Dylan (2)
Sur le parvis de l’église, David s’éloigna sans un regard pour Dylan qui retrouvait sa place d’ignoré, mais avec un énorme trésor dans le cœur.
Il avait appris, quand même, qu’à Notre-Dame, où David était, c’était une pratique courante chez les pensionnaires. Il demanda donc à rejoindre cette école, sous prétexte d’être mieux suivi. Le coût était important, mais l’intégration dans une école religieuse un gage de sérieux auquel ses parents souscrivirent sans trop barguigner. Le cœur de Dylan battit plus vite à l’approche de cette entrée dans un supposé paradis.
Arrivé dernier, il eut la plus mauvaise place du dortoir, celle contre la porte-battante qui donnait sur les sanitaires. Si la plupart se dévêtaient devant les cabines de douche, d’autres paraissaient fiers de traverser le dortoir dans le plus simple appareil, parfois la serviette sur l’épaule, laissant voir toutes leurs parties onduler au rythme de leurs pas, amenant Dylan aux bords de la folie.
Lui-même était traversé par une contradiction. Il n’aimait pas son odeur, si différente de celle de son enfance. Il avait besoin de sa douche quotidienne. Mais cet environnement, surtout les sanitaires, provoquait une réaction incontrôlable et quasi permanente. Il était donc obligé d’attendre la presque extinction des feux pour ses ablutions, tentant de dissimuler son anomalie dont il était pourtant fier, regrettant de ne pouvoir la faire admirer.
Quelques allusions lui firent comprendre qu’il était catalogué comme pédé, le même mot que celui de David. Il savait que c’était une injure, l’ayant souvent entendue dans la bouche de l’oncle Jean, au grand dam de ses parents, mais il en ignorait la signification. Dylan soupçonna David d’être à la source de cette rumeur. Depuis la rentrée, il ignorait, manifestement un peu trop, son ancien camarade de jeu. Toujours entouré d’un nuage de « sauterelles », comme Dylan surnommait les filles crépitantes de leurs rires stupides. Il n’en aimait aucune, mais il était blessé quand l’une d’elles le regardait en lui renvoyant toujours l’impression d’être un étron. Pourquoi ce monde lui était-il si hostile ? Dans ses rêves, il ridiculisait l’irrésistible David en racontant leurs rencontres secrètes. Mais qui aurait cru que le séduisant garçon s’était fait sucer la bite par un avorton comme Dylan ? Ce dernier n’avait aucun pouvoir. Il pouvait juste l’obliger à détourner le regard, ce qui'l évitait, car il lisait une morgue et un mépris absolu.
À son habitude, Dylan se tenait dans son coin, le plus invisible possible. Aucun camarade n’avait tenté de lui dire deux mots.
Cette réputation se transforma en surnom après un chahut dont il fut la victime. Il fut attiré dans un guet-apens et laissé nu à l’autre bout du couloir. Le retour à son lit sous les lazzis à cause de son sexe à moitié gonflé fut une humiliation de plus à ajouter à cette longue liste qui résumait sa vie.
Pourtant , dès le lendemain, un camarade, faisant également partie des sous-hommes, se rapprocha de lui. Il lui dit la honte du spectacle de la veille, l’impossibilité de se heurter à cette bande de meneurs. Il lui dit sa compassion, étant proche de lui. Dylan lui fit confiance : pour une fois qu’on lui adressait la parole ! Pierre finit par lui avouer qu’il fréquentait aussi des garçons. En parlant, il avait guidé Dylan dans un recoin isolé. Ils se faisaient face, attendant chacun le premier geste de l’autre. Dylan s’était tu jusqu’à présent, répondant du bout des lèvres, dans l’attente d’un traquenard. Pierre lui prit délicatement la main et la posa sur son sexe, que Dylan sentait dur sous le tissu. Pierre se déboutonna, offrant à Dylan la possibilité de vérifier ses dires. Dylan était en manque depuis plus d’un mois. Retrouver un sexe dressé dans sa main raviva son plaisir. Il aurait voulu faire à Pierre ce qu’il avait aimé faire à David. Pour une première fois, cela était sans doute déplacé. Il fut surpris de la réaction de Pierre après son plaisir. Ce dernier avait saisi son sexe, le caressant sur toute sa longueur avec douceur. Soudain, il murmura : « Je peux ? », puis s’agenouilla sans attendre la permission. Dylan fut emporté par cette sensation qu’il avait su donner sans la recevoir. Pierre devint son ami secret, car ils évitaient de se montrer ensemble. Ils se sentaient semblables, partageant la même souffrance d’un rejet éternel et d’être voué à l’enfer. L’un comme l’autre aurait désiré des caresses, des mots gentils. Ils en ignoraient l’usage et en craignaient les conséquences. Un attachement sentimental naquit, les effrayant trop pour en profiter.
Pierre lui dit le nom d’un garçon avec lequel il avait partagé ces mêmes plaisirs, finissant par reconnaître qu’ils se voyaient régulièrement. Dylan ne fut pas surpris. Depuis sa découverte avec David, il avait complètement changé son regard sur ces camarades. Auparavant, il savait les ranger en trois catégories : les dangereux, les sans-intérêts et ceux qui auraient pu être des amis formidables s’ils avaient prêté la moindre attention à celui qui aurait tant voulu les adorer dans une servitude totale. Aujourd’hui, il les classait sur une échelle d’envie sexuelle et sur une échelle de possibilité. Pierre, comme son compagnon, étaient dans la zone verte. Il fut étonné du nombre de camarades « possibles » qu’il détectait, ignorant que l’âge et l’internat multipliaient leurs effets.
Régulièrement, les brutes reprenaient leur vexation à son égard. Il était devenu la tête de Turc. Un soir, de désespoir, il monta sur un lit, prit son sexe dans sa main, l’exhiba en hurlante : « Venez le prendre, si ça vous chante, mais foutez-moi la paix… » avant de s’enfuir en courant s’enfouir sous ses draps en pleurant.
Cela mit fin à ces pratiques, plus sottes que réellement méchantes, et il put retrouver son anonymat. Il découvrit le compagnon de Pierre, puis d’autres, car une chaîne existait dont il fut le centre, sans le vouloir, mais avec délectation. Il avait six compagnons de jeux, tous demandeurs, ce qui lui permettait d’assouvir ses plaisirs plusieurs fois par jour. Dans son classement, deux autres étaient en vert, Romain et Thomas. Curieux qu’aucun autre ne les connaisse, il se rapprocha d’eux. Si Thomas ne réagit pas, Romain répondit favorablement. Lui aussi faisait partie de ces rejetés. Il avait trouvé chez Thomas un ami de cœur. Ils étaient ensemble. Il parlait de son ami avec une chaleur qui fit envie à Dylan. Ils se caressaient, s’embrassaient, mais Thomas refusait de se laisser toucher. Cela progressait doucement. Romain était frustré de cette lenteur, totalement épris de son amour. Dylan l’écoutait, le consolant en partageant du plaisir. Il aimait Romain, car ce dernier lui montrait que l’amour était possible. Ils n’auraient jamais droit à l’amour normal, mais d’autres formes semblaient aussi belles et aussi fortes.
Il connaissait maintenant les endroits appropriés et sa principale occupation était la gestion de son emploi du temps. Cette petite équipe informelle le mettait relativement à l’abri des brimades, des mots dégradants qui lui étaient envoyés.
Un seul résistait à son analyse : Arthur. Il était le plus séduisant, d’une blondeur ensoleillée. Surtout, il avait de la barbe et ses jambes rayonnaient sous un duvet blond. L’idée de son sexe dans cet or faisait rêver Dylan. De plus, il était plutôt dans les « possibles », bien qu’aucun de ses compagnons ne lui ait parlé de lui.
Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver coincé un soir par cet ange blond dans un couloir désert ! Arthur l’accueillit gentiment, lui disant d’emblée son souhait de le voir en train de se masturber. Dylan refusa, voulut partir. Arthur le saisit. Être dans ses bras empêchait Dylan de se débattre plus que pour renforcer cette étreinte. Il finit par accepter, mais en « donnant donnant », à condition qu’Arthur fasse de même. Ce dernier refusa avec force. Dylan se débattit pour de bon, mais Arthur était plus grand et plus fort. À un moment, ils furent face à face. Dylan murmura : « D’accord, à cette condition ! », en posant ses lèvres sur celles d’Arthur. Il n’avait jamais embrassé. Que ce premier baiser soit avec lui, quel bonheur ! Il insista et Arthur finit par laisser entrer sa langue. Il relâcha sa prise, préférant un enlacement. Ses mains descendirent sur les fesses de Dylan qui redoubla son ardeur. Ce partage insolite fit partie des rendez-vous de Dylan. Ils apportaient plaisir et question : pourquoi Arthur refusait-il de se mettre nu et de se laisser toucher, alors qu’il acceptait ces baisers passionnés ?
Dylan vivait dans un monde merveilleux, ayant à satiété ce qu’il aimait. Ces moments intimes remplaçaient tellement les fausses camaraderies qu’il observait chez ses congénères ! Il me dira avoir vécu ici les meilleurs moments de sa vie et avoir compris qu’il n’appartenait pas au même monde que les autres. Son univers, dans lequel il espérait trouvé du bonheur, était caché sous l’autre, à la merci permanente d’un cataclysme destructeur.
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