Espoir

6 minutes de lecture

Mes émotions débordent. Toute l'accumulation de cette journée éprouvante cède, tel un énorme barrage ouvert, après cette annonce qui change ma vie.
Mon visage s'inonde de larmes, sans que je puisse les arrêter. Des larmes d'espoir.

L'espoir de croire que mes tourments sont enfin derrière moi.
L'espoir de croire qu'enfin, ma vie va changer.
L'espoir de penser que je n'aurais plus à combattre.

Mon professeur de Management et de Gestion Informatique, aussi différent que moi, est tout aussi pris dans cette émotion, et me serre dans ses bras en m'adressant ces mots :
"Tu l'as fait, L**** ! Tu l'as fait ! Je suis si fier de toi ! Félicitations !"
Il me lâche. Je vois également des larmes dans ses yeux. Ma mère et ma soeur arrivent, et c'est sans moins d'émotions que ma mère plante son regard droit dans le mien en m'invectivant :
"Bravo ma L**** ! A partir de maintenant, je ne veux plus jamais t'entendre dire que tu ne vaux rien ! Tu viens de prouver aujourd'hui que tu les surpasses tous !"
Je m'effondre. Heureusement, des bras bienveillants me soutiennent. L'émotion est trop forte.

Si ce jour symbolise une belle victoire pour les autres, pour moi, cette victoire a une signification toute autre. C'est la fin de plusieurs années de guerre. Un combat à la fois contre les autres et contre moi-même, pour sortir d'un conditionnement toxique et destructeur.

La fin d'un long combat, que j'accueille avec un véritable soulagement.

Espoir.

Ce n'était pourtant pas gagné. Si l'admission en rattrapage du bac m'a accordée, ce n'est certainement pas pour ma moyenne très basse malgré toute ma volonté pour réussir, encaissant déception sur déception, et un fait indéniable sur le fait que je ne suis au final, pas une personne avec suffisamment d'esprit pour aller bien loin. Ce qui est encore plus dur, lorsque nous nous faisons narguer par des mauvaises âmes qui n'ont même pas besoin d'effort pour atteindre une moyenne potable. J'arrive ainsi à ce rattrapage avec une moyenne d'environ 8,5, et donc énormément de points à rattraper pour espérer avoir ce diplôme. Une chance qui m'a été accordée uniquement parce que le corps enseignant voyait à quel point j'étais sérieuse, et surtout, que je ne causais jamais d'ennuis, ni retards ni absences, ou alors, exceptionnelles.

On nous impose deux épreuves à préparer en oral. On me conseille les plus côtées. Une matière que j'avais pourtant brillamment réussi sur l'examen de base, à savoir la Gestion des Systèmes d'Information. La seconde, en revanche... on me conseille de prendre le Droit. Une des matières qui me fait le plus défaut. Je le sens très mal, je sais que je n'y arriverai pas. On insiste. Je cède.

Espoir.

Commence alors mon tour pour l'épreuve de Droit. Qui se passe exactement comme je l'avais prévu : je suis incapable de faire une phrase, l'angoisse n'aidant pas. L'examinatrice essaie de m'aider, mais malgré cela, je n'y parviens pas. Je suis perdue. A croire que mon cerveau n'est clairement pas fait pour ça.
Je sors de là, désespérée. Et déjà convaincue que cela n'aboutira à rien.
J'attends ainsi mon tour à l'épreuve de GSI. On m'appelle, je prends place, je prépare mon entretien. N'ayant aucune confiance en moi, à ma grande surprise, je me lance : le sujet m'inspire, et pourtant, je suis absolument certaine de le rater. Je tente alors le tout pour le tout.
Une fois devant l'examinateur, tout se déroule bien. Je parle, je déroule le thème, comme si j'avais fait ça toute ma vie, alors que cette matière ne m'a été enseignée que cette année. Il ne m'interrompt pas, ou extrêmement peu. Chaque fois, je lui réponds, en regardant à peine mes notes. Je me rends compte que je parle telle une passionnée, qui connaît les moindres détails de ce secteur.

C'est ce qui a toujours justifié mes moyennes catastrophiques : soit je me révèle brillante dans des domaines spécifiques, soit je suis extrêmement mauvaise. Mais deux ou trois matières ne suffisent pas pour réussir globalement une année scolaire.


Puis je sors de là, et mon enseignant de GSI me conseille de partir, d'aller me détendre et de ne surtout pas revenir avant la fin d'après-midi.
Alors avec ma soeur et ma mère, nous partons pour nous faire un cinéma, en choisissant le film le plus léger possible, pour essayer de décompresser de cette tension insoutenable. Shrek 3.
Un film terriblement mauvais et ennuyeux, qui n'arrive vraiment pas à la cheville des deux premiers. Pourtant, lors d'une scène où se déroule un énième gag pas drôle nous montrant un Merlin en train de dire d'une manière débile "Je suis la mouche qui pète, prout prout prout", ma soeur se met à exploser de rire sans pouvoir s'en empêcher, en essayant désespérément de se faire discrète, sans y parvenir, prise d'un fou rire incontrôlé, car repensant à certaines blagues nulles que nous nous faisons à la maison, et ne s'étant clairement pas attendue à l'entendre dans une salle de cinéma.
Tout le monde se met à rire. Finalement, plus personne ne fait attention au film. Le rire contamine tout le monde, mais plus pour cette personne prise d'un fou rire incontrôlé qui lutte désespérément pour arrêter, que pour cette daube.
Nous ressortons de la séance, et même moi, j'arrive enfin à esquisser un sourire, juste par ce moment. Non, ce n'est pas gentil, j'avoue, de rire sur l'embarras d'une personne. Mais c'était impossible à éviter.

17h. Il est temps de retourner au lycée qui nous a accueilli pour le rattrapage.

Espoir.

Les résultats sont là. Je tremble. Je prends mon courage à deux mains pour voir. Et mon nom est là. J'ai réussi.
J'ai réussi l'exploit d'avoir mon bac avec de nombreux points de retard, en l'obtenant avec une seule matière sur deux, et, bonus, en ayant rattrapé plus de points que ce que je devais. J'avoue, ce n'est pas très commun.
Mais j'ai l'habitude : quoi que je fasse, ça ne se passe jamais "normalement".

Espoir.

Pour comprendre un tel extrême, il faut remonter loin, bien loin.
Plusieurs années conditionnées et résumées à ces mots :
"C'est une plante verte."
"C'est un légume."
"Elle est anormale."
"Elle est c****."
"Anormale."
"Attardée mentale."
"La Folle."
"Quand est-ce que tu retournes dans ton asile ?"
"Pourquoi est-ce que tu existes ?"
"Tu es sûre que tes parents te voulaient ?"
"Ce n'est pas possible, des gens comme toi."
"Anormale."
"Sorcière."

"Sans amis"

"Anormale"


Des claques derrière la tête. Des chasses à l'homme. Des humiliations publiques. Des mains qui tirent les vêtements, qui ouvrent le sac. Des jets d'objets, parfois tranchants, en pleine classe. Tous les jours. Sauf étrangement l'année de la quatrième, où des alertes inondation étaient là à répétition dans la région, ce qui au final, avait réduit l'année à 3 mois d'école, ce que j'avais accueilli avec une grande joie.

Toujours répudiée, toujours isolée.

Espoir.

Alors oui, ce jour-là, je me suis effondrée en larmes.
Mais des larmes d'espoir.

"Regarde, et constate, L****. Tu n'as jamais redoublé malgré tes difficultés, et aujourd'hui, tu as réussi. Regarde tes détracteurs : soit ils ont arrêté avant, soit ils ont redoublé, soit ils ne sont même pas allés jusque-là. Contrairement à toi. Je ne veux plus jamais t'entendre dire que tu ne vaux rien. Tu es au-dessus d'eux !"

Espoir.

Ainsi je reprends le bus afin d'avoir un train, pour rentrer chez nous, ayant encore du mal à réaliser que j'ai mon dossier et ce diplôme qui signifie tant entre mes mains.

En moi, une page s'est tournée. J'ai réussi l'impensable.
La fille qui ne s'en pensait plus une, qui se coupait les cheveux et s'habillait en pulls trop larges comme un garçon pour s'effacer, avait réussi, je ne savais comment, à surpasser toutes ces personnes que je pensais sincèrement supérieures à moi. J'allais devoir apprendre à déconstruire tout ce qui avait fait ma réalité jusque-là.
Ce diplôme le prouvait. Je valais quelque chose. J'avais peut-être ma place quelque part dans ce monde, finalement. Ne me restait plus qu'à la trouver.

Espoir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0