Raymond était un brave gardien de nuit, souffrant d’insomnie. Cette affection provoquait chez ce professionnel de la surveillance, d’impérieuses périodes de somnolence diurnes contre lesquelles il ne pouvait lutter.

Par une glaciale journée de janvier, le veilleur n’avait pas ressenti le vent et le froid polaire qui s’étaient abattus sur Paris, plus précisément sur le quartier du Palais-Royal, où il avait la charge d’un stationnement à ciel ouvert. Le verglas, provoqué par les pluies récentes, avait transformé le parking en une gigantesque patinoire où les automobilistes dérapaient lamentablement, essayant de se frayer un passage, sans la moindre diplomatie, parmi les voitures prises dans une inextricable et tortueuse débâcle. Pas plus que la confusion générale, les coups de klaxons agressifs des autos n’avaient réussi à tirer le gardien de son sommeil ; Raymond, s’était endormi lourdement, insensible à la morsure du gel qui avait déjà entrepris son œuvre funeste. On le trouva le lendemain matin derrière son guichet, figé à son poste, dans cette paisible position qu’affichent les dormeurs surpris par les glaces.

On le conduisit ainsi, raidi par le froid, à la morgue de Paris, où il dégela tranquillement dans un tiroir maintenu à une température n’excédant pas dix degrés. Les gardiens de l’IML reconnurent immédiatement leur ancien collègue. Raymond avait effectivement commencé sa carrière, quelques mois plus tôt à l’institut médico-légal du quai de la Rapée, mais il avait rapidement démissionné, trouvant que l’endroit manquait quelque peu de chaleur. Tous les cadavres vous le diront, une morgue digne de ce nom, est tenue de respecter certaines normes relatives à la chaîne du froid !