En fait, Joe avait approché Fred pour avoir de l’aide. Faire du rabattage rapportait gros, beaucoup plus rémunérateur que le club. C’était des gens efficaces et renseignés. Notamment, ils savaient d’où venait Kevin et les représailles possibles s’ils s’attaquaient à lui.

Fred avait alors compris le turn-over des petits serveurs. Il avait contacté la police et servait d’indic. Joe avait tout avoué facilement, soulagé par cette arrestation. Les menaces étaient devenues très claires avec la non-restitution de téléphone. Il était temps, car le réseau était en cours de démantèlement. Deux jeunes, traumatisés, avaient pu être récupérés, sur la cinquantaine qui avaient été vendus. Pour les amis et les parents de ceux-là, seul un deuil douloureux et inachevable s’offrait à eux.

La mauvaise nouvelle fut d’apprendre que la police avait pu identifier ainsi un corps retrouvé quelque temps auparavant. Ludovic, Armand, avait été torturé avant d’être exécuté.

Lucas revit Gabriel pour ses dépositions. Ils sympathisèrent et Gaby devint un ami du couple. Célibataire endurci, sautant d’aventures rapides en aventures express, il trouva amitié et chaleur auprès de nos deux héros. Sans oser l’avouer, il appréciait les bonjours et les au revoir de Lucas, toujours ponctués par un baiser langoureux sur la bouche. Il aimait sentir la fraiche vivacité de celui qu’il avait tenu, à moitié nu, sur ces genoux, un trop court instant. Lucas lui dispensait cette affectation avec générosité, sans arrière-pensées, ce qui les rendaient encore plus plaisantes.

Le club fut fermé. Pour tous, ce fut une période difficile, car il procurait des ressources précieuses. Ils se connaissaient bien physiquement, un peu moins bien affectivement et pas du tout administrativement. C’est Gabriel qui leur fournit la liste de leurs coordonnées.

Lucas et Corentin leur proposèrent de se revoir une dernière fois, pour se quitter amicalement. Contre toute attente, ils acceptèrent tous avec enthousiasme. Après des retrouvailles et embrassades chaleureuses, après avoir parlé et ressassé cette aventure partagée, ils se lamentèrent sur la perte et le manque que représentait cette fermeture. Chacun selon son caractère avait éprouvé un réel plaisir à cette offrande de leurs charmes. Cette admiration monnayée était trop flatteuse pour être oubliée.

C’est Isa, de sa voix fluette et chantant qui proposa :

— Et si on continuait ?

Silence.

— Continuait quoi ? À se voir ?

— Non ! Le club ! J’ai regardé. Il s’agit d’un bail commercial classique. La fermeture administrative permet de le casser. On peut le reprendre…

— Ah oui, belle idée !

— Eh, je ne fais pas des études juridiques pour des prunes !

— Formidable ! Je peux facilement trouver des capitaux pour le racheter !

— Jean-Eu, ne ramène pas ta grosse bite immédiatement !

— Eh ! Lequel d’entre vous ne l’a pas appréciée ? Et qui n’en a pas redemandé ?

— C’est vrai que tu es bien monté et que c’est plutôt agréable. Mais là, tu la ranges et tu nous fous la paix.

Voir le plus frêle maitriser le dominant les laissa pantois.

— En fait, mes frères, je pensais que nous pouvions monter une coopérative !

— C’est-à-dire ?

— On partage les frais, la gestion, les bénéfices. Un homme, une voix !

— Explique !

— Moi, les trucs socialo-communistes, j’aime pas !

— Jean-Eu, tu sors de ton personnage de gros con. Tu nous fatigues et tu ne nous impressionnes pas ! Tu marches avec nous où tu te casses !

— Ça fait deux ans que je bosse avec vous. Je ne vais pas laisser tomber vos petits culs ! Je veux dire que je marche avec vous !

— Super ! On va avoir besoin de ta grande gueule pour aller négocier !

C’est ainsi qu’est né le Gay poulbot !