3 (partie 1)
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Mia
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Le matin de l'événement, tout avait pourtant commencé normalement.
La sonnerie avait retenti, et nous nous étions tous levés dans une mouvement de fatigue collective : la nuit passée, écourtée par l'alarme incendie, nous avait tous lessivés.
Je me rappelle que du petit déjeuner jusqu'au repas du soir, personne n'avait sentit de différence, de prémices de ce qui allait nous arriver.
C'était, une journée banale, comme les autres. Nous sommes tous allés en classe, avons étudié les mêmes cours que les élèves des classes supérieures avant nous. Nous avons tous déjeuné à la cantine du lycée : poisson pané, haricots verts. Rien d'exceptionnel non plus.
À dix-huit heures, nous avons rejoint l'étude, Léo et moi. Lou et Elio s'y trouvaient déjà, et je me rappelle m'être dit que j'étais heureuse que Léo ait enterré la hache de guerre avec le nouveau.
Puis nous avons mangé, sommes allés en étude obligatoire, et avons regagné nos chambres.
C'est à partir de là, que quelque chose est parti en vrille.
J'attrape mon cahier de littérature, l'ouvre et entreprend de terminer les exercices pour demain. Il n'y en a que deux, mais plus vite ils seront faits, plus vite je pourrais aller au lit. La nuit dernière m'a épuisée. Lorsque je suis fatiguée, je deviens irritable, et je n’ai vraiment aucune envie de gâcher la journée de mes camarades par ma mauvaise humeur.
Charline, ma colocataire de chambre, est âgée d'un an de moins que moi, et est en première. Je l'apprécie beaucoup, étant donné qu'elle est presque la seule fille de l'étage à ne pas juger ma relation avec Léo. Les autres filles pensent qu'il est toxique, et que je devrais m'éloigner de lui. Sauf que, je ne vais pas gâcher une amitié vieille de quinze ans pour des filles qui ne me connaissent que depuis deux ans à peine.
Charline, elle, s'en fiche d'avec qui je suis amie, ou de ce que je pense de telle ou telle personne. C'est une fille simple, douce et intelligente, qui ne tient compte ni des autres, ni de leurs avis. De plus, elle ne comprend pas en quoi Léo pourrait être toxique. Je crois, qu'elle l'aime bien, au détriment d’un avis général plutôt négatif.
- Charline, viens voir ça.
Elle se rapproche de moi, observe par-dessus mon épaule, et me prend le stylo des mains avant de cocher la bonne réponse.
Elle aussi est en filière littéraire européennesur , ce qui fait que nous partageons les même cours, la seule différence entre elle et moi étant l’année d’étude. Je peux l’aider, et elle peut m’aider à consolider mes acquis sur avec des points de cours que j’aurais survolés l’année dernière.
- Tu vois, c'est à cause de cet extrait du paragraphe...
Je l'observe répondre à cet exercice de terminale avec une facilité déconcertante, et me félicite, lors de la distribution des chambres l'année dernière, de l’avoir choisie.
Son souffle dans mon oreille s'éloigne, lorsqu'elle a terminé ; au même moment, mon portable vibre, sur le bureau. Embêtée d’être interrompue aussi brutalement en pleine séance de littérature, je pousse un grognement rauque avant d’attraper le cellulaire.
- Décroche pas, finis tes exos, me lance Charline depuis l'autre bout de la chambre.
- C'est Léo, ça doit rien être d'important, j'en ai pour deux minutes.
La photo de mon meilleur ami sur l’écran, semble me narguer, m’éloignant de ma concentration difficilement installée avec la fatigue qui me tenaille depuis la fin des cours. Me remettre à mes exercices après cet interlude téléphonique, sera difficile.
- Oui mon bébé que j'aime ? je souris narquoisement.
- Haha, excellent. Tu as fais les premiers secours non ?
Oh. Pourquoi je sens que je vais pas aimer ce qu‘il va suivre ?
- Le nouveau fait une crise d'angoisse, viens t'occuper de lui s'il te plaît.
Et il raccroche.
Non mais je rêve.
Je recule ma chaise, préviens Charline de la situation, et quitte notre étage pour descendre les marches quatre par quatre jusqu'à l'étage des garçons.
Lorsque je déboule dans le couloir, ils sont tous regroupés autour de la porte de la chambre de Lou et Léo, si bien que j'ai du mal à passer. Jouant des coudes, et n’hésitant pas à les bousculer pour forcer le passage, je râle, m’exaspère, et finis par lancer un violent « Poussez-vous » qui arrive plus ou moins à me libérer le passage.
- Tu es au courant qu'il n'y a pas de remède magique contre les crises d'angoisse ? Il faut juste le rassurer.
- Tu trouves que j'ai une gueule à savoir rassurer les gens ?
J'ouvre la bouche pour lui répondre, avant de croiser le regard complètement ailleurs de Elio, qui assis par terre, dos au mur, respire très vite. Bien trop vite. Un sentiment d’inquiétude croissante me gagne, m’étreint la gorge : je n’aime pas voir les gens ainsi, en proie à leurs peurs, leurs démons, et sans personne pour pouvoir les en dépétrer.
- Laissez... c'est bon..., halète t-il.
Le seul problème que peut entraîner les crises d'angoisses, ce serait d'hyperventiler et de s'évanouir. Alors, pour éviter que le nouveau ne s'écroule, je m'accroupis face à lui, et pose mes mains sur ses genoux.
- Elio..., je murmure malgré le bruit environnant. Léo, fait dégager les autres mecs, c'est pas un spectacle de cirque. C’est pas marrant.
- C'est bon..., je vais bien... ça va... se calmer...
Léo s'exécute, et claque la porte après avoir chassé les garçons de la chambre, rendant ainsi l'atmosphère moins étouffante. En une fraction de seconde, le brouhaha ambiant se transforme en protestations étouffées par la porte désormais close, par le silence nous entourrant et nous assourdissant.
Lou, assis à côté de moi, tient la main gauche de Elio tandis que je tiens la droite, et nous deux, essayons de le rassurer afin qu'il se calme.
- Qu'est-ce qui a déclenché sa crise ? je demande à Lou.
- On sait pas, il était au téléphone avant de commencer à respirer comme un drogué en manque, marmonne Léo. Mais on sait pas avec qui.
- Ok..., Elio, tu m'entends ? C'est Mia, tu sais on a partagé ma couverture la nuit dernière pendant l'alarme incendie. Tu te souviens ? Sers ma main si tu t'en rappelles.
Il s'exécute, et serre ma main avec une faiblesse qui me noue le ventre. Mais au moins, il est encore avec nous. C’est le principal : tant qu’il parvient à rester en contact avec nous par le tactile, si ce n’est pas par la parole, tout va bien.
- Tu veux que j'aille chercher le surveillant ? demande Lou.
- Pour qu'il appelle les urgences ? Non, c'est bon, on va gérer, hein Elio ?
Il remue un peu la tête, et serre un peu plus ma main, tandis que je lui parle, tout bas, afin de ne pas le brusquer.
Il halète, vite, et je vois les muscles de son cou se tendre et se détendre à chacune de ses inspirations.
Doucement, je pose une main sur sa tête, au milieu de ses mèches rousses et lui adresse un sourire confiant. Lou, à côté de moi, continue de parler. Il ne faut pas que nous arrêtions, qu'il sente notre présence sans discontinuer.
Lorsque nous sommes partis en Afrique avec mes parents, pour le travail de mon père, je me rappelle avoir souvent vu ma mère plier en deux, en train de se noyer dans une respiration trop hachée, trop rapide, l’entraînant lentement vers l’inconscience. J’ai donc appris sur le tas, à gérer ce genre de situation critique : parler, insister sur des points rassurants, faire preuve de présence et d’empathie. Le seul problème avec Elio, est que je ne le connais pas. il n’est là que depuis deux jours, alors, que puis-je dire pour le rassurer ?
- Elio, il faut que tu te calmes, d'accord ? Sinon, tu vas tomber dans les pommes et alors on sera obligés d'appeler les urgences, et tes parents. Ce serait bête non ? La première semaine...
Sa main se crispe violemment dans celle de Lou, qui grimace sous la surprise de la douleur, et je pose ma main sur la joue de Elio, qui tremble désormais moins fort qu'il y a deux minutes. La seule chose qui reste la même, est son regard paniqué.
- T'en fais pas, je sais pas ce qui a pu te mettre dans cet état, mais je suis là maintenant. On est là, Lou et moi. Et Léo aussi, s’il y met du sien.
- Pardon ?!
- Oh mais gueule pas, on essaye de le calmer là !
Je tourne la tête vers Léo, qui, peu satisfait de s'être fait rabrouer de la sorte par Lou, nous tourne désormais le dos. Quel enfant ; même en temps de crise, il arrive à faire l’étalage de sa capacité à bouder pour un rien.
Sous ma main, je sens les muscles du visage d‘Elio se détendre, et je me retourne face à lui pour planter mes yeux dans les siens.
- Tu vois, pas besoin d'avoir peur.
Il ouvre un peu plus les yeux, et l'expression change, passant de peur panique à étonnement.
Puis, tout doucement, les tremblements s'estompent, et sa respiration revient à la normale.
Cinq minutes plus tard, il respire à nouveau calmement, et son corps ne tremble presque plus. Sa main serre toujours la mienne, mais plus par réconfort que par nécessité.
- Tu nous as fait peur, sourit Lou. Ça va ?
- Ouais, murmure t-il. Désolé, je..., je contrôle pas trop...
- Pas grave, mais qu’est-ce qui s'est passé pour que tu t'angoisses comme ça ?
Ma question le heurte, car son regard s'assombrit, et ses traits se tendent, bien qu'il réponde un sobre « rien du tout, ça arrive souvent pour rien ». Bien sûr, ni Lou, ni moi n'en croyons un seul mot. Cependant, ce n'est ni le lieu ni le moment de le harceler de questions auxquelles ils ne répondra pas. Alors, toujours sans être trop brusque, je me redresse en l'aidant à se relever, et lâche enfin sa main.
Un fantôme de sourire naît sur ses lèvres, et je le lui rends, avant de constater l'heure au réveil de Léo.
- Oh bon sang, les garçons, je dois remonter, le couvre-feu est passé depuis dix minutes !
Sans attendre leurs réponses je me précipite vers la porte, avant de me stopper devant celle-ci, et de leur souhaiter bonne nuit.
Sans savoir qu'à peine trois heures plus tard, nous serions à nouveau réunis, sans vraiment avoir pu en décider autrement.
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