18 (partie 1)

11 minutes de lecture

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Léo

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Je me rends compte, lorsque l'on me relâche enfin, que j'ai passé la nuit entière en cellule d'isolement, dans les sous-sols de Reborn. Le soleil est déjà levé, malgré le fait que nous soyons en décembre, et les quelques bribes de parole qui m'ont été grincées par notre référent, à savoir « Va te laver, et dégage en cours » me laissent présager que les autres sont déjà en classe.

Encore tremblant de ma nuit sans sommeil a avoir tenté de fuir le Correcteur, comme ils l'appellent, je pénètre à l'intérieur de l'internat, me hâte de rejoindre ma chambre pour prendre mon matériel de douche, et trouve enfin le temps d'aller dans les salles de bains, pour me débarrasser de toute la saleté que m'a valu cette nuit correctionnelle.

En passant devant les miroirs, je note mon aspect de véritable mort vivant, avec mes vêtements tachés de sang, mon visage couvert de croûtes brunâtres et mes cheveux collés à mon front par la sueur et l'hémoglobine. Je fais vraiment... peine à voir. Et, un instant, je trouve du réconfort à l’idée que ni Lou, ni Mia ne me verront comme ça.

Les nuits correctionnelles, sont apparemment le premier stade de punition en cas d'insubordination avec la direction : le principe est simple, enfermé toute une nuit dans une cellule minuscule, avec un Reborn confirmé, ayant pour demande de me briser les os autant qu'il le souhaitait – ou plutôt, autant que Criada et Aubert le souhaitaient. J'ai donc du passer huit bonnes heures à me faire casser les jambes, les bras, les côtes, et à attendre que mes os se remettent en place, pour que mon bourreau puisse recommencer. Et bien, si c'est ça leur premier stade, je me demande quels sont les suivants.

Un frisson me parcourt, en repensant à mon fémur perçant ma peau et traversant ma chair à vif, et je me dépêche d'allumer le jet de la douche pour me glisser en-dessous. Je regarde l'eau se teinter de rouge sur le carrelage, pour partir par la bouche d'évacuation, tout en grimaçant sous la froideur glaciale du jet.

Et moi qui me plaignait des douches ''tièdes'' de Liberty. Comme quoi, le karma sait bien rattraper ceux qui se jouent de lui.

  • Pogbal, bouge-toi le cul, je te rappelles que tu as cours !

Je grogne, termine de rincer mes cheveux, et me sèche en quelques secondes avant d'enfiler mon uniforme et de descendre rejoindre le surveillant censé m'escorter jusqu'à ma salle de classe.

C'est ainsi, les cheveux humides et la cravate mal nouée, que je pousse la porte de ma salle de classe, pour attirer tous les regards sur moi. Je dois vraiment faire pitié, car même si elle se trouve au fond de la salle, je vois Mia tressaillir, et Lou me dévisager avec une culpabilité palpable.

  • S'cusez du r'tard, il était en correction.

Madame Bercelo agite la main pour lui signaler que mon retard l'importe peu, et je sens le surveillant me pousser en avant. C'est donc à pas lourds, les mains dans les poches, que je gagne ma place, à côté de ma meilleure amie.

Je sens à son regard, qu'elle a envie de me bombarder de questions, mais également qu'elle meurt d'envie de me serrer contre elle, un peu comme à chaque fois que je sonnais chez elle, après m'être fait tabassé lors d'un combat de rue. Ce regard qui n'exprime ni condescendance, ni rejet, mais qui en dit long sur son ressenti profond.

  • Bien, reprend notre professeur. Léo, nous étions en train de parler des silencieux sur les armes...

Je hoche la tête, pour lui signifier que j'ai compris le but premier de son monologue, et l'écoute d'une oreille, reprendre le fil de son cours, que j'ai interrompu, sans vraiment avoir le choix.

Doucement, très doucement, je sens la main de Mia se glisser le long de mon bras pour saisir la mienne, et je tourne la tête vers elle. Son sourire est faux, je le remarque immédiatement, mais ne lui en tiens pas rigueur : de ce que j'ai compris du discours de Criada lorsqu'il est revenu de l'infirmerie, il a eu une légère altercation d'ordre éthique et disciplinaire avec mes trois camarades.

Elle qui déteste se faire remonter les bretelles, elle a du être servie.

  • Comment tu vas... ? me murmure t-elle.
  • Comme irait un non-humain ayant passé la nuit à se faire briser les os.

Elle hausse les sourcils, la bouche ouverte, et je la gratifie d'un petit sourire en coin, lui intimant de ne pas faire de commentaire, pour ne pas nous attirer plus d’ennuis que ceux que nous avons déjà.

  • Si ça peut te rassurer, j'ai pas dormi non plus.
  • Oh, te serais-tu inquiétée pour moi ?
  • Léo, joue pas à ça avec moi, gronde-t-elle sourdement. J'ai imaginé les pires horreurs au sujet de cette nuit correctionnelle.
  • Ah parce que se faire casser les jambes ne rentre pas dans la catégorie ''horreurs'' ?

Elle soupire, et attrape son manuel théorique pour faire semblant d'y plonger le nez, sans doute irritée par le ton de ma voix en décalage avec la nuit que je viens de passer.

En face de moi, je vois Lou me dévisager, et lui adresse un signe de tête, auquel il répond par un froncement de sourcils : autant avec Mia, le langage non-verbal fonctionne à merveille, autant avec lui...

  • C'est donc un bon moyen de passer inaperçu, notamment lors de missions d'infiltration.

Je redresse la tête, et dévisage notre professeure : je n'ai strictement aucune idée, de ce qu'elle vient de dire.

Nos premières semaines de formation, se passèrent en grande partie sans accrocs majeurs : visiblement, le message de Criada était plutôt bien passé, car même lors des petits coups de blues évidents qu'impliquait notre nouvelle situation, personne ne se rebella, ou ne se fit remarquer. À dire vrai, nous nous fîmes même tout petits. Que ce soit par la crainte de la correctionnelle, que j'avais relativement bien décrite, ou tout simplement par la peur de se faire abattre pour faute grave, ni Mia, ni Lou, ni Elio ni moi ne firent d'esclandre.

Notre intégration au sein de la classe s'était plutôt bien faite, même si tout le monde avait bien remarqué qu'une atmosphère relativement pesante planait autour de nous. En cours de sport, nous étions toujours désignés pour servir d'exemple, ou pour se faire houspiller par monsieur Yersen. À croire, qu'un véritable complot s'était dirigé contre nous.

Je remarquai aussi une sorte de méfiance de la part des militaires, qui avaient pourtant la supériorité de l'armement, face à nous. Ils nous regardaient tous avec une sorte de crainte viscérale, et allaient même jusqu'à faire un pas de côté, lorsqu'ils nous croisaient tous les quatre réunis, au détour d'un couloir. Visiblement, s’en prendre à Criada, leur chef à tous, relevait purement et simplement de la folie furieuse, folie par laquelle nous nous étions imposés.

Sincèrement, je ne sais pas vraiment ce que l'insubordination symbolise chez eux, mais ça ne doit vraiment pas être courant à en juger par leurs réactions outrancièrement excessives. Au niveau des enseignements, je ne notai rien de particulier, si ce n'est ce que nous appelons avec Mia, les cours ''d'endoctrinement'', soit quatre heures par semaine, consacrées à des vidéos et messages de propagande ventant les mérites et les idées de Reborn. Un peu comme dans 1984 en somme, sauf qu'ici, Big Brother, a réellement le droit de nous abattre, au moindre pas de côté.

Nous sommes aujourd'hui au matin du vingt-trois décembre, l’avant-veille de noël.

Je me réceptionne du mieux que je peux, après avoir été bousculé assez violemment par Jeremy, que j'ai pour mission de mettre au sol, et laisse mon regard couler jusqu'à Lou, à quelques mètres de moi, en train de se battre avec Elio. Le pauvre a vraiment l'air de ne pas savoir par quel bout prendre le fils de Criada, et je laisse un sourire moqueur étirer mes lèvres.

  • Concentre-toi sur moi au lieu de mater les combats des autres ! Ou plutôt, de mater les autres combattants.

Je réagis au quart de tour, et saute sur mon adversaire, toutes griffes dehors, avant de le faire chuter avec moi, mon coude au creux de son sternum, mon autre bras écrasant sa trachée.

Je suis bon, je le sais. En combat, je suis même excellent. Il faut dire que, en MMA ou en combat de rue, j'excellais déjà... de mon vivant. Alors maintenant que je suis physiquement augmenté, je prends un malin plaisir à trouver chaque jour de nouvelles techniques pour attaquer toujours plus fort, et esquiver toujours plus vite. C'est bien l'une des rares raisons pour lesquelles Yersen me laisse relativement tranquille : je dois être, quelque part dans le top trois des élèves de la classe en ce qui concerne le combat à main nues. En revanche, pour ce qui est du tir à l'arme à feu, ou du lancer de couteau, je suis clairement en retard par rapport à Jeremy ou Rachel, qui eux sont véritablement des tireurs hors pair. Il est vrai que parfois, les jours de grande forme, j'arrive à atteindre le cou des cibles en forme de silhouettes humaines placardées sur les murs. Mais ça reste rare.

Même Lou est meilleur que moi dans ce domaine.

  • Lâche-moi, lâche-moi c'est bon...

Je libère Jeremy, et me redresse en époussetant mon jogging, avant de lancer un regard à Mia, occupée à revoir différentes prises avec Alexia.

De ce que j'ai pu constater, elles s'entendent plutôt bien, toutes les deux. Alexia est une véritable force tranquille, avec une intelligence étonnante. Parfois, en cours, elle lève la main, et récapitule le cours de façon nette et concise, ahurissant tout le monde, à commencer par notre professeure.

  • Tous au centre ! s'écrie Yersen en passant près de nous. Bravo Pogbal.

Je roule des yeux, ne désirant pas sortir de mon rôle d'adolescent éternellement blasé, et rejoins le centre du gymnase, les mains dans les poches, avant de me planter aux côtés de Lou, qui pensant être transparent à mes yeux, essuie un léger filet de sang au coin de ses lèvres.

  • Le cours est terminé. Deux jours de repos, on reprend le vingt-six.
  • Deux jours seulement ? C'est nos vacances j'imagine ?
  • Oui, Mia, ce sont vos vacances. D'autres questions aussi pertinentes que celles de Dos ?

Personne ne fait mine de protester, et notre professeur hausse les épaules, avant de nous congédier d'un geste las du bras.

D'un pas traînant, je me rends jusqu'aux vestiaires des garçons, et y croise Tim, le regard perdu dans son reflet.

  • Tu crois qu'ils sont sérieux sur ces deux jours de repos, ou qu'ils vont nous mettre une carotte au dernier moment ?
  • Non, je rétorque. Je pense qu'ils sont sérieux, dans le sens où on est tous à deux doigts de mourir de fatigue. Ils ne se mouillent pas trop : au mieux, on va dormir durant tout notre temps libre, au pire on va squatter la salle commune de l'internat. Je vois pas ce qu'ils auraient à craindre.

La porte s'ouvre à nouveau, sur Lou et Elio, suivis de près par Jeremy, tous trois en grande conversation. Je remarque que Elio a tout de même réussi à se prendre un coup de la part de mon ami d'enfance, un bel hématome commençant à fleurir sur sa pommette.

  • Bravo Lou, je grommelle, tu as réussi à mettre un coup à Sam.
  • Arrêtes de m'appeler comme ça, c'est super puéril.
  • Ce qui est puéril c'est de répondre à ses provocations, lance Jeremy.

Un sourire moqueur étire mes lèvres, tandis que Jeremy, notre doyen de classe, retire son jogging ainsi que son caleçon, puis son tee-shirt, avant de nous faire signe et de rentrer dans la salle des douches du gymnase.

  • Pourquoi il se douche là, elle sont mieux qu'à l'internat ?
  • Sans doute, il fait ça depuis qu'on est là, répond Tim en boutonnant sa veste. Il a de la chance de pas être pudique. Moi personnellement, même avec toute la confiance que j’ai envers vous, jamais vous ne verrez mon intimité.

Il agite les sourcils, et sort des vestiaires, son sac sur l'épaule.

Je ne suis pas pudique : depuis que je suis tout petit, je n'ai jamais eu aucun problème avec mon corps, ou avec le regard que les autres pouvaient porter sur lui. Je sais, que certains en me reluquant, pourraient ne pas aimer mes lignes ou mes formes, mais je m'en fiche. Il y a tant d'autres choses, bien plus importantes, sur lesquelles s'attarder que sur le fait de s'interroger par rapport au jugement d'autrui. Comme le fait d’encore pouvoir réfléchir à notre état alors qu’on est censé être mort depuis novembre.

C'est pourquoi, en quelques secondes, je retire mes vêtements et rejoins Jeremy sous les douches communes.

En me voyant entrer, il hausse un sourcil, mais ne fait aucun commentaire, la tête levée face au jet.

Je me poste à côté de lui, ouvre l'arrivée d'eau, et suis surpris de sentir de l'eau presque tiède me couler le long du visage.

  • Tu as vu ça, me glisse Jeremy alors que je gronde de bien-être. Génial non ?
  • Carrément, pourquoi t'as rien dit jusqu'à maintenant ?
  • Je pensais pas que l'un de vous trois aurait les couilles de se mettre à poil pour venir avec moi sous les douches.
  • C'est complètement con comme argument. Et ne me mets pas dans le même sac que les deux autres abrutis s'te plaît.

Il ricane, et lève les bras pour s'étirer, tandis que je fais de même, mes muscles dorsaux plutôt douloureux, à la suite de notre entraînement quelque peu brutal.

J'aime bien Jeremy. Il est de ces garçons qui ne cherchent pas les problèmes, alors qu'il aurait de quoi en découdre. Lors des entraînements, il n'y va pas de main morte, et j'apprécie ça : au lycée, lors des cours de MMA, mes adversaires avaient toujours peur de ne pas retenir leurs coups, et ne se battaient donc qu'à moitié, ce qui m'obligeait, en quelque sorte, à retenir les miens, moi aussi. Alors que durant nos cours de l'après-midi, avec Jeremy, je peux me donner à fond, et ainsi évaluer la vrai puissance de mes attaques. Il n'a pas peur de frapper, et moi non plus : il faut dire que nous sommes de force presque égale, ce qui évidemment, nous retire un handicap.

  • Léo, me lance t-il, brisant le silence, tu viens de quel milieu ?
  • Comment ça ?
  • Bah, je m'interroge : t'es censé venir de Liberty qui est, je le sais, un lycée privé. Mais quand tu tu te bats, tu as les même réflexes, les mêmes attaques que celles que j'avais l'habitude de voir lors des combats de rues dans les quartiers sud. Du coup... t'es un bourge casse-cou, ou un mec de la rue avec une chance d'enfer ?
  • Deuxième réponse, je marmonne. J'étais boursier.
  • Et les trois autres ?
  • Lou est bourge, Mia est rentrée sur recommandation, et Elio..., j'en sais rien. C'est le fils du dirlo, ça doit être ça.

Il hoche la tête, en se frottant les yeux, avant de couper l'eau, et d'attraper une serviette à la patère de l'entrée.

  • T'es cool comme mec, finit-il par me lancer en quittant les douches. Si je devais parier sur le futur top trois de la promo, t'en ferais parti.

J'ouvre la bouche pour répondre, mais il est déjà sorti, me laissant seul dans la grande salle silencieuse, bercé uniquement par le bruit de ma douche encore allumée.

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