29 (partie 2)
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Mia
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J'en étais sûre. Le chef de Redhead, n'a pas été élu chef, pour rien. C'est un homme sensé, et doué de raison : il a accepté de me rencontrer à la minute même où son sbire lui a téléphoné. Que vaut un entretien lorsque la vie entière de ton gang est menacée ? De plus, il savait que je ne blaguais pas : niveau espionnage, Elio est maître dans sa discipline, et a réussi à obtenir les noms, prénoms, et adresse de chaque membre de ce stupide gang formé en grande majorité de petites frappes rendues dangereuses par la prise de drogue dures. Il sait, sûrement de bouche à oreille, que nous avons déjà fait arrêter trois gangs, dont l'un des cinq plus grands de la région. Alors, un empire financier et commercial, ou un simple entretien avec dans l'idée de pouvoir me tuer à tout moment ? Le choix a été vite fait, j'imagine.
Assise sur le siège passager de la voiture brinquebalante de l'homme s'étant porté volontaire pour m'escorter, je fixe le conducteur d'un œil mauvais. Il ne doit pas avoir plus de trente ans, et pourtant, a déjà sur son visage toutes les traces d'une vie qui ne lui a rien épargné.
- On arrive bientôt ?
- Encore trente minutes. Notre siège est pas la porte à côté gamine.
- Rappelle-moi gamine, et je te fous un coup de couteau dans le genoux. J'ai vingt ans merde.
Il pouffe, me coulant un petit regard amusé, avant de se concentrer à nouveau sur la route.
- Non mais sans rire, vous êtes quoi toi et tes potes ?
- On est rien du tout.
- Oh allez s'te plaît, on t'a fichée chez nous, la fille ayant réussi à briser la colonne d'un mec de deux mètres d'un simple coup de genoux. T'es balaise dans ton style.
- Merci du compliment.
- Non mais tu vois ce que je veux dire. D'ordinaire, les nanas ça brise pas des colonnes vertébrales.
Je hausse les yeux au ciel face à sa misogynie à peine voilée, et me concentre à nouveau sur le paysage défilant par ma fenêtre.
Au bout de quinze minutes passées dans le silence le plus total, ma curiosité me pousse à lui poser la question qui me brûle les lèvres depuis que j'ai commencé à agir en tant qu'agent.
- Pourquoi tu fais ça ?
- Fais quoi ?
- Tout ça. Être un subalterne remplaçable à tout moment, alors que tu dois même pas avoir trente ans. Tu pourrais faire autre chose de ta vie, alors pourquoi tu fais ça ?
- Parce que tu crois que j'ai eu le choix peut-être ? Et puis, niveau sbire vous êtes pas mal non plus. Tu me feras pas croire que vous agissez de votre propre chef.
Son ton est sec, mais douloureux. Se rendant compte trop tard de son effusion de sentiments, il détourne la tête d'un geste vif, pour soupirer tout en poussant un râle d’insatisfaction.
- Je sais pas si t'as remarqué, mais aujourd'hui on se fait plus de blé en s'en prenant aux autres, qu'en leur étant utile d'une quelconque façon. Alors je m'en tape d'être un putain de subalterne, si au moins avec ça j'arrive à nourrir ma famille. Tu piges ? Le choix parfois, on l'a pas.
Je souris intérieurement, me remémorant le choix de devenir Reborn ou non, que l'on ne m'a pas laissé, à l'époque.
- Je comprends.
- Alors peut-être que ce qu'on fait est mal, et peut-être que certains le font pour de véritables mauvaises raisons, mais ancrez dans vos petites têtes de policiers de mes couilles, que certains n'ont pas le choix d'évoluer dans ce milieu, c'est clair ?
- Ouais, super clair.
- Tu as envoyé un message à ton mec, histoire qu'il envoie pas vos troupes de fous furieux exploser notre base ?
Je renifle, dédaigneuse, avant de sortir mon portable pour rassurer Elio sur ma position : « On arrive dans dix minutes, je suis en vie ».
…
Lorsque nous arrivons à hauteur d'un ancien complexe hôtelier, je comprends que Redhead pèse véritablement bien plus lourd que ce que j'avais imaginé. L'entrée est composé d'un portail en fer forgé surmonté de petites gargouilles à l'aspect romanesque, semblant accueillir les visiteurs avec une lueur de prévention dans leurs yeux de pierre. À leur vue, je penche la tête sur le côté, intriguée.
- Le Chef aime bien ce genre de babiole, personnellement, je trouve ça ridicule.
- Ça a son charme.
Mon conducteur émet un petit rire offusqué par ma réflexion, avant de donner un coup de volant pour s'engager sur un parking sécurisé par de hauts grillages électriques.
La voiture à peine garée, je m'éclipse de l'habitacle pour observer les lieux, leur grandeur et surtout, le nombre de personne qui y fourmillent comme une centaine de petites fourmis.
- On est rendus, marmonne mon conducteur, au téléphone. Préviens le Chef.
Je n'entends pas ce qui se dit à l'autre bout du fil, mais imagine très bien une sorte de standardiste préparant ma venue avec application.
Pour un gang de cette envergure, se faire balancer dans la presse à grosse audience reviendrait à une mort lente et douloureuse. La devise veut que l'on soit proche de ses amis, mais encore plus de ses ennemis.
Sauf qu'aujourd'hui, ils se méprennent : mes intentions sont nobles et purement stratégiques, c'est pourquoi j'avance en future alliée.
Nous marchons à travers une large cour, avant que mon escorte ne m'ouvre la porte de l'ancien bâtiment principal de cet hôtel qui, autrefois, devait être réservé à un public aisé. L'intérieur du hall, tapissé de revêtement kitch et à la moquette rouge, me fait penser à ces vieux hôtels fréquentés par les célébrités, dans les films des années quarante. À l'accueil, un homme de petite taille, et arborant une redingote en queue de pie, m'accueille d'un signe de tête poli, avant de nous désigner l'ascenseur, dans son dos.
- Mademoiselle, n'hésitez pas à me solliciter.
- Merci, je n'y manquerai pas.
Quelque peu gênée par la démonstration exagérée de ce majordome au rabais, je pénètre dans l'ascenseur, suivie de près par mon escorte.
- Comment tu t'appelles au fait ?
- Je suis pas ton pote, rétorque t-il avec véhémence.
- Très bien. Dans ce cas, tu seras Asshole.
- Puéril pour une fille qui se veut ''policière améliorée''. Appelle-moi Juan.
Un sourire étire mes lèvres, et mes yeux s'attardent sur sa main tatouée lançant l'élévation de notre cabine d'ascenseur, direction le neuvième étage, le dernier.
Le trajet dure quelques longues secondes, avant que les portes ne s'ouvrent sur un couloir à la décoration aussi vieillotte que le hall, à la longueure interminable.
- Aller magne-toi, le Chef nous attend.
- Jusqu'à il y a encore deux heures, il n'attendait personne.
- Joue pas à la plus maligne, tu es en territoire ennemi ici, Mia.
Nouveau sourire, qu'il balaye d'une œillade préventive, avant de me conduire jusqu'à une double porte en bois sombre, pour finalement l'ouvrir dans un geste lent, après avoir demandé l'autorisation dans un petit interphone.
Je retiens mon souffle, lorsque je pénètre à l'intérieur du bureau du chef en titre de Redhead. Une pièce spacieuse, lumineuse, meublée avec un goût dénotant du reste de l'endroit : un bureau en marbre en plein milieu de la pièce, quelques étagères remplies de livres, entourrant un petit salon, où un homme assis sur un fauteuil en velours rouge, nous presse d'entrer.
- Voici donc, sourit-il, la meneuse du groupe qui mène la vie dure à mes unités basées à Cristal.
Il me semble immense, bien que pour le moment il ne soit qu'assis, les mains sagement posés à plat sur ses cuisses. Son costume deux pièces noir assorti à une chemise bordeaux, lui donnent vaguement un air d'homme d'affaires de la haute société New Yorkaise dorée, des années trente. Entre ses doigts, un cigare fumant, et sur la table, une bouteille de pastis nouvellement ouverte.
- Prenez place. Juan, tu peux nous laisser.
Mon escorte acquiesce, me coule un dernier regard avant de quitter les lieux, me laissant seule face à cet homme d'apparence aussi fort qu‘imposant. Je ne suis pourtant pas intimidée : j'ai déjà eu affaire à des criminels plus baraqués que lui, et en suis venue à bout en à peine quelques minutes.
- Vous n'avez pas peur de rester seul avec moi ?
- Non, car je me doute que ta venue n'est en rien liée avec un homicide qui me viserait personnellement. Non jeune fille, tu ne sembles pas intéressée par ma tête, je me trompe ?
- A dire vrai, c'est plutôt votre empire qui m'intéresse, et je crois avoir en ma possession quelques cartes qu'il serait bon d'abattre avant que la chance ne tourne.
- J'aime bien ta façon de parler, je suis tout ouïe.
Sentant la victoire prématurée me serrer la poitrine, je prends place en face de lui, et mets alors pour la première fois à nue, une stratégie qui n'attendait que le bon moment pour se concrétiser.
Une stratégie à mes yeux, gagnante pour lui, comme pour nous, les Reborn.
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