2 – On ne lâche rien – 3 juillet 2024
Quatre jours. Je me lève chaque matin avec l'impression de vivre dans un film d'Alfred Hitchcock, ceux où le suspense des quarante dernières minutes grossit à mesure que file le décompte d'une bombe censée exploser dans un lieu public. Quatre jours. Nous saurons dimanche soir si le pays aura basculé dans la veulerie et l'horreur.
Et pourtant nous avons encore quatre jours. Quatre jours pour éviter de sombrer, tous, chacun, individuellement. La dépression guette les cibles privilégiées de l'extrême-droite : les racisé.e.s, la communauté LGBTQUIA+, les femmes, les Gitans, les Roms, les migrants, les opposants politiques, surtout ceux identifiés à gauche, les antifas. L'heure n'est pas aux règlements de comptes ni au mea culpa. Qu'Ariane Mnouchkine me pardonne mais sa mauvaise conscience de classe, ma foi, qu'elle se la garde. Il sera toujours temps, plus tard, de refaire l'histoire et de pointer du doigt les comportements qui, à gauche comme à droite, ont favorisé la propagation des idées d'extrême-droite.
Petite parenthèse, le terme « idées » s'applique-t-il vraiment à l'extrême-droite ? Doit-on réellement qualifier ainsi ce qui relève au mieux de la passion, au pire de la folie, de la bêtise, de l'ignorance ? Les racistes, en fin de compte, ne portent pas un projet de société. Leur objectif n'est pas de construire mais bien de détruire. Détruire les liens sociaux et ce sur quoi ils reposent : le maillage associatif, les rapports personnels entre membre de communautés présentées comme essentiellement différentes, voire opposées, les institutions garantissant le fonctionnement de la société, les services publics à vocation égalitaire. Certes, l'extrême-droite ne touchera pas à la police, le seul service public qui trouve grâce à leurs yeux, mais nous savons depuis longtemps pour qui vote la majorité de ses effectifs.
Non, l'extrême-droite n'a pas d' « idées ». Je dirais même qu'elle manque singulièrement d'imagination. Sans doute faudra-t-il réfléchir ensemble à une redéfinition de certains termes. L'extrême-droite n'est pas une réservoir à idées mais un nid de pulsions, celles qui surnagent dans l'inconscient collectif, celles qui s'enracinent dans la frustration psychologique, sociale, relationnelle. Autre tropisme à ré-évaluer : le fameux vote de protestation, celui qui excuse d'emblée le partisan de la dernière erreur. Aux dernières nouvelles, ce sont encore des adultes qui votent et je ne vois pas pourquoi il faudrait leur ôter le poids de la culpabilité. Voter FN/RN, c'est voter pour le fascisme, c'est voter pour le racisme, l'antisémitisme, l'exclusion, l'homophobie, le refus d'apprendre, le refus de comprendre, le refus de l'empathie et le repli sur soi. Voter extrême-droite, c'est tourner le dos à la vie, à la nature et à l'humanité. Je ne sais pas si, comme disait Desproges, « l'intelligence est de gauche » mais nous savons tous que la bêtise aveugle et cruelle est d'extrême-droite.
Revenons aux fondamentaux : l'extrême-droite, on a essayé. C'est Hitler, c'est Pétain, c'est Franco, Pinochet, Salazar, les Colonels en Grèce, la junte militaire en Argentine... Allez voir, vous là, les complotistes, les prétendus « antisystème » qui aimez tant « faire vos propres recherches » : les faits sont avérés, démontrés, chiffrés : des morts, des « disparus », des torturés, des exilés.
Revenons aux fondamentaux : la gauche, c'est le progrès, c'est un petit pas vers la vie. La droite, républicaine, précisons-le tout de même en hommage aux figures qui s'engagent dans un front démocratique hélas encore fragile, c'est l'intérêt individuel qui prime sur le collectif. La gauche, c'est le contraire. L'extrême-droite se sert de l'une contre l'autre pour mieux tuer l'opposition et rafler la mise en dernière instance.
Revenons aux fondamentaux : « la démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres. » Winston Churchill, auteur de ces mots, se révéla un piètre ministre en temps de paix : ultralibéral, aristocrate de cœur, conscient de ses privilèges de classe, il mena, à l'instar d'un Macron (toutes proportions gardées), une guerre contre les pauvres plutôt que contre la pauvreté. En temps de guerre, pourtant, lorsqu'il fallut résister à l'Allemagne nazie, il fut d'un courage sans limite et une source d'inspiration. Nous n'avons qu'un ennemi, c'est la haine. Et la haine est du côté de l'extrême-droite.
Pendant ces quatre jours, je vous prie de penser à Churchill. Je vous invite également à vous préparer. Quoi qu'il arrive dimanche, l'extrême-droite a progressé de façon spectaculaire. Elle nous gangrène, telle une vérole ou un cancer. Quoi qu'il arrive dimanche, nous devrons la combattre et nous en débarrasser. Le combat n'est jamais fini.
Ils veulent la division ? Nous devons nous rassembler, créer du lien. Alors rejoignez les associations, n'importe laquelle pourvu qu'elle s'accorde avec les règles de la démocratie. Rejoignez la Ligue des Droits de l'Homme, Attac, Amnesty International, soyez présents, parlez à ceux qui vous ressemblent et à ceux qui ne vous ressemblent pas. Vous trouverez davantage de points communs que de différences.
Ils veulent nous désinformer, nous noyer sous les fake news et le mensonge ? Informez-vous. Lâchez les médias traditionnels et lisez Mediapart, Politis, Blast, le Canard enchaîné, le Monde diplomatique, l'Humanité. Cherchez ceux qui vous apportent de vraies infos et fuyez ceux qui se contentent de relayer une opinion. L'opinion, ce n'est pas du journalisme et le journalisme est un contrepouvoir qui garantit une indépendance de la pensée.
Ils veulent nous rendre stupides ? Ha ! Qu'ils s'accrochent ! Lisez, lisez, lisez ! Et défendez vos enfants dans les écoles. Ne bradez pas leur cerveau, leur avenir, leur savoir et cet élan qu'ils peuvent développer pour peu qu'on les y encourage de se mélanger à d'autres qui ne partagent pas la même culture.
Ils veulent nous étouffer ? Préparez-vous, affûtez vos imprimantes, soyez prêts à produire des tracts, des affiches, des pamphlets. La lutte est longue mais elle vaut le coup.
D'ailleurs, vous ne le sentez pas, le vent qui tourne ? Timide, léger, un vent d'été plutôt qu'un vent de tempête : les désistements du Front populaire en faveur des candidats Renaissance, les désistements de Renaissance, certes moins nombreux mais significatifs, en faveur de la gauche ? Vous ne le voyez pas ? Dans mon entourage, certains proches qui se disaient macronistes ont voté à gauche dès le premier tour, démontrant leur attachement à la république, et s'avouent consternés par la position d'Edouard Philippe, rassurés par celle d'Attal, qui dès le premier soir a refusé de transiger avec la démocratie. Nous ne sommes pas des castors qui faisons barrage contre un parti quelconque. Nous sommes l'expression ultime de la démocratie.
Résistance.
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