39 (partie 1)

7 minutes de lecture

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Elio

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Après encore quelques informations de la part de Nodem sur notre future mission, nous sommes reconduits à la surface, loin des cellules où nous étions enfermés avec Mia depuis deux jours, pour nous retrouver dans une structure semblable au centre de formation, mais bien plus obscure de part son utilité : une base militaire nouvellement aménagée, et dont les futures recrues seront destinées à la répression de la population. Tout un programme qui me révulse autant qu'il m'attriste. Ces gens, ces parents, ces familles, se révoltent en partie à cause de Mia et moi, mais surtout du coup d'éclat de Gloria lors de son interview. C'est terrible de penser que nous allons bientôt devoir réprimer une foule agissant sous l’impulsion de nos mots, par nos déclarations.

Certes, un climat tendu planait déjà avant ce que Gloria a révélé, mais tout de même. On peut dire que son passage aux médias a été la flamme mettant le feu aux poudres, définitivement.

Des militaires, des Reborn confirmés et fidèles à la cause de Nodem, nous escortent avec une vigilance déroutante, jusqu'à un bâtiment dédié à notre logement, à l'intérieur duquel nous découvrons de drôles de cellules en parois vitrées renforcées – sécurité, et visibilité.

On nous menace encore une dernière fois sur les retombées d'une éventuelle tentative de fuite, avant de nous balancer à l'intérieur de la cellule et d'en refermer les portes dans une goulée d'air brûlante.

Je reste interdit, fixant la vitre face à moi avec égarement, avant de reporter mon attention sur mes camarades d'infortune, après un froissement de tissu éloquent.

Mia, le corps pressé entre les bras de Léo, semble totalement déconnectée de la réalité, son nez niché dans son cou et ses mains crispées sur le tissu de son tee-shirt. Lou, à l'écart, les observe d'un drôle d'air, à mi-chemin entre l'étonnement et l'agacement, avant de sursauter lorsque des bras de Léo, Mia passe aux siens en un battement de cils.

Et alors, elle se heurte à une réaction épidermique, un rejet aussi violent qu'une révulsion du corps. Repoussée en arrière par son ami d'enfance, elle titube de quelques pas, laisse ses yeux s'écarquiller, avant de hoqueter de surprise.

  • … Lou ?
  • Mia, il faut que je te dise un truc, murmure Léo en passant un bras autour de la taille de Lou, protecteur.

Ma petite amie sourcille, fronce du nez, avant de calmement s'asseoir sur l'une des cinq couchettes présente dans la chambre, et d'attente, toute ouïe.

Léo nous narre alors une réalité à laquelle nous n'étions pas préparés : celle où Lou, notre Lou, n'a pas seulement été puni par Reborn après le meurtre de mon père et des professeurs. Non, ici il nous parle de torture, d'expériences scientifiques sur son corps et son esprit et pire que tout, de la privation de ses souvenirs, de ses bribes de vie du seul lien qui aurait pu le retenir à la surface durant sa détention. À chacun de ses mots, je sens comme un poignard s'enfoncer de plus en plus profondément dans mon cœur, je vois Mia se défaire de plus en plus, et ma colère reprend du terrain.

Alors que Léo parle, Lou s'est sagement assis à ses côtés, les mains sur les cuisses, la mine basse, et je comprends enfin pourquoi il me paraissait si étrange depuis nos retrouvailles dans le bureau de Nodem.

Il ne se souvient pas de nous.

  • Je lui ai raconté beaucoup de choses, pour tenter de déclencher quelque chose en lui, achève Léo avec amertume. Mais, ça n'a pas franchement l'air de marcher. Il a une idée de vous, par le biais de mes mots, mais tant qu'il n'aura pas trouvé le moyen de laisser ses souvenirs lui revenir, il sera difficile de faire... comme avant.

Mon cœur explose das ma poitrine, et j'ai juste le temps de voir Mia se lever de son couchage, avant qu'elle ne se rue sur Lou pour lui attraper les mains et le forcer à les appliquer sur son visage.

  • Mon loup, c'est Mia. Tu ne te rappelles vraiment pas de moi ?
  • Un petit peu, répond l'intéressé avec une ombre de doute sur le visage.
  • Ça te reviendra, je te le jure. En attendant que ça arrive, dis-toi juste que ni moi, ni Elio ne te ferons jamais de mal, d'accord ? Tu es notre loup à nous, hein ? Tant que nous serons là, plus personne ne te fera de mal.
  • Tu parles comme Léo, susurre t-il tandis que ma petite amie presse son front contre le sien.

Léo et moi observons, en simple spectateurs, ces deux âmes se retrouver malgré la cécité de l'une d'elle, malgré la barrière du temps, de l'éloignement et des souvenirs.

  • Ils vont payer, grince Mia en se redressant, serrant toujours Lou contre elle.
  • Oui, mais pas maintenant. On a des bombes dans la nuque, Mia.

Elle siffle entre ses dents serrées, avant de darder son regard sur une caméra au plafond, pointée sur nous, et de froncer les sourcils.

Je crois qu'elle vient de comprendre que désormais, nous ne serons plus à l'abri nulle part.

Deux jours s'écoulent sans que nous n'ayons plus d'informations quant à notre nouvelle situation. Nos journées rythmées au gré des repas et des entraînements sportifs, je ne me rends compte du temps écoulé qu'au moment de me coucher à la veille de notre troisième jour enfermés dans cette prison de verre.

Les lits scellés au sol, Mia et moi n’avons pu les rapprocher afin de pouvoir dormir ensemble. À nouveau séparés, comme à l'époque du centre, à l'époque de la contrainte.

Pour le moment, je ne souffre pas tellement de ce manque, presque tout le temps confiné avec elle, Léo et Lou dans notre petite cellule de verre. Mais notre intimité, nos caresses et ses lèvres me manquent. C'est bête à dire alors que nous sommes en temps de crise, à quelques jours de partir pour notre première mission sur le terrain, mais j'ai besoin d'elle, aujourd'hui encore plus que n'importe quand.

Assis en tailleur sur mon couchage, mes doigts jouant distraitement avec la couverture censée me réchauffer, je fixe le vide avec un intérêt qui me dépasse. Lou est allongé sur son propre lit et semble jouer aux ombres chinoises avec ses mains tendues vers le plafond, tandis que Mia et Léo discutent, comme si de rien n'était, comme si deux ans de séparation ne s’étaient pas écoulés, en mettant à rude épreuve une amitié que j'aurais pensé amoindrie par le temps. Mais il n'en est rien : pareils à ce qu'ils étaient avant tout ça, leurs sourires, leurs touchers et leurs regards sont restés les mêmes, au détail prêt que désormais, Mia se soucie également de moi durant ses moments de complicité, comme Léo le fait avec Lou.

Je vois par les parois de notre cellule, un militaire arriver vers notre porte coulissante avec un air neutre au visage.

Il déverrouille la porte, attend que nous soyons totalement immobiles avant d'ouvrir et de tendre sa perche électrique dans notre direction en signe préventif.

  • Douche. Elio et Léo, on se bouge.
  • Super, c'est vrai que ça commençait à sentir le furet ici.

Léo se redresse et je l'imite, avant de docilement me diriger vers le militaire, à sa suite.

Les douches sont collectives – plus de place pour l'intimité de chacun – et disposent de plusieurs jets : eau, savon, air chaud pour le séchage. J'ai vraiment l'impression d'être un animal sous ces douches.

Par automatisme, je me déshabille, n'ayant plus aucune considération pour ma nudité face à Léo, qui lui même se retrouve nu sous les regards, avant de pénétrer dans la petite pièce carrelée.

  • Sept minutes, indique le militaire avant de refermer derrière nous.

Je secoue la tête, et me glisse sans plus attendre sous le jet d'eau tiède, le corps déjà frémissant par la morsure du froid.

Léo m'imite, appuyant avec désintérêt sur le bouton d’arrivée d’eau, avant de se tourner vers moi, ses cheveux lui dégoulinant le long du visage. Ses yeux noirs se perdent sur moi, et je me sens rougir à mon insu : même après deux ans, son regard me perturbe toujours autant.

  • Rougis pas Sam, tu vas pas me dire que tu es gêné ?
  • … non, je grogne avec hésitation.

Il secoue la tête, amusé, avant de prendre appui de son bras tendu sur le mur, pour ouvrir le jet de savon.

  • Hé, Elio.

Je stoppe tous mes mouvements, hagard. Au début déconcerté par ce choc émotionnel que je n'explique pas, je finis par me rendre compte de son déclenchement aussi simple qu'étonnant : Léo vient de m'appeler par mon prénom.

  • Tu connais mon prénom ?
  • Évidemment connard, t'es le mec de ma meilleure amie.

Tiens donc ! ça faisait longtemps qu'une vulgarité n'avait pas franchie ses lèvres.

  • Je voulais te remercier, marmonne t-il finalement après quelques secondes de silence. Pour avoir pris soin de Mia, et tout ça. Tu sais mec, j'avais super peur pour elle, mais en même temps je me disais qu'elle devait sûrement être avec toi, c'est pour ça que j'ai tenu deux ans. Malgré tout ce que j'ai pu dire, t'es un type bien au final. Merci de l'aimer comme tu le fais.

Nouveau choc, pareil à un coup de poing dans le ventre. Je déglutis, hésitant quant à ce que je dois répondre, et finis par me raviser, me contenant de hocher la tête avec solennité pour finir de me doucher dans le silence, et le calme retrouvé d'une relation assainie par quelques simples mots de sa part. C'est fou comme un simple aveux, quelques simples bribes de parole, peuvent changer une relation.

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