coup, Lyam ? répond Noah.
— Une chatte plus une bite égal une baise. Ni plus ni moins. Le reste c’est de la merde !
Je croyais dur comme fer en l’amour, et toutes les conneries qui vont avec, mais depuis Erin, impossible pour moi de penser autre chose. Sans entendre leurs conneries de sentiments à la con, je poursuis en mettant la lanière de mon sac à dos sur mon épaule droite.
— On se retrouve comme d’hab’ devant le pub pour vingt-une heures ?
Ils acquiescent alors que je me faufile en dehors de l’atelier. La chaleur du mois d’août est étouffante, mais moins que les fours de la cristallerie. Une légère brise estivale se lève et s’engouffre dans mes cheveux me rafraîchissant l’espace d’un instant. Je me dépêche d’aller chez ma mère qui a récupéré Hope à la sortie du centre de loisirs. Après quelques minutes de trajet, j’arrive à destination. Je descends de ma voiture et me dirige vers l’entrée de la maison qui m’a vu grandir. Ce foyer qui a connu les plus beaux moments, mais aussi les plus difficiles de ma vie. C’est sur ce pas de porte que j’ai, pour la première fois, aperçu ma petite sœur arriver dans les bras de mes parents lorsque j’avais sept ans. Ce jardin dans lequel je jouais tous les week-ends au foot. Cette barrière que je me suis prise de plein fouet en m’amusant au frisbee, me laissant en souvenir une jolie cicatrice sous ma paupière droite. Mais c’est également ici que mon père a passé ses derniers instants avant que le cancer ne l’emporte. Elle a connu ma traversée en enfer lorsqu’Erin est décédée. J’étais inconsolable au point de ne plus vouloir me nourrir, à me laisser dépérir. Même le plus beau cadeau qu’elle m’ait donné n’a pas su me faire sortir la tête hors de l’eau. Je me secoue mentalement pour empêcher les souvenirs de m’engloutir à nouveau.
J’entre sans toquer, et me dirige vers le son provenant du salon. Hope est là, devant la télévision, à regarder encore un reportage. Hope. Ma fille, mon miracle. La seule et unique femme de ma vie – en dehors de ma mère et de ma sœur. Alors que je n’ai clairement pas assuré pendant ses premiers mois, ce petit être ne m’en a jamais tenu rigueur. C’est la plus merveilleuse des enfants, maligne, rayonnante et intelligente. C’est mon portrait craché, bien qu’elle ait hérité de la crinière de feu de sa mère. Elle serait tellement fière de ce qu’elle est devenue. Je me dirige doucement derrière elle afin de la faire sursauter.
— Hello ma baby !
— Papa ! Tu m’as fait peur !
J’éclate de rire et l’attrape pour lui faire un câlin et me repaître de son odeur de fraises, celle de son shampooing. Alors que je la repose, je lui demande ce qu’elle regarde.
— Un reportage sur les Mayas. Tu savais que leur peuple était déjà là deux mille cinq cents ans avant Jésus-Christ ? Et ils sacrifiaient des enfants à leurs Dieux ! T’imagines ?
Euh… Non je n’imagine pas… À vrai dire, l’histoire n’est vraiment pas ce qui me passionnait à son âge, et encore moins maintenant. Moi, à sept ans, je jouais au bord de la rivière ou au foot dans le jardin, grimpais aux arbres, et matais des matchs ou des mangas à la télé. Pas National Geographic.
— Ça a l’air génial. Où est grannie ?
Elle ne me regarde déjà plus et est retournée devant son reportage qui parle de pyramides. Je secoue la tête, amusé.
— En train de faire à manger.
Je la laisse là, devant l’écran, pour aller rejoindre ma mère que je retrouve en train de poser un Coddle sur la table de la cuisine. Cette dernière se retourne lorsque l’odeur alléchante qui se dégage du plat fait gronder mon ventre d’anticipation.
— Ah ! Tu es arrivé, mon grand !
— Oui, à l’instant. J’ai été voir Hope d’abord. Elle regardait encore National Geographic.
— Ah oui ! Elle s’intéresse vraiment à tout ma sióg. Tu dînes avec nous ?
— Ouais, après je sors au pub avec les mecs.
Son visage s’assombrit au moment où je mentionne ma soirée.
— Un jour, il faudra bien que tu arrêtes tout ça quand même.
Elle porte son regard en direction du salon afin d’être sûre que ce qu’elle s’apprête à me dire ne sera pas entendu par des oreilles indiscrètes.
— Il serait peut-être temps que tu trouves une gentille petite femme au lieu de te satisfaire de gamines écervelées qui ne t’amènent rien de bon.
Ce qu’elles me font me convient amplement, mais je ne peux clairement pas dire ça à ma mère.
— Hope est encore revenue en pleurant du centre parce que des enfants l’ont mise de côté. ils lui ont dit qu’elle était un changeling à cause de sa mèche, et que c’est pour ça qu’elle n’avait pas de maman. Qu’elle avait préféré mourir plutôt que de l’avoir pour fille.
Ses paroles me font l’effet d’un poignard que l’on enfonce dans mes entrailles. Mon cœur saigne pour ma petite Hope qui endure des brimades depuis son entrée à l’école à cause d’une mèche de couleur blanche dans sa chevelure rousse. À sa naissance, j’étais une telle loque que je n’ai pas remarqué de suite qu’elle avait ces petits cheveux blancs. Depuis, le verdict est tombé : piébaldisme. Pendant un moment, elle a dû subir tout un tas de tests pour écarter syndrôme après syndrôme, et futures anomalies. Fort heureusement pour nous, seul l’hétérochromie y est lié.
— Putain ! Bien sûr que si, elle a une maman, et la plus merveilleuse de toutes !
Sa main se pose sur mon avant-bras afin de m’apaiser.
— Calme-toi, s’il te plaît. Elle ne voulait pas que je t’en parle pour éviter justement ce genre de réaction. Je sais bien qu’Hope n’aura qu’une seule maman. Mais une présence féminine dans sa vie ne pourrait être que bénéfique.
— Mais elle vous a, toi et Nya, grondé-je.
— Et elle nous aura toujours. Mais je suis sa grannie et Nya, sa tante.
Devant mon silence, elle reprend plus posément, sa main sur mon épaule.
— Ça fait presque huit ans qu’Erin est décédée. Je sais tout l’amour que tu lui portais, mais si tu le voulais, la vie pourrait te surprendre à nouveau. Il est temps de tourner la page, tu ne penses pas ? Puis, ça me rassurerait s’il y avait quelqu’un avec vous au quotidien pour prendre soin de vous. Promets-moi juste d’y penser. Mais pour le moment, c’est l’heure de passer à table. Peux-tu mettre le couvert pendant que j’appelle Hope ?
Je ferme fort les paupières pour ne pas que l’émotion me submerge. Devenue sèche, ma bouche est muette, j’acquiesce alors du menton. Dès que ma mère quitte la pièce, je souffle, agacé qu’elle souhaite que je tourne la page, mais surtout contre moi-même. Chaque jour qui passe étiole le souvenir d’Erin, et ça me rend fou. Je me reprends en secouant la tête avant de me diriger vers le placard où est rangée la vaisselle.
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