25 (partie 1)

9 minutes de lecture

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Elio

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David est mort. Nous l’avons appris quelques heures après le retour de Léo. Abattu pour l’exemple : désobéir au règlement de Reborn est impardonnable. Ramener de mission des objets non-autorisés, représente une entorse au règlement. Cette événement, comme tous les autres entourrant les noirs secrets de notre ‘’école’’ a vite été relayé au rang d’anecdote. Tout le monde sait, mais personne n’en parle. Un mutisme protecteur, mais surtout révélateur de la crainte de subir le même sort.

Assis au troisième rang de la salle ''d'endoctrinement'', comme nous nous plaisons à l'appeler avec Mia et Lou, j'observe le tableau numérique face à nous d'un œil fatigué.

Depuis bientôt quatre mois que nous sommes ici, chaque soir, c'est la même rengaine : on nous passe le discours du créateur même de Reborn, avant que nous puissions enfin être libérés pour aller manger. En réalité, il s'agit de nos ''cours d'obéissance'', comme ils les appellent, mais en plus condensé. Cet homme, au tableau, nous bassine de valeurs abstraites et flous, de points de vue, d'opinions, dont je ne partage pas la moitié. Il parle d'aide pour l’État ? J'appelle ça de l'esclavagisme. Il nous nomme ''agents'' ? Plutôt ''souffre douleurs'', ''martyrs'' ou encore ''chair à canon''. Il ose parler d'honneur lorsqu'il évoque notre retour à la vie grâce au Reboot ? Sérieusement, pour qui se prend t-il ? À part nous offrir une seconde vie de prison pour le seul crime d'être mort trop tôt, je ne vois pas de quel honneur il parle. Ce type n'a pas d'honneur, comme la moitié des gens travaillant pour lui, mon père en première ligne.

Depuis une semaine maintenant que Léo est revenu parmi nous, je bouillonne de l'intérieur. Je ressens en moi comme l'envie de mettre un terme à cette violence, à cette vie que l'on nous impose, en libérant enfin après toutes ces années, toute la colère que j'ai accumulée et qui refait enfin surface.

Finis le Elio qui se laissait frapper sans rien dire.

Terminé le gentil garçon acceptant de servir de souffre douleur pour un homme abjecte.

À mort, le silence et la peur : j'en ai marre d'être ce type là.

La main de Mia effleure la mienne, et doucement je lui coule un regard que j'espère tranquille, malgré l'état de rage cumulée qui me tord l'estomac.

Mia. Celle qui m'a guérit, qui m'a ouvert les yeux, et que j'ai désormais le plaisir de serrer contre moi, de sentir, de toucher. Son visage et son corps parfaits, ses mots doux susurrés à mon oreille le soir avant que nous ne nous couchions, ses caresses aériennes durant les cours théoriques, ses francs sourires rassurants durant les cours physique. Son mal être en cours de détachement, sa détresse de nous voir blesser, sa générosité, son mauvais caractère – par moment.

Son sourire, ses yeux, tout est à moi.

Ses larmes aussi. C'est pourquoi, quand elle pleure pour Léo, qui est lui-même malmené par les agents au service de mon père, je me sens étroitement visé.

Moi vivant, elle ne pleurera plus à cause de la cruelle vie que nous ont ''offert'' tous ces hommes et femmes pensant révolutionner le monde alors qu'ils ne font que le polluer. Un jour, ils mourront tous des mains de ceux qu'ils ont condamnés une nouvelle fois, en pensant les sauver.

  • Tout va bien Elio ? Tu es tendu...
  • Oui ça va, je mens en lui rendant son sourire. J'ai un peu faim, voilà tout.
  • Normal, tu n'y est pas allé de main morte cet après-midi.

J'acquiesce, me remémorant mon affrontement face à Lou, puis Paulina, où je les ai terrassés tour à tour, sans mouiller mon tee-shirt.

Plus les jours passent, et plus je ressens cette libération à administré des coups, à perforé ces fichues cibles en papier placardées aux murs. La violence, qui m'a bercée toute ma vie, aujourd'hui, me soulage. Ce n'est plus moi qui reçois des coups : j'en donne.

À mon arrivée à Reborn, je refusais de me battre pour la simple et bonne raison que je ne voulais jamais ressembler à mon piètre géniteur. Aujourd'hui, je prends le contre-pied de ce principe en imaginant ce même homme, sous mes poings. Que c'est libérateur, de frapper encore et encore, et à chaque coup, d'effacer un mauvais souvenir, ou du moins, commencer à l'estomper.

Un coup de poings donné est l'un que mon père m'a administré, qui s'efface lentement de mon esprit.

Un coup de pied, équivaut à une fois où il m'a enfermé sur la terrasse par grand froid, durant toute une nuit.

Un lancer de couteau, amoindri les nombreuses fois où il est allé bien trop loin en dégrafant son jean, pour me torturer d'une manière bien plus malsaine que les simples coups.

Une silhouette humaine en papier perforée à la tête, fait fuir le goût de la bile lorsque je repense à cette fois où ma mère ne s'est pas relevé.

Je grince des dents, et cette fois-ci, c'est Lou qui darde ses yeux dans les miens, sourcils arqués.

  • Arrêtes de gesticuler comme ça Elio, on va encore se faire roussir.
  • Quoi je gesticule moi ?
  • Oui. Ta chaise arrête pas de racler le carrelage, ça casse la tête. Calme-toi.

Mia acquiesce, à ma droite, et j'entends Léo grogner, à côté de Lou.

Depuis qu'il est revenu de son petit séjour en cellule d'isolement, il me semble encore plus irritable que d'ordinaire. Je peux le comprendre : être privé d'eau et de nourriture durant trois jours a du être un coup dur. De plus, maintenant que moi-même commence à ressentir cette colère constante au creux de mon estomac, j'arrive à mieux comprendre ce garçon semblant tout le temps sur le point de mordre. Je ne sais pas grand-chose de lui, mais peut-être a t-il eu une enfance aussi merdique que la mienne, qui sait ? On ne s'est jamais vraiment parlé outre mesure, et je ne me vois pas aller lui demander de but en blanc, d'où vient sa colère. Si il doit me le dire, il le fera. Sinon, qu'importe.

Le tableau se coupe enfin, et un surveillant fait son apparition sur l'estrade présente face à nous, pour nous interpeller à grands coups d'apostrophes plus ou moins utiles.

Ce n'est qu'au bout de cinq bonnes minutes qu'il parvient enfin à capter notre attention à tous, avant de se racler la gorge, et de sourire.

  • Chers Reborn, j'ai le plaisir ce soir de vous annoncer qu'une nouvelle classe a terminée sa formation. Veuillez les applaudir.

La classe de Jelena. Du coin de l’œil, j'avise Mia camouflé sa déception derrière un masque enjoué, avant de se tourner d'un quart de tour pour sonder la salle du regard, à la recherche de son amie.

  • Prenez le temps de vous dire au revoir ce soir, car ils quitteront le centre demain en début dematinée.

C'est rapide.

Lou, à côté de moi, se tord les doigts. Lui aussi a du faire le rapprochent : au même titre que la formation de la classe de Jelena est achevée, la nôtre le sera également bientôt. Dans deux mois, si tout se passe bien, nous seront Reborn confirmés, et donc lancés sur le terrain.

Pour infiltrer, espionner... et tuer.

À cette simple idée, un haut-le-cœur me prend.

Lorsque nous gagnons enfin la cantine, je ne tiens pas cure du fait que Mia s'asseye aux côtés de Jelena, et prends sagement place à côté de Léo, mes pâtes au poulet me faisant de l’œil dans mon assiette huileuse.

Mon voisin de table mâchouille lentement un morceau de pain plus ou moins frais, tout en avisant Lou, en face de lui.

Je ne sais pas ce qu'il s'est encore passé entre ces deux-là, mais visiblement, une sorte de tension flotte au sein de leur duo, pareille à un pré-orage étouffant.

  • Passe-moi l'eau, grogne Jeremy, quelques chaises plus loin.
  • Parle-moi mieux toi où je t'en colle une.
  • Oh blondasse, on se calme. Allez, passe le pichet.

Léo exhale, montre les dents, mais n'ajoute rien et attrape le pot d'au pour le tendre à Jeremy.

Entre eux, s'est développé un lien amical plutôt fort, sûrement dû au fait qu'ils partagent une force, un franc parler et un cynisme équivalant. Combien de fois les ai-je surpris à rire de choses immondes telles que la pédophilie ou la nécrophilie ?

Ils sont bien tombés, tiens.

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Lou

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Lorsque ma tête ressort enfin du bac d’eau dans lequel on l’avait plongée, j’inpire à m’en faire mal à la gorge, le souffle court et les yeux écarquillés par le temps infinie passé dans cette eau froide.

— Tu nous a habitué à mieux Kampa, marmonne le militaire s’occupant de moi. On recommence.

Sa main dans mes cheveux, me pousse à nouveau en avant, directement dans mon reflet formé par l’eau. Un ‘’plouf’’ sonore m’assaille les oreilles, avant que le vide sonore ne devienne mon meilleur ami. Ainsi immergé sous l’eau, je n’entends et ne vois plus rien. Seule ma concentration compte, mon mental, ma volonté de tenir toujours quelques secondes de plus.

Les cours comme celui-ci sont rares : ils ont pour butr de nous habituer à survivre lors de cas extrêmes, comme la noyade, l’exposition à de grande quantité de fumée, un étouffement, et tant d’autres choses si peu réjouissantes. Alors, nous alternons entre l’immersion dans l’eau, l’exposition aux fumées artificielles mais tout autant toxiques pour notre organisme, la mise à l’écart dans une boîte en métal dont l’oxygène est peu à peu drainé. Je crois que, de tout ce que Reborn nous a proposé de pire, ces exercices-ci, devancent de loin les cours physique et d’obéissance.

Je ressors de mon immersion aquatique environ deux minutes trente après y être plongé, et tente de me soustraire à la prise du militaire qui me retient, dans un instinct primaire de survie.

— Reprend ton souffle, et on recomence. Tu n’atteins toujours pas le temps voulu par le chef.

Je tente de répondre, mais n’arrive qu’à recracher un filet d’eau mélangé à de la salive, qui me répugne autant qu’elle ne hérisse le militaire.

— Pas possible d’être aussi dégueulasse. Nettoie-moi ça !

Il s’éloigne, et je lui adresse un majeur tendu dans son dos, avant d’attraper un torchon pour débarasser le sol du peit résultat de cette énième noyade.

— Alors Lou, on dégueule ?

— T’es déjà là toi ? Bien passé l’étouffement ?

Parfois, mes conversations me pétrifient sur place tant elles semblent surréalistes. Léo, escorté de Mia, vient de me rejoindre, mains dans les poches et sourire goguenard aux lèvres.

— Ouais au top, j’adore me voir mourir par manque d’oxygène lors de ces exercices, c’est génial.

— Il fait le fier comme ça, marmonne Mia, mais il n’en menait pas large en sortant de la boîte, tu peux me croire.

Léo grogne, lui donne un coup de coude dans les côtes, avant de se rapprocher de moi pour s’accroupir en face de moi, considérant mes gestes avec un oeil critique.

— Tu as vraiment pas de bol, cet exercice est le pire de tous, murmure t-il avec un sourire.

Je hoche la tête, tout en terminant ma besogne, avant de me redresser pour reposer le torchon, et aviser le militaire revenir vers moi d’un pas décidé.

— Pogbal, Dos, qu’est ce que vous foutez ici ?

— On a terminé nos exercices, siffle Mia avec mauvaise humeur. On a le droit d’assister à ton acte de barbarie ou tu préfère pas, histoire de garder le peu d’amour propre et de dignité qu’il te reste ?

Au regard du militaire, je constate qu’un bref instant, il a envie de frapper Mia, avant de se reprendre, et de braquer sur moi un regard brûlant de colère.

— Vous pouvez rester, mais vous fermez vos gueules, ok ?

— Ouais, ouais, pas besoin d’être aussi sec, ricane Léo, en venant s’asseoir en face de moi, derrière le bac d’eau.

De sa main, il m’indique qu’il croit en mon potentiel, et quelques instants plus tard, il disparaît, remplacé par le noir de l’eau où je viens de replonger, une nouvelle fois

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