Silvio s’avance d’un pas hésitant sur la passerelle suspendue au-dessus des ténèbres. Le chat accueille cette décision d’un miaulement d’encouragement et reprend son chemin. Le garçon marche avec précaution, chacun de ses mouvements déclenche une vague de vibration dans les poutres métalliques du pont. Un pied, puis un autre.

Peu à peu, il s’éloigne de la lucarne et de ses amis pour franchir l’abysse. Il pose les pieds sur une seconde plate-forme dont la seule issue est une échelle en fer qui s’enfonce dans l’obscurité.

À son tour, Livia quitte le plateau. Hésitante, elle suit le chemin de Silvio, éclairée par les rayons lumineux des lampes des deux garçons. Elle n’ose pas regarder vers le bas. À travers le grillage à ses pieds, elle ne distingue que des formes effrayantes et étranges et bloque les images de monstres hideux ou des pièges diaboliques qui luis viennent à l’esprit. Livia fixe son regard vers la torche électrique de Silvio et se concentre sur ses pas. Lorsqu’elle parvient au bout, elle aperçoit la main tendue du garçon, la saisit et parcourt précipitamment le dernier mètre qui les sépare.

Dans un élan qu’il ne comprend pas lui-même, Silvio la serre contre lui de son bras libre tout en maintenant sa lumière en direction d’Agostino.

— J’arrive, dit ce dernier.

Les échos de sa voix ne se sont pas encore éteints, il a déjà traversé la moitié de la distance. Agostino marche vite, il court presque, le pont vibre à chacun de ses pas lourds et empressés. Il prend juste la peine de laisser glisser sa main droite sur le garde-fou de fer. L’autre tient sa lampe torche dont le rayon danse follement autour de lui.

Crac ! Une des planches de bois de la passerelle se brise sans crier gare. Le garçon n’a que le temps de se rattraper à la balustrade.

Agostino pend désormais, suspendu par un bras à la rambarde rouillée qui plie sous son poids et émet des grincements inquiétants. En dessous de lui retentit le fracas de la pièce de bois qui s’écrase sur le sol. La lampe se balance au bout de sa dragonne. Elle éclaire un amas de tiges métalliques dressées vers le garçon.

Livia pousse un cri de frayeur. Silvio manque une respiration. Même le chat, pourtant doté d’un naturel calme, panique et saute sur le côté, le poil hérissé. Silvio, d’abord saisi par la peur, se ressaisit.

— Agostino ! Attrape la plate-forme avec ta main gauche !

— Je tiendrai pas longtemps !

— Avance ta main ! ordonne Silvio d’une voix ferme et assurée.

— Je peux pas la bouger.

— Je te parle de ton autre main, Agostino. Celle qui tient la lampe.

Les mots de Silvio claquent dans les ténèbres. Agostino obéit, presque malgré lui. Il avance sa main et l’agrippe au grillage déchiqueté de la passerelle.

— Aïe !

Agostino écorche sa main sur les pointes acérées. La douleur le réveille, éloigne la peur. Il verrouille ses doigts sur la plate-forme.

— Maintenant, lève ta jambe gauche et pose-la à côté de ta main !

Agostino se concentre et se raccroche aux paroles de Silvio, comme un automate, il suit les instructions. Dès que son genou s’appuie sur la plate-forme, son bras n’a plus à soutenir le poids de son corps. Il prend conscience qu’il peut poser l’autre jambe sur le plateau et qu’il est en mesure de se relever. Il avance désormais lentement, les deux mains sur les rambardes. Sa torche pend toujours au bout de sa dragonne. Il tremble de tous ses membres sous l’effet de la peur et rejoint ses amis près de l’échelle.

Un « miaou » soulagé l’accueille. Le chat ronronne bruyamment. Il se frotte contre les mollets des enfants. Le ronron résonne dans la vaste pièce et apporte de la sérénité dans leur cœur.