Épilogue
Avachi sur mon lit, je contemple mes doigts s'écarter, puis se refermer, mes bras tendus vers le plafond. C'est fou comme la teinte de ma peau détonne moins avec la peinture qu'à mon arrivée.
Je suis presque aussi blanc que les murs.
Sur la table de nuit à côté de moi, est posé mon carnet et mon stylo, envers lesquels je suis partagé. Aujourd'hui est le jour de l'écriture, mais je n'en ai aucune envie.
Pourquoi ? Car il y a maintenant cinq ans jour pour jour, nous avons gagné contre Nodem. Nous l'avons éliminé, et rétabli un semblant d'ordre qui a ensuite été appuyé par plusieurs opérations de part et d'autre du globe. Une victoire presque totale.
Je dis bien presque, car il y a cinq ans jour pour jour, Léo, Lou et Mia, sont tous les trois morts lors de l'intervention. Une explosion, une blessure par X, un suicide.
Tandis que je rêvasse toujours, on toque à ma porte, et j'ai le temps d'entendre le bruit familier du boîtier à code avant que la porte ne s'ouvre sur mon infirmière référente, toute de blanc vêtue et accompagnée d'un chariot à roulettes.
- Bonjour Elio, bien dormi ?
- On va dire ça, je marmonne en me redressant.
Elle balaye ma tentative de perche de la main : son rôle le matin n'est pas de m'écouter me plaindre. Ce job là, il est réservé au psychiatre. Elle, doit simplement se contenter de veiller à ce que je prenne bien mon traitement , et que je sois présentable pour le repas du midi donné en salle commune.
- Tu as écris dans le carnet ? Madame Larcia t'attend dans vingt minutes.
Je hoche négativement la tête, et elle soupire tout en me tendant deux gellules que je ne connais pas, avec un verre d'eau.
- C'est quoi ?
- Ton traitement habituel, plus un relaxant.
- J'en ai pas besoin, je cingle en lui rendant.
- Tu n'as pas le choix, on sait tous les deux que cette date n'est pas facile pour toi, alors je te demande de ne pas faire d'histoire et de prendre ce cachet.
Ne souhaitant pas éterniser sa présence dans la chambre, j'engouffre les deux gélules dans ma bouche avant de boire une grande gorgée d'au.
- Très bien. Tiens-toi prêt pour ton rendez-vous. Et rempli ton carnet. Oh et au fait, Sophie Dos a appelé : elle ne pourra pas venir demain, du coup elle a décalé sa visite à la semaine prochaine.
Elle me fait un dernier signe de la main, avant de quitter la chambre sans plus m'accorder d'attention. De toute manière, depuis mon entrée dans ce service psychiatrique, il y a un très long moment déjà, elle n'a jamais été tendre avec moi. Sûrement a t-elle encore peur des Reborn, ce que je ne comprends pas, mais est-ce vraiment mon problème ? Tant qu'elle est contente et qu'elle fait un bon rapport à son supérieur, son attitude me va.
Dés que la porte se claque, je me lève et gagne ma salle de bain pour aller cracher les deux cachets dans les toilettes, puis tire la chasse.
- Tu devrais pas faire ça, marmonne une voix derrière moi.
- Ah oui ? Et je peux faire quoi d'autre ? Les avaler et devenir un légume ?
- Pas un légume, seulement un homme saint d'esprit. Tu en a pas marre que je te sermonne à chaque fois ?
Je me retourne, et croise le regard de Lou, assis sur le rebord de l'évier de ma salle de bain. Il balance distraitement ses jambes d'avant en arrière, tout en me considérant avec un mélange d'agacement et de résignation.
- J'aurais beau t'expliquer la chose par A plus B, tu n'en a rien à faire je me trompe ?
- Si je prends ces cachets, vous disparaîtrez.
- Et ne serait-ce pas mieux ?
- Sûrement pas, non.
Je quitte la salle de bain, Lou sur les talons, pour découvrir Léo assis à mon bureau, mon calepin à dessin ouvert devant lui.
- Il t'a encore conseillé de gober ces merdes ?
- Tu devrais aller dans mon sens, riposte Lou en le rejoignant. Putain, il est malade, et il refuse de se soigner, en grande partie à cause de tes conseils de merde ! Abruti !
Léo hausse les sourcils, avant de soupirer en me désignant un page du calepin.
- J'ai un plus petit nez que ça. Ça fait tout de même cinq ans que je te le répète.
Lentement, je retourne m'asseoir sur mon lit, las et fatigué. En plus de tout ça, mon anxiété par rapport au rendez-vous avec ma psychiatre me hérisse.
Il y a cinq ans maintenant, j'ai été admis en service longue durée au hospital psichiatra de Barcelona, pour schizophrénie sévère post-traumatique avec troubles associés. Autant dire qu'à la lecture de mon dossier, madame Larcia a du avoir peur. De la maltraitance à la perte, en passant par le retour d'entre les morts, la torture physique et psychologique et la violence, j'étais bien au-dessus du commun de ses clients habituels.
Nous avons beaucoup parlé, elle et moi. De ma vie avant Liberty, du court moment que j'y ai passé avant de mourir, puis du centre de formation. Mes deux années en tant qu'agent, puis l'enchaînement d'événements qui nous a conduit Mia et moi, à mener un soulèvement mondial.
Sa mort, surtout. Son corps inanimé dans mes bras, son dernier regard avant de m'éloigner du champs de bataille, mon impuissance à la rejoindre, ma résignation alors que je ne pouvais l'atteindre.
Et enfin, leurs apparitions. Eux, toujours avec moi, à me parler, comme si de rien n’était. Comme si ils n'étaient pas tous les trois morts depuis cinq ans maintenant, enterrés au cimetière de Sera.
Au début, j'ai eu peur de les voir ainsi, partout où je me rendais. J'ai été attristé et vraiment anxieux de me rendre compte à quel point leur manque me rendait fou au sens propre du terme. Puis, j'ai appris à vivre avec, et comme un dépendant, j'ai réussi à ne plus pouvoir m'en passer. À faire abstraction de mon traitement, à me persuader que tout va bien, alors que je n'ai jamais été aussi mal.
- Elio ? Elio tu m'écoutes ?
Je tourne la tête pour considérer Mia, assise auprès de moi, sa main enrouler autour de a mienne.
Je sens son touché.
- Quoi ? Tu as dis quelque chose ?
- Je te demandais comment tu appréhendais ton rendez-vous avec Larcia ?
- Elle va encore me dire que je dois prendre mon traitement. Qu'elle n'est pas dupe, qu'elle sait que je ne le prends pas.
- Tu sais mon cœur je suis de l'avis de Lou : nous sommes nocifs pour toi.
Sa main quitte la mienne, et elle se redresse pour marcher jusqu'à mon bureau et me désigner un tiroir.
Le tiroir où je range des dessins, des lettres que j'aimerais lui lire, des témoignages pour la presse.
- Pourquoi tu t'infliges ça ?
- Tu n'as toujours pas compris que si j'avale ces cachets, vous disparaîtrez pour toujours ?
- Elio, on est morts.
Je croise les bras sur ma poitrine, inspire à pleins poumons, et expire un soupir de contrariété.
Tout ce que me disent Lou et Mia, je le sais déjà. Je suis au fait qu'ils sont tous morts en m'abandonnant à mon sort. Je sais très bien que ce jour-là, d'autres ont trouvés la mort : Jeremy, Alexia, Andres, Juan. Tim lui, a survécu en se cachant dans un morceau du conduit d'aération qu'à emprunté Lou pour rejoindre Léo. Il n'en est ressorti que six heures après l'arrivée de la police.
Aujourd'hui, il vit loin de tout ça, a pris ses distances.
Et moi je suis là, enchaîné au passé, avec un choix à faire : accepter, on continuer à me détruire petit à petit.
- Au pire tu as qu'à nous rejoindre, lance Léo avec un haussement d'épaules.
- Mais ça va pas bien ? Tu lui propose de se suicider ?
- Je trouve ça un peu gonflé de critiquer ma proposition lorsqu'on s'est soi-même tiré une balle dans la tête.
Lou gronde, avant de donner un coup à son petit ami et de se retourner vers moi.
- Ne l'écoute pas. Tu dois nous écouter, Mia et moi. Prend ces traitements, remonte à la surface. Tu as vingt-cinq ans, tu as encore le temps de refaire ta vie.
- Ma vie elle a aucun sens sans vous.
Il soupire à son tour, avant de lever les mains en signe de capitulation, et se rassoit sur le bureau.
De mon côté, je me tords les mains avec anxiété, tout en marmonnant quelques bribes de paroles inaudibles et incohérentes.
- Elio.
Mia vient de me prendre les mains.
- Tu peux choisir de vivre en cage avec l'illusion de toujours nous avoir à tes côtés. Ou bien tu peux sortir de là, et vivre pour nous.
Je n'ai envie ni de l'un, ni de l'autre.
Soudainement nauséeux, je m'éclipse dans la salle de bain pour m'asperger le visage à grands coups d'eau froide, avant d'étouffer un sanglot.
Je ne sais plus quoi faire.
Lorsque je suis arrivé à Liberty, j'ai cru me défaire de ma prison. Ça a été le cas durant deux jours, avant qu'on en m'enferme à nouveau, qu'on ne m'emprisonne dans une vie que je n'ai souhaité. Puis, j'ai eu la possibilité de m'en sortir, d'enfin être libre. Et maintenant, je suis enfermé à nouveau. Avec, en options, de retrouver ma liberté au prix de mon seul soutient.
Quand j'y repense, le lycée Liberty est la cause de tous mes maux, de cette liberté arrachée.
Quelle ironie.
— Je me pose la question, donc essaie au moins de me répondre sincèrement : est-ce que pour toi, tout ceci est normal ?
Au travers du miroir, j’observe Mia me désigner ses deux amis d’enfance se chamailler, ainsi que son propre visage d’un geste circulaire.
— Non, je souffle finalement après un long moment de réflexion.
— Alors pourquoi tu ne nous écoute pas ?
— Qu’est-ce que tu aurais fais à ma place ?
— A toi de me le dire. Je te rappelle que tout ce que je dis, et fais actuellement, est le fruit de ta représentation de ma personne. Alors, selon toi, qu’aurais-je fais ?
— Tu aurais...
Je me retourne, pour pouvoir la regarder droit dans les yeux.
— J’en sais rien d’accord ? On a jamais abordé la question de votre vivant.
Elle hausse les épaules, et retourne auprès de Léo et Lou, avant de me désigner mon bureau du pouce.
— Tes dessins, nos portraits. Ils te servent à ne pas oublié nos traits. Car avec le temps, l’esprit perd en exactitude. Un jour, nous trois, nous n’aurons plus nos caractères propres, mais ceux que tu nous aura attribué depuis que tu a commencé à nous créer. Alors, ce ne sera plus nous, tu comprends ? Ne faudrait-il pas mieux t’éviter ça, et nous faire disparaître maintenant, alors que nous sommes encore nous ?
Je m’apprête à répondre, lorsque la porte se déverrouille sur madame Larcia, ses longs cheveux bruns retenus en une queue de cheval étroite.
— Elio ? Je t’ai entendu parler... tout seul, j’imagine. Tout va bien ?
La mine basse, j’attrape mon carnet dont les pages dédiés à notre rendez-vous sont encore vierges, et la rejoins sans mot dire, tandis que derrière moi, mes amis ont disparus.
Elle me couvre d’un regard l’as, tout en refermant la porte derrière moi.
Le temps que nous atteignons son bureau situé à l’autre bout du complexe hospitalier, j’ai le temps e m’imaginer ses reproches, ses regards appués, ses sous-entendus.
Elle me fait signe de m’asseoir, une fois que nous sommes tous les deux à l’intérieur de la petite pièce qui pourtant, me fait ressentir une si grande appréhension.
— On va aller droit au but, murmure t-elle. Tes médicaments, je ne suis pas dupe. Je sais qu’ils finissent tous au fond des toilettes.
Je baisse les yeux, fixe mes doigts tremblants posés à plat sur mes cuisses.
— Elio, écoute. Il faut que tu comprennes que si tu ne prends pas ce traitement, tu ne pourras jamais retrouver une vie normale et...
— Normale ? Je gronde avec mauvaise humeur.
Elle soupire, comprenant bien trop tard que les termes n’étaient pas les plus adéquat, et me demande pardon d’un sourire gêné.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire...
— Vous savez qu’une vie normale, pour moi, n’est plus envisageable. Mon père est mort, ma mère dans un coma profond dont elle ne se réveillera jamais, ma fiancée est morte brûlée, et mes meilleurs amis ont succombé respectivement à une balle dans le ventre, et une balle dans la tête. Alors comment, hein comment docteur, suis-je censé vivre avec ça ? Pourquoi ne suis-je pas mort avec eux ? Ce n’est pas juste.
— Tu as de nouveau des idées suicidaires ?
— Qui n’en aurait pas à ma place ?
— C’est pour cette raison que les anti-dépresseurs seraient bons pour toi, Elio. Je te rappelle que tu es interné ici pour mise en danger d’autrui et de toi-même.
Je tords mes doigts, furibond contre moi-même, avant de redresser la tête pour la dévisager.
Son visage me répugne. Son sourire condescendant me hérisse. Comment peut-on être aussi insensible en étant psychiatre ?
Je sais bien que pour elle, je ne suis qu’un patient de plus, un cas à traiter et à résoudre, et le fait que je refuse de prendre mon traitement la dépasse. Si je refuse de e soigner, ce sera un échec pour elle. En réalité, c’est la seule chose que je représente pour elle : un objectif mensuel, annuel, à atteindre.
Et je ne lui donnerai pas ce plaisir.
—Tu n’es plus en contact avec Timothy Garvani ?
— Non. Il s’est éloigné de tout ça. Je ne veux pas être la seule chose à lui rappeler encore et encore la vie merdique que nous avons eu jusqu’à la chute de Nodem.
— En parlant de !ça, savais-tu que ‘’l’affaire Reborn’’ entre au programme scolaire à partir de la rentrée prochaine ?
Super. Comme ça, les jeunes générations apprendront le nom de mes amis, le mien, en tant que héros de ce mouvement. De la révolte, et de la réussite d’un soulèvement mondial face à un progrès mal géré de la science moderne. Et ils apprendront sûrement également, que Mia Lou et Léo sont morts en héros, tandis que moi, je moisis dans un hôpital psychiatrique.
— Génial.
— Tu n’as pas l’air enchanté.
— Effectivement.
Sur la chaise à côté de moi, Léo vient d’apparaître, et à négligemment étendu ses jambes sur le bureau de ma psychiatre. Il la regarde d’un sale œil, tout en se grattant l’arrière du crâne.
— Espérons que si nous apparaissons en photo, ils aient choisi mon meilleur profil.
Je l’ignore, et croise mes doigts sous mon menton.
Peut-être que la parution de notre histoire dans un programme scolaire, marque en réalité la fin de cette dernière. La fin définitive. Mes amis sont partis, et il faut que je les défasse es entraves que je leur ai passé au poignets.
Mia a raison : avec le temps, ils disparaîtront au profit d’autres, que j’aurai créés pour palier mon manque.
Au dehors, il reste Sophie, Hector, Gloria. Il reste des gens à rencontré, des personnes à découvrir. Et surtout, il existe des personnes à qui raconté mon histoire et celle des autres Reborn ayant marqués ma vie.
Je fronce les sourcils, en réfléchissant activement à une possibilité qui soudain, me paraît lumineuse.
— Toi, tu penses à quelque chose, me lance Léo.
— Madame Larcia, combien de temps cela me prendrait-Il pour suivre une formation de professeur ?
Totalement déstabilisée par ma question, elle se penche en avant tout en me fixant avec interrogation, avant de hausser un sourcil.
— Professeur de... ?
— Histoire.
Son étonnement triple, se mue en une surprise passant de l’incertitude à la joie en une petite fraction de seconde.
—Vraiment ?
— Vous l’avez dis vous-même, pour le moment, je n’ai aucune motivation viable. Pzut-être que, je pourrais... c’est une hypothèse hein, mais... enseigner l’histoire aux jeunes. Me spécialiser dans l’histoire Reborn, et ainsi garder un lien avec mon passé mais un lien moins... maladif ?
Léo me fixe avec de grands yeux étourdis mais s’est tout de même paré d’un sourire satisfait de cette pensée fulgurante et soudaine.
— On peut demander à ce que tu suives une formation n accéléré. Ça te prendrait... deux ans peut-être ? Néanmoins, si je t’autorise à suivre ce cursus, je veux tout d’abord être certaine que tu prendras tes médicaments. Et ne crois pas que nous te laisserons sortir d’ici avec tes belles idées d’avenir radieux et de reconstruction soudaine. Tant que nous ne t’’aurons pas estimé apte, tu suivras ta formation ici.
— Très bien.
Elle s’attendait visiblement à un refus de ma part de me plier à ces conditions, et est donc une nouvelle fois étourdi par ma réponse.
— Ok... euh... On en reparlera la semaine prochaine, le temps que tu y réfléchisse bien et que je me renseigne sur le possibilités de formation.... Mais, ce serait vraiment génial, Elio. Rédige-moi une lettre de motivation pour la semaine prochaine. Que j’ai de quoi défendre ton projet aux collègues.
Je hoche la tête, un minuscule sourire aux lèvres.
Ce projet pour le moment, n’est qu’une ébauche. Il demande à être profité, mais il serait réalisable. Il serait bénéfique.
Raconter notre histoire, ne pas rompre totalement avec mon passé, tout en le rendant positif et viable.
Il faut que j’y réfléchisse encore un peu mais...
... le lendemain, lorsque l’infirmière m’apporte mes médicaments,, comme chaque jours depuis cinq ans maintenant, je les mets dans ma bouche. Sauf qu’à la différence de toutes les fois précédentes, cette fois-ci, je les avale.
Et, tout en sentant les gélules glisser le long de ma gorge, j’ai le temps d’aviser Mia, Lou et Léo, assis sur mon bureau, m’adresser de grands signes d’encouragement. Ils portent sur leurs visages toute la bienveillance qu’ils accordent à ma décision et ma prise d’initiative nouvelle.
Je ferme les yeux. Puis les rouvre.
Ne reste que Mia. Elle s’approche de moi, se penche, dépose un baiser sur mon front, avant de contourner l’infirmière, et de sortir de ma chambre en même temps qu’elle. Une dernière fois, je
— Au revoir, Elio.
Et la porte se referme.
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