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En bon grand frère, Corentin avait réglé l’alarme. Lucas émergea, s’étonna de cette promiscuité avec un homme au phallus aussi gonflé que le sien. Devant ce corps gracile et ce sourire, ses aventures de la veille lui revinrent. Vingt-quatre heures plutôt, il était un étudiant sage, tout frais émoulu de chez papa maman, bien dans sa tête et ses baskets. Les études qui marchaient bien, une famille aimante, les copains et l’équipe de basket, le violoncelle, tout était « normal », avec un avenir partagé avec Marie devant lui. Ce monde s’était effacé en quelques heures, ouvrant sur un univers parallèle.

Il s’était fait tripoter le sexe, avait été sucé, caressé intimement par des inconnus. Il avait embrassé avec plaisir, ô combien !, un homme qui le troublait. Il était plein, sans savoir de quoi. Ce qui le perturbait le plus était son absence de regrets. Que se serait-il passé sans cette annonce et le refus de Gaspard ? Aurait-il, un jour, vécu aussi intensément ? Il regarda son compagnon qui lui souriait. Il y avait tant de belles choses dans ses yeux. Il s’attarda, enivré également par leurs odeurs mélangées du réveil. Posant la main sur le ventre si doux, il la fit glisser vers le bas ventre, voulant retrouver cette sensation d’interdit merveilleux, de raideur. Sa main glissa sans retenue. Il se pencha, voulant humer, embrasser cet objet nouveau.

— Non, Lucas ! Ce soir, demain, plus tard. Ne gâche pas. Prends ton temps !

Il rendit son sourire à Corentin, qui craqua en l’embrassant. Cela semblait si naturel que Lucas oublia qu’ils étaient deux hommes. L’affection était déjà trop forte.

Il était cependant nécessaire de mettre un peu d’ordre dans cette vie nouvelle. La douche était si minuscule qu’elle obligeait à se sécher en dehors, sous les regards de l’autre. Lucas restait en admiration devant son compagnon et ressentit l’évidence d’aller plus loin avec lui. Cette décision secrète arrêtée, il lui demanda simplement comment organiser LEUR prochaine soirée, avant de filer à ses cours. Il sortit. Corentin le regarda s’éloigner, le cœur en feu. Lucas stoppa, remonta quelques marches pour prendre son énergie de la journée sur des lèvres déjà adorées.

Il redescendit, s’arrêta, prêt à remonter pour ne pas quitter ce bonheur. Sa raison l’obligea à continuer son chemin, le gout délicieux de la bouche de Corentin dans la sienne.

Il acheta des pains au chocolat qu’il enfourna d’un air béat dans le métro. Le spectacle de ce bel adolescent avalant ses petits pains avec un visage rayonnant de bonheur appela des sourires sur les visages de ses voisins de rame.

Arrivé en retard, il remonta l’amphithéâtre et put se caler en haut contre un garçon qui montra son désagrément. Lucas vit son bras courir sur la feuille, prenant des notes. Il était aussi fin que celui de Corentin. Des vagues de bonheur l’envahirent, sans doute perceptibles par son voisin qui se tourna vers lui, découvrant un visage mangé par une tache de vin. Lucas ne vit que ses yeux, y lut le regard de Corentin et lui lança un sourire irrésistible. Le jeune fut étourdi par ce bref échange, perdant le fil du discours professoral.

Le cours magistral, à mille lieues de ses préoccupations, laissa le temps à Lucas de s’interroger sur le plaisir qu’il avait ressenti à se faire tripoter par des hommes inconnus, d’un certain âge. Il trouvait maintenant cela malsain, tout en rêvant de retrouver cette sensation. Il n’arrivait pas à savoir à quoi était dû ce plaisir : mains masculines, mains inconnues et sans lendemain, mains flatteuses et envieuses de son corps ? Son attirance pour Corentin lui posait moins de problèmes. Il était vraiment friand de ce type de corps. De plus, il avait une grâce féminine certaine. Bien sûr, il y avait son pénis, mais cela ne le rebutait pas. Parce que c’était Corentin. Il essaya de penser au sexe du professeur, à ceux de ses amis : tous le dégoutaient. Encore une étrangeté à comprendre.

Un appel silencieux de sa mère le ramena à une autre réalité. Petit dernier de la fratrie, ses deux sœurs aînées étaient mariées et bourrées de nains. Il adorait ses neveux et nièces qui le lui rendaient bien.

Il repensait à son réveil. Qu’avaient-ils fait cette nuit ? Sans doute rien. Mais tenir ce corps lové dans le sien avait été une chose merveilleuse. Il serra ses biceps autour de ce rêve. Corentin lui proposerait-il de redormir ensemble ? Sans doute ! Il était homo et attiré par lui. En revanche, jamais lui, il ne le demandera à Corentin ! Ce serait une avance inconvenante qui pourrait laisser croire qu’il veut plus.

Il pensa aux conséquences de ce qu’il venait de vivre, et surtout à celles à venir s’il continuait. S’afficher dans une telle différence, vu le caractère de ses sœurs dont il était le petit dieu, était tout simplement impossible. Sans parler de ses parents, catholiques pratiquants, très ouverts, mais jusqu’où ? Affronter la famille lui semblait redoutable. En évacuant le grand-père qui le couvrirait d’injures et de grossièretés : lui, le seul mâle apte à transmettre le nom. Dans quoi s’était-il embarqué ? Entre le plaisir, un peu trouble, et la raison, il était devant un choix.

Il se rassura. Il avait trouvé un petit boulot rémunérateur, un peu spécial, certes, mais surtout un amusement. Il n’était pas obligé de détailler l’endroit où il assurait son service. Il n’était pas obligé d’afficher son attrait pour un autre. Au moins dans un premier temps. Après, on verra !

Son plaisir avec Corentin… Oui, il pouvait le prendre sans crainte, car il n’impliquait rien, se mentit-il. Corentin, un grand ami, du moins, l'espérait-il. Ils n’étaient pas allés très loin et cela ne voulait rien dire. Il put se reconcentrer sur le cours, juste avant sa fin.

L’appel de Marie le bouleversa beaucoup plus. En décrochant, il se rendit compte que c’était fini. Son affection pour elle, forte auparavant, était ridicule par rapport à celle qu’il éprouvait pour ce garçon rencontré la veille. Pourtant, Marie était la meilleure aventure qu’il ait jamais eue. Intellectuellement, physiquement, affectivement, elle était une fille superbe. Sauf qu’il avait mille fois plus envie de vivre avec Corentin qu’avec elle. Sexuellement, il en était aux prémices dans les deux cas. Normalement, il aurait dû rentrer ce weekend pour le passer avec elle. Ils n’avaient rien décidé avec Corentin, mais de ce côté, c’était la perspective de deux soirées intenses au Club et peut-être deux jours avec Corentin. Le choix était facile. Il trouva un mauvais prétexte, avant de la couvrir de baisers téléphoniques. Quelle légèreté ensuite ! Il était libre ! L’après-midi ne fut plus qu’une attente.

Il tournoyait sans cesse entre le besoin de se sentir dans les bras de Corentin, la pulsion profonde de se retrouver dans un contact sexuel. L’image de son pénis ne le quittait pas. Il se refusait à la moindre introspection, susceptible de l’empêcher de retrouver sa nouvelle raison de vivre.

Son jeune camarade d’amphithéâtre avait tenté de lier conversation. Lucas aurait accepté avec plaisir, car on sentait un garçon timide et sensible, forcément intéressant. Dans son état d’esprit, il lui fit comprendre gentiment qu’ils se reverraient, un autre jour.

Gaspard le croisa.

— Alors, ton club privé ?

— Et toi, ta cave à malbouffe ?

— Pas le pied. Ça pue, les gens sont pas sympas, ça paye pas !

— C’est sympa de me l’avoir évité !

— Et toi, alors ? C’est un club de rencontres ? Tu as pu sauter des meufs ?

— Désolé ! Je n’en suis pas encore là ! Je te raconterai !

— Vas-y !

— On est simplement déguisés. Les clients regardent et donnent un bon pourboire s’ils apprécient. Je me suis fait 85 euros en quelques heures.

— Putain d’enculé ! Il y a de la place pour moi ?

— Je te ferais signe ! Salut, je suis pressé.

Lucas avait été choqué. Il devinait que si Gaspard avait connu la nature du club, il aurait débité des propos homophobes, pas tellement différents, finalement, de ceux qu’il aurait lui-même tenus un jour avant. Il n’était pas fier d’avoir tu la vérité. Mais c’était tellement nouveau qu’il ne connaissait pas encore les mots. Surtout devant un connard comme Gaspard.

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