41 (partie 1)
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Elio
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Dans un mouvement délibérément lent, mes mains glissent le long du dos de ma petite amie, acculée contre le mur des toilettes. Ma jambe droite entre les siennes, j'accentue ma prise autour de sa taille, et lui vole un baiser tandis que ses mains pressantes, cherchent à me retirer mon tee-shirt.
Elle gémis sous le touché de mes doigts proches de ses seins, avant de nouer souplement ses jambes autour de ma taille.
- Combien de temps... ?
- Dix minutes avant que le surveillant ne se rende compte que nous sommes tous les deux aux abonnés absents... peut-être vingt si Léo et Lou nous couvrent...
- Tant que ça ? Large panel de possibilités du coup...
Elle acquiesce, et vient nicher son visage contre mon torse tandis que des doigts, je baisse l'élastique de son pantalon, puis celui de sa culotte.
Quelle peine, vraiment. Nous retrouver contraints à partager une intimité précaire dans les toilettes du bâtiment. J'ai un peu honte de m'infliger ça, et de l'infliger à Mia, mais que faire d'autre ? Nos cellules sont vitrées, les entraînements super surveillés, et les passages à la douche ne sont pas mixtes. Obligés de se terrer ici pour espérer profiter de quelques minutes de partage et de luxure, quelle barbe.
Les ongles de Mia s'enfoncent dans mes épaules nues, et de mes lèvres, j'étouffe un premier cri bien trop rauque, bien trop fort pour notre propre sécurité. Mes mains jouent le long de sa chute de rein, et mes yeux se promènent sur la beauté de son corps dévoilé à mon seul regard. Pense-t-elle la même chose de moi, lorsqu'elle me scrute ? Malgré mes cicatrices, malgré la pâleur de mon épiderme ? Là où Léo et Lou ont chacun un charme bien distincts, puis-je espéré me démarquer à ses yeux ? Certes, c'est moi qu'elle a choisi, qu'elle a décidé d'aimer et de chérir au creux de ses bras, mais objectivement, suis-je intéressant physiquement ?
Alors que mes hanches rejoignent à nouveau les siennes, un grésillement sonore nous interrompt dans tous mouvements, figés sur place. La multitude de haut-parleurs disposés ça et là dans les couloirs viennent de s'enclencher, un petit voyant vert clignotant désormais comme d'atroces signaux de détresse. Que veulent-ils à cette heure-ci... ?
Mia redresse la tête, la sueur lui dégoulinant toujours du front, pour capter mon regard, perturbée.
- Ça sent pas bon.
Je hoche la tête, et attends tout comme elle que la suite de ce funeste avertissement sonore, ne nous soit révélée.
- Reborn, votre attention. Afin de soutenir nos troupes déjà présentes sur les lieux d'une manifestation durant depuis déjà plusieurs jours, un groupe de renfort va être désigné. Nous vous demandons d'ouvrir vos oreilles : les non-humains dont les noms seront cités devront impérativement se rendre en salle d'entraînement pour les ordres de mission.
Mon estomac se serre douloureusement, et tandis que je me mords nerveusement la lèvre, je vois ma petite amie m'offrir un sourire réconfortant.
- Tu crois qu'on va être cités ?
- Ce serait pas étonnant, vu tout le grabuge qu'on a causé.
La liste des noms commence, et je serre plus fort contre moi le corps de Mia, laissant cette dernière profiter de mon étreinte et de mon odeur, en priant silencieusement.
- … Léo Pogbal...
Premier sursaut, bien vite suivi d'un second.
- … Elio Criada...
La liste se poursuit, et se termine peu de temps après l'énonciation de mon patronyme. N'osant plus vraiment bouger, je coule un regard à Mia, qui a blêmi en quelques secondes, pour désormais afficher un regard éteint, un sourire figé dans le temps, crispé dans la surprise teintée de douleur.
- Les fils de pute, murmure t-elle. Ils l'ont fait exprès !
- Tu crois ?
- Bien sûr que oui, plus sournois que ces types, tu meurs !
Elle se détache de moi, se rhabille rapidement tout en pestant contre le monde entier, avant de déverrouiller la porte des toilettes pour en sortir d'un bond, les pas lourds et le souffle rapide.
- Mia attend !
- Attendre quoi ? Il faut... il faut que tu ailles en salle d'entraînement avec Léo et...
- Hé !
Je la rattrape rapidement et lui saisis le bras avant de la forcer à se retourner face à moi, pour découvrir ses traits tirés par une peur grandissante à chaque seconde.
- Ils vont vous faire tuer là-bas, souffle t-elle. C'est un prétexte, ils vous envoient à la mort.
- Pas forcément, on y va pour se battre au côté de l'armée.
- Ça fait longtemps que l'armée, comme le reste du monde, n'est plus de notre côté, Elio.
Elle se dégage brusquement, et repart d'un pas rapide jusqu'à notre cellule, dont la porte vitrée est déjà grande ouverte.
Léo est encore à l'intérieur, tentant visiblement de rassurer un Lou au bord de la crise d'hystérie, ce qui n'arrange en rien la propre frayeur de ma petite amie.
- Je veux prendre ta place ! s'écrie Lou, blafard.
- Et puis quoi encore ? Si l'un de nous deux risque bien de se faire tuer au combat, c'est bien toi mon petit pote !
Le ton de Léo est sans appel, mais ce n'est pas pour ça que son vis à vis se rétracte, loin de là.
Mia de son côté, vient de donner un violent coup de pied dans la proie vitrée, qui se fissure dans un craquement sonore.
- Vous pouvez pas y aller, c'est du suicide, souligne Lou avec un hoquet dans la voix. Nodem ne veut plus de nous, c'est un prétexte, c'est...
- Tout va bien se passer mon loup, on en a vu d'autres.
- Et si vous y restez, on fait comment nous ?
Je m'apprête à répondre, lorsqu'un militaire pénètre dans notre cellule, son arme pointée sur nous. En une seconde, l'atmosphère déjà atrocement pesante s'est alourdie, rendant l'air irrespirable, le temps écœurant et les idées floues.
Du menton, il nous indique la sortie, et docilement, Léo et moi le suivons sans rien ajouter, bien conscient du poids pesant sur nos vies, à hauteur d'une nano-bombe dans notre nuque, ajoutée à une mitraillette nous ayant toujours à l’œil malgré notre obéissance.
Je passe le premier par la porte coulissante sans accorder le moindre regard à Mia – je n'ai pas envie de me heurter à son regard peiné de me voir agir sans rien dire, sans rien faire. Dans mon sillage, Léo passe à son tour l'entrée de notre cellule avant de repousser Lou de la main, ce dernier ayant vainement tenté de nous suivre.
Dans un souffle odieux, la porte se referme, et étouffe le cri de colère teinté de douleur de Lou.
Surtout garder son calme : on reviendra.
…
En soi, nous ne sommes pas énormément dans la salle d'entraînement – une dizaine environ. Depuis que nous sommes entrés Léo et moi, nous scrutons les autres Reborn autour de nous, avec une appréhension palpable : savent-ils que notre nouvelle situation de ''soldat'' est en partie due à Mia et moi, qui indirectement avons causé les manifestations et révoltes qui se déploient tout autour du globe ? Je ne m'étais jamais posé la question à vrai dire, mais maintenant que je sais que dans moins de deux jours, je partagerai sûrement un champ de bataille avec mes compagnons d'infortune, il est normal de se demander si ces derniers n'auront pas 'idée de se retourner contre moi. Ils en auraient tout à fait le droit en plus : si Nodem est l'épicentre de notre malheur, Mia et moi en sommes deux facteurs plutôt pesants dans la balance des responsabilités.
Dans le groupe, je repère bien vite Tim, qui nous rejoint d'un pas rapide, les mains dans les poches de son pantalon d'entraînement.
- Si même l'armée arrive pas à gérer la foule, on va y rester pas vrai ?
- J'espère pas, marmonne Léo. J'ai encore des choses à faire avant de mourir.
Il marque une pause, hausse un sourcil et laisse ses lèvres se muer en un rictus désabusé.
- … avant de mourir une deuxième fois je veux dire.
- On avait compris, râle Tim. Elio, dis-moi qu'on va pas mourir là-bas ?
- J'en ai aucune foutue idée.
La tournure vulgaire de ma phrase me surprend moi-même, mais je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, qu'un militaire haut gradé apparaît dans la salle, suivi de près par quelques autres hommes en treillis, toutes armes pointées. Ils marchent d'un pas commun, avant de s'arrêter face à nous, sourcils arqués.
- Reborn, voici la situation : une manifestation est véritablement en train de dégénérer aux alentours de Paris. Les forces de police et de gendarmerie, ainsi que l'armée, ont déjà été déployés sur les lieux de l'affrontement. Cependant, les civils sont extrêmement nombreux, et armés. C'est pourquoi nous avons reçu ordre d'envoyer une dizaine de nos meilleurs Reborn afin de porter secours à nos troupes.
Je déglutis, en m'imaginant au cœur du conflit que nous avons déclenchés par le biais de Gloria, et me sens défaillir.
- Nous partirons demain à l'aube, afin d'arriver aux alentours de Paris sur les coups de midi. Vous seront remis des sacs à dos contenant armes et vivres. Des questions ?
- Oui, moi ! s'exclame une fille à ma droite. Pourquoi avoir choisi de venir en France ? J'imagine que la situation politique est la même en Espagne non ?
- Pour éviter que vous ayez à vous battre contre vos proches durant les manifestations, si tant est qu'ils y participent. Ici, vous ne devriez connaître personne, normalement. Cela répond t-il à ta question ?
Elle hoche la tête, blême, avant que le militaire n'ajoute quelques informations supplémentaires, que je n'écoute déjà plus.
Ils savaient que chaque parent censé, à l'annonce de la nouvelle, iraient demander à vérifier la tombe de leurs enfants prétendument décédés. Et que potentiellement, trouvant la sépulture vide, ils se rangeraient aux côtés des manifestants, et que donc leurs enfants désormais Reborn, risqueraient de se retrouver face à eux durant la répression. Dans un tel cas, nul doute que la réaction des Reborn aurait été de cesser le combat. Nous rapatrier en France ne représente donc absolument pas un geste de leur part, afin que nous n'ayons pas à combattre nos familles : simplement une optimisation de notre valeur sur le champ de bataille. Ici, où nous ne connaissons personne, aucun risque que nous ne cessions le combat par sentiment. Aucun risque que nous ne mettions nos camarades en danger sous la pression des nano-bombes, si personne ne compte de l'autre côté e la ligne.
Bien vu. Nodem a au moins le mérite d'avoir su anticiper les événements assez tôt pour mettre en place une stratégie optimisant la qualité du combat de ses troupes de non-humains.
Reste à savoir si ces dernières seront à la hauteur de ses attentes, une fois lâchées sur le champs de bataille
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