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Lou

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Ok.

Péniblement, je rouvre les yeux en constatant une nouvelle fois que je ne suis définitivement pas dans un rêve. Ou plutôt, un cauchemar. Les yeux pleins de sécrétion, il m'est presque douloureux de soulever mes paupières encore lourdes de sommeil et de douleur.

Tout autour de moi, l'agitation règne déjà en maîtresse ; plusieurs membres de Redhead s'activent tout autour de moi, et dans un coin de la pièce, je parviens à discerner un petit groupe composé de Mia, Léo et ma mère. Un homme est à leur côté, sûrement celui dont m'a parlé ma mère cette nuit. Je me crispe en constatant ma vision floue, restreinte par la perte totale d'un de mes deux yeux. Mon monde se fissure une nouvelle fois, tandis que je me redresse pour sortir de sous mes draps et les rejoindre d'un pas traînant.

À ma vue, je vois le silhouette estompée de Léo se tourner vers moi pour me prendre contre lui. Je me laisse prendre au jeu, bien que me faire câliner soit bien la dernière chose dont j'ai envie en cet instant.

  • Lou, s'écrie Mia. On t'attendait justement.

Je hausse les sourcils dans sa direction, tout en me rapprochant avec lenteur, la peur de trébucher à chaque pas étant beaucoup plus forte que l'envie de me précipiter vers elle.

Sa main attrape la mienne, et elle m'entraîne contre elle pour m'étreindre furtivement, avant de se tourner vers l'homme trônant fièrement devant un petit bureau improvisé. Devant lui, je devine la forme d'un ordinateur portable ouvert, et la présence d'un calepin déjà ouvert et dont une page est entièrement noircie de ce que ma mère a dû lui expliquer avant que je ne les rejoigne.

Cette dernière, se retournant vers moi d'un quart de tour, m'offre un sourire timide, avant de me présenter l'illustre personnage missionné de mettre des mots sur le mal qui m'a touché.

  • Je ne suis pas spécialiste en la matière, et n'ai jamais eu affaire à Reborn, m'explique t-il tranquillement. Cependant, si ce gaz a touché tes yeux de telle sorte que tu en a perdu une bonne partie de l'usage, alors peut-être que quelques résidus de ce qui t'a touché se trouvera encore dans ton sang. Je n'en suis pas sûr, mais on peut toujours vérifié. De surcroît, j'ai déjà prélevé un échantillon du sang de Mia et Léo, afin d'avoir une vue globale du Reboot et de ses effets.

Je l'écoute attentivement, tout en clignant d'un œil, puis de l'autre, afin de pouvoir évaluer l'étendu des dégâts, mon esprit enfin débarrassé de la brume aveuglante du sommeil.

En quelques instants, je me retrouve à nouveau assis sur un lit drapé de blanc, le bras tendu dans la direction de l'ami de mon père, qui m'applique un garrot au niveau du bras.

  • Au fait, moi c'est Maël.
  • Ravi de le savoir. Maël, tu me fais super mal là.

Il sourit derrière sa moustache fournie avant de laisser un léger rire s'échapper de ma gorge.

  • Désolé. Ça prendra que quelques minutes.

Je roule des yeux, serre mon poing afin de mieux faire paraître ma veine, tout en opérant un véritable combat de regard avec Léo, lequel assis en face de moi semble vouloir me bombarder de questions.

  • Quoi ? je finis par lâcher après que l'aiguille ne se soit enfoncer dans mon bras.
  • Excuse-moi de m'inquiéter de du fait que tu ailles bien ou non.
  • C'est trop tard pour s'en inquiéter maintenant tu crois pas ?

Il ouvre la bouche, la referme, avant de se redresser pour rejoindre Mia, un peu à l'écart.

Je sais bien qu'il ne pense pas à mal en voulant prendre de mes nouvelles, mais je ne me sens pas la force de ui répondre par la positive ou la négative. À dire vrai, j'aimerais juste revenir vingt-quatre heures en arrière, et éviter ce fichu gaz, qui m'a fait perdre les trois quarts de la vue.

Je ne vois presque plus rien bordel.

Les formes sont flous, les couleurs passées, et il m'est désormais impossible de reconnaître une personne ou u objet à plus de dix mètres. Moi qui avait de l'aisance à l'arme à feu, me voilà bien vernis. Dans ma tête, j'essaye de graver à jamais les lieux, les personnes, en version HD avant qu'elles ne s'estompent au profit de cette qualité d'image VHS.

On me retire enfin l'aiguille, et je reprend mon souffle, retire le garrot, et refuse poliment le pansement que me propose Maël.

  • Tu devrais, tu vas avoir un bleu.
  • Et alors ? Je le verrais pas de toute façon.

Je saute de mon fauteuil, et pars au petit trot vers la porte d'entrée de l'hôtel, désireux de retrouver de l'air pur et du silence. De laisser derrière moi les regards condescendant de ceux n'ayant presque pas été touchés durant l'attaque de la base militaire. De fuir à la vue de Léo, Mia et Elio, qi m'ont déjà retrouvés cassé après mon séjour au centre d'expérimentation, et qui vont bientôt se rendre compte que ce dernier coup m'aura brisé bien plus que tout le reste.

Je pousse la porte du bras pour enfin me retrouver dehors, respirer à pleins poumons et repérer une sorte de banc un peu à l'écart du bâtiment. Avec précaution, je m'en approche avant de m'y asseoir, et de prendre mon visage entre mes mains.

Pas ça. Pas ma vue, pas mes yeux. Rendu surpuissant par les nombreuses injections de Reboot au centre d'expérimentation, rendu infirme par ce gaz qui m'aura privé de mon sens le plus essentiel.

Mes doigts se crispent le long de mes joue et mes dents se serrent : si ça se trouve, je vais perdre le peu qu'il me reste. Si ça se trouve, ce gaz est dégénératif et me fera perdre l'esprit ?

Je secoue la tête, gronde tout en donnant un grand coup de poings sur l'assise du banc restée libre à côté de moi.

Puis, j'entends la porte de l'hôtel claquer, et jure dans ma tête, prie pour que la personne venant de sortir ne s'approche pas de moi.

Peine perdue.

Très vite, je sens une main aux ongles plutôt long se poser sur mon épaule, avant que Mia ne s'assied à mes côtés, pour venir poser sa tête sur mon épaule. Dans le silence, sans parler, sas s'avancer sur mon état.

Un coup de vent fait voler ses cheveux qui viennent me chatouiller les narines.

  • En veux pas à Léo, me murmure t-elle après quelques minutes. Il est super inquiet pour toi.

Je laisse mes épaules s'affaisser, et ma tête reposer contre la sienne.

  • Je lui en veux pas, j'ai juste besoin de temps.
  • C'est compréhensible. Mais ne le rejette pas. Il se rend malade de pas avoir pu être là pour te protéger.
  • Il n'était pas là, qu'est-ce qu'il espérait pouvoir faire ?

Elle soupire, prend ma main au creux de la sienne pour la serrer fort, avant de redresser la tête pour perdre ses deux grands yeux dans les miens.

  • On a perdu Jelena hier. Nodem lui a tiré dans la tête.

Mon cœur rate un battement et ma gorge se serre. Cependant, je ne dis rien, ne sachant plus quels mots utiliser pour tenter de dédramatiser notre vie merdique. Je me contente de déposer un long baiser sur son front, tout en la chérissant contre moi.

Je sais que Jelena était une vraie amie pour Mia, de celles qu'elle n'a jamais eu à Liberty ou même au collège. Les filles de nos âges la fuyaient, la prenaient pour un garçon manqué, ne la prenaient pas au sérieux pour devenir une ''amie potentielle''. Du fait qu'elle soit tout le temps avec nous, elle ne partageait pas énormément de centres d'intérêt qui pouvaient attirer les autres filles : en fait, à part Charline, elle n'avait aucune amie fille. Chez Jelena, elle avait trouvée une confidente certaine, une oreille à qui se livrer car ayant déjà elle-même vécu les peurs et les dutes que mon amie pouvait lui confier. Et puis, une protection certaine. Jelena tenait à Mia, elle avait vu en elle quelqu'un à qui se raccrocher, quelqu'un de confiance, à qui elle avait juré protection. Et comme Mia me l'a souvent expliqué, son insécurité est sa tare, et la protection la lumière dont elle a besoin pour avancer.

D'une main maladroite, je caresse longuement ses cheveux aux pointes revêches avant de lui couler un « On va tout arranger » auquel je ne crois même pas.

Comment rassurer les autres, tout en n'arrivant pas à se rassurer soi-même ?

Assis comme mes amis face à Maël, je garde les yeux rivés sur l'écran d'ordinateur sur lequel s'affiche plusieurs lignes de caractères que je n'arrive pas à distinguer.

Mia, assise à côté de moi, se mord pensivement la lèvre en suivant des yeux les gestes euphorique du ''scientifique'' face à nous.

Des mains, il nous explique sa découverte sur ce qui m'est arrivé, et sur ce qui va suivre pour nous.

Léo, avait raison.

Le gaz qui m'a atteint, n'était pas un simple concentré de produits nocifs pour les yeux, non. Il y avait, en plus du reste, un mélange de plusieurs substances aux propriétés inconnues, et qui ont pu se répandre le long de mon nerf optique brûlé afin d'empêcher la régénération. Une sorte de bouclier contre le Reboot.

En apprenant cela, je frissonne : la particularité de cette nouvelle substance X, est que comme le Reboot, elle ne déloge pas de l'endroit où elle s'installe : à la façon du produit régénérant coulant dans nos veines sans interruption, ce produit ne quittera jamais mes yeux, ce qui aura pour effet de ne jamais rendre une guérison envisageable.

Ce qui est en revanche plus embêtant – selon lui – est que Reborn ait le pouvoir de nous mettre à terre d'une simple balle, et qu'il ne l'ait pas encore utilisé en vue d'un effet... définitif.

Me priver de la vue d'accord. Mais pourquoi seulement de cela lorsqu'ils auraient pu m'éliminer ?

Est-ce que la balle qui a tué Jelena, contenait ce produit ?

  • Il doit penser qu'on reviendra, marmonne Elio.
  • Et bien il a fumé, moi je vous le dis : maintenant qu'on est libres, plus jamais je remettrai les pieds là-bas !

La voix de Paulina me surprend, mais je ne fais aucun commentaire, mon avis partageant largement le sien.

  • Non, vous ne comprenez pas, reprend le petit ami de Mia. Il sait pertinemment qu'on reviendra. Et vous savez pourquoi ? Parce qu'il a tué Jelena. Parce que sans sa tête sur un pique, les manifestations ne s'arrêteront pas et feront toujours plus de morts. Parce qu'avec lui, Reborn ne fermera pas ses portes. Parce qu'il a toujours la recette du Reboot, et qu'il trouvera toujours de nouveaux sujets pour recréer des troupes. Qu'on soit clairs : on est peut-être libre, mais la communauté ne l'est pas.

Je m'humidifie la lèvre d'un coup de langue rapide, le discours d'Elio sonnant tellement juste que la réalité, autre que celle qui m'est propre pour le moment, me donne un coup de poing dans le ventre.

Nous ne sommes pas libres. Nous pourrions l'être, c'est un fait. Cependant, c'est de notre faute si actuellement, le monde se noie dans la violence et les revendications. C'est de notre faute si la répression augmente de jour en jour. C'est...

  • C'est de la folie, rétorque Jeremy avec véhémence. Tu veux que je te dise moi Elio, le reste du globe, je m'en branle pas mal. Je veux dire, ça fait trois ans qu'on souffre pour leur gueule, parce qu'ils ont été assez aveugles pour ne pas voir que leurs prétendus ''sauveurs'' étaient loin d'être consentants. Tu veux que je t'avoue un secret : la société se révolte car elle doit se révolter, éthiquement ce n'est pas correct. Mais concrètement, qu'est-ce qu'elle attend ? Que Nodem démissionne ? Que Reborn s'éteigne ?
  • Plus ou moins, j'imagine.
  • Et bien dans ce cas là ils sont encore plus bêtes que ce que j'avais imaginé. Nodem ne partirapas. Il a le gouvernement de son côté. Il a l'armée, de son côté. Il possède la composition du Reboot et de ce qu'on va appeler ''X'', pour ce qui a touché Lou. Il est intouchable.
  • Il nous suffit de le plomber, et ce sera bon.

La voix de Léo me tire de mon hébétement face à tous ces arguments et ces vérités fusant à gauche et à droit, pour ne me focaliser que sur lui. D'une main, il se dégage le front des cheveux, pour ensuite planter son regard obsidienne dans celui de Jeremy.

  • Mec, si on bute Nodem, ce sera bon. C'est le seul à assumer Reborn. Il parle bien, il est charismatique, c'et pour ça qu'il tient encore debout. Mais, du moment où il tombera, le château de carte s'écroulera avec lui. Gardons le château comme image : considérer que Nodem représente à lui tout seul, la base entière du château. Si on le fait tomber, le reste s'écroulera avec lui.
  • Et comment tu crois pouvoir faire ça ? Il a l’État de son côté, je te le répète.
  • En se préparant. Je parle pas de reprendre les bus pour retourner à Lyon et lui casser la gueule. Non, moi je vous parle d'un plan en deux phases : d'abord on retourne se planquer à Sera, comme convenu. Le truc c'est pas de se faire chopper. Ensuite, on regarde évoluer la situation sur une, deux semaines. Et après, on décide quoi faire. En sachant qu'entre temps, il nous faudrait trouver la composition du X, afin de pouvoir en créer un ''antidote''.

Je secoue la tête en me relevant, pour tourner les talons, les mains dans les poches, tandis que derrière moi, le ton monte et les voix s'échauffent.

  • Lou reviens !
  • Et pourquoi ? Vous me gavez avec vos plans. Laissez donc les civils extrémistes s'en prendre à Nodem. Peut-être bien qu'ils le feront sauter, on sait pas.

J'entends Léo gronder après moi, mais ne me retourne pas pour autant :

Je viens à peine de retrouver une liberté précaire, ce n'est pas pour retourner à la potence de si tôt.

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