Syndrome de la page blanche
L'histoire commence en 1883. Alphonse Allais, un peintre somme toute assez simplet vient d'achever sa plus belle oeuvre, celle qui lui valut plus tard l'honneur d'être cité dans l'une de mes critiques.
Après avoir prit un, deux pas de recul il baptisa sa toile "Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige". Le succès fut immédiat. Pour vous donner une idée : à l'époque notre petit Alphonse était encore plus célèbre que Picasso.
Sa réputation de peintre à succès attisa la flamme de nombreux amours. Certains disent même qu'il serait à l'origine du baby boom.
Un de ses enfants, Yvan Lekin plus connu sous le nom d'Yves Klein s'engouffra dans les pas de son illustre père. Durant des années, il conçut dans le plus grand des secrets l'oeuvre ultime, celle qui surpasserait la Joconde, celle qui déchainerait les passions, stopperait les guerres les plus infâmes, s'immiscerait à un tel point dans l'esprit du contemplateur qu'elle serait capable de convaincre des djadhistes à partir en mission humanitaire au Pérou.
Et puis un beau jour de 1954 elle fut achevée. Il prit un, deux pas de recul, et après une profonde inspiration, il baptisa sa toile "Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige bleue".
Le succès fut immédiat.
Sa toile était si célèbre, son nom si loué qu'on renomma la couleur de son tableau "IKB" : "l'International Klein Blue".
Sa réputation de peintre à succès attisa la flamme de nombreux amours. Certains disent même qu'il serait à l'origine de la chute du mur de Berlin.
Un de ses enfants, Peter Dussoni, plus connu sous le nom de Peter Dussoni s'engouffra dans les pas de son magistral père et de son illustre grand-père. Mais voilà Peter ne savait pas peindre.
Peter ne voulait pas peindre. Peter voulait écrire.
Durant des années, il essaya tous les genres, tous les formats, de la feuille A4 petits carreaux au poster A2 en passant par le papier buvard et le traitement de texte. Mais voilà Peter n'y arrivait pas. Quelque chose lui manquait, il le sentait. Cette même chose le privait du succès tant recherché. Et puis un jour, en 2018, il eut l'idée de génie ! Il s'enferma seul dans sa maison, dans le plus grand des secrets. Après un mois de dur labeur il mit un point final à son futur Best-seller.
Ca y est, il le tenait ! Le succès serait immédiat ! Il n'aurait plus à supporter l'immense presion familliale qu'il subissait depuis sa naissance. Plus jamais une femme ne refuserait ses avances ! Il contacta non sans excitation la presse internationale. Les journalistes de tous bords accoururent...
ENTRACTE
Petite anecdote sympa : sur les 1204 journalistes présents, 10 étaient des Péruviens tirés de la pauvreté par d'anciens djihadistes reconvertis en casque bleu Klein.
REPRISE
Les flashs pleuvaient, Peter s'avança fièrement.
"Je vous présente mon nouveau roman, dit-il. Mesdames et messieurs voici "Syndrome de la page blanche".
Les applaudissements, les cris de joie retentirent alors qu'il dévoilait une à une les pages monochromatiques à l'assemblée. Peter avait réussi là où tous les autres avaient échoué : élever son roman au rang d'oeuvre d'art.
Lorsqu'il fut arrivé à la dernière page, l'ovation laissa soudain place à un murmure. Les journalistes se regardèrent, inquiets.
"Il a mis un point en bas de la dernière page !" s'exclaffa un journaliste tibétain.
Les rires moqueurs fusèrent. Pauvre Peter. Le lendemain matin les journaux du monde entier relataient sa bourde monumentale. Les plus inspirés titraient : "C'est de la merde, un point c'est tout", "Il n'a point le talent de ces ancêtres", "Il n'a point compris".
La palme du jeu de mot revint à la une du Monde : "Un zéro pointé".
Peter fut oublié puis snobé par tous mais il ne put se résoudre à arrêter d'écrire. L'histoire dit même qu'il connut un petit succès sur un site internet, peuplé de gens aussi paumés que dépourvus d'a priori.
Si vous avez aimé cette histoire, je vous invite à cliquer sur ce lien pour constater par vous même l'ampleur des dégâts :
https://www.scribay.com/text/1204729224/syndrome-de-la-page-blanche-
Merci à Peter Dussoni, Yvan Lekin et Alphonse Allais sans qui ce récit n'aurait pas vu le jour.
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