Dylan (4)

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La disparition du groupe avec les études supérieures fut douloureuse. Ne plus voir Lucas chaque jour fut un drame. Son image, heureusement, éclairait toujours ses nuits. Il ne lui restait plus que cette image évanescente pour le rattacher au monde des vivants.

Quand il revenait, il se retrouvait avec les rares présents au café du lycée, ombre reconnue et acceptée, sans que personne ne se préoccupe de lui. Ce soir d’hiver, quand il vit entrer Lucas, son cœur se décrocha. Il était au bras de Guillaume, son ennemi juré et envié, le seul qui pouvait toucher Lucas avec tendresse. Quand Guillaume lança dans l’indifférence que Lucas était gay et qu’il venait de l’annoncer, il faillit s’évanouir. Cela devenait donc possible, même si c’était à jamais interdit. Lucas était comme lui, homo, si proche, si inaccessible. Cette nuit-là fut particulièrement crucifiante pour Dylan. Il se retint d’essayer de le croiser à nouveau, incertain de ses propres réactions.

Il savait tout de Lucas, ayant amassé toutes les bribes d’informations possibles durant ces trois années. Il était torturé : il avait tellement envie, besoin de lui parler ! Lucas connaissait-il seulement son nom ? Ils avaient échangé si rarement… Dylan hésitait. Cela devenait infernal.

Il savait que Lucas était à nouveau revenu ce weekend. Pour la première fois de sa vie, conscient du péril immense qu’il affrontait, il osa. Quand Lucas décrocha, il bafouilla, puis finit par pouvoir exprimer son besoin de parler. L’acceptation immédiate et instantanée de Lucas le prit au dépourvu. Il attendait un refus, une mauvaise procrastination. Il descendit quatre à quatre les escaliers, envoyant bouler sa mère qui requérait un service. L’explication au retour serait difficile, mais quelle importance ! Ses pieds volaient, son cœur battait, le soleil l’emplissait de sa chaleur malgré cette nuit froide d’hiver.

Sa silhouette, son sourire d’accueil… Dylan se sentait fort et si fragile. Les premiers mots, l’aveu immédiat : pour la première fois se dire gay et se l’entendre dire ! En retour, cette écoute amicale, si pleine d’ouverture et d’acceptation, de conseils. Comment peut-on être si parfait ? Quelle chance il avait de pouvoir parler à ce garçon de rêve !

Ils discutèrent longtemps et longuement. Dylan racontait sa non-vie, ses pulsions interdites et le plaisir défendu qu’il ressentait si fortement. Lucas écoutait, frissonnant parfois dans le brouillard léger qui était tombé. Dylan ne pouvait s’arrêter, libre enfin de parler. Il pleura en parlant de Romain. Lucas lui prit la main. Les nuages disparaissaient, les poids étaient ôtés de ses épaules, ses gestes libérés du carcan. Vivre était donc possible !

Il abusait de Lucas et de son temps. Il voulut abréger, mais son dieu se racontait aussi, en résonance, dévoilant ses doutes et ses faiblesses. Ils ne s’étaient jamais parlé, mais ce soir, dans le froid, ils se comprenaient dans une chaude fraternité. Chacun avait besoin de s’épancher, de se livrer et de se délivrer de choses que personne ne veut entendre. Lucas ne serait jamais son amant, mais Lucas sera son ami, éternellement.

Quand vint l’instant de la séparation, Lucas eut ce geste de vie et d’amitié : il l’embrassa, lui le moche mal fait, mal dans sa peau et dans son âme, pour sceller leur découverte. Ce baiser ne ressemblait en rien à ceux d’Arthur, car on pouvait se perdre. Un baiser pouvait donc contenir de l’amour…

Dylan rentra, transformé et transporté. Il renvoya sa mère à ses aigreurs grincheuses, puis son père à ses pontifiants principes, à leurs reproches, devenus insignifiances. Ce changement d’attitude inexplicable lui valut une forme de respect. Il en profita pour demander à partir l’année suivante poursuivre ses études ailleurs.

Il attendit patiemment : il l’avait fait si souvent. Parfois, il appelait Lucas, toujours disponible pour l’écouter. Il n’avait rien à raconter, juste des mots d’une amitié qu’il savait sincère. Il regrettait d’avoir tant attendu pour l’exprimer, tout en sachant que le moment n’avait jamais existé auparavant.

Loin de chez lui, il se libéra. Il eut du mal à trouver un camarade de confiance, qui devint un ami, puis un petit ami. Cela ne dura pas, car Dylan se rendait insupportable par sa soif inextinguible d’amour. L’affection sincère de Joachim ne pouvait le satisfaire. Ils se séparèrent, tout en se revoyant souvent, car Joachim était un océan de douceur. Dylan apprit les petits gestes de tendresses. Il n’avait tellement rien eu qu’il ignorait les sentiments positifs.

Il eut d’autres expériences, toujours difficiles à obtenir, car il ne savait pas aller vers l’autre, toujours craintif d’un rejet. Chaque weekend, il reprenait son masque et son silence pour retourner dans sa famille. Ces jours tristes devenant insupportables, il les espaça, préférant rester lire dans sa petite chambre d’étudiant. Régulièrement, un appel avec Lucas lui rappelait que le ciel bleu était possible.

Il attendit sa première paie et la première fête de famille. Sa psychothérapeute, trouvée sur les instances de Joachim, l’avait incité à sortir de sa prison. Il attendit le dessert, quand l’oncle Jean, toujours éméché, allait sortir ses dernières blagues racistes et homophobes.

Lors d’un silence après les rires gras, il annonça d’une voix calme qu’il était en couplé, avec Ibrahim, un noir musulman. Ce n’était qu’à moitié vrai, car il n’avait pas encore répondu à ses avances. Le silence pesant lui fit du bien. Il n’était rien pour eux, il n’avait jamais existé à leurs yeux. Gâcher leur moment d’imbécilités fut une ultime jouissance.

Quand son père, d’une voix solennelle pleine de trémolos le renia, il lui jeta son verre de vin rouge au visage, lui disant qu’il s’en foutait et que c’était leur merde qu’il rejetait. Seule sa petite sœur, la dernière, qui avait dix ans de moins que lui, dont il ignorait tout, l’appela ensuite, pour lui demander de rester en contact avec elle, en secret de la famille. Cette marque d’affection lui fit un bien immense : cette rupture voulue était l’effacement de tout son passé. Il en avait sous-estimé le choc.

Quand il raconta cette scène à Lucas, ils décidèrent de se revoir. Le regard d’admiration de son grand frère le consola définitivement. Sans parler du baiser quand ils se quittèrent.

Dylan lutta longuement avec sa psy avant de s’accepter complètement. Il se lia avec quelques amis, se donnant entièrement, incapable de morceler son amour.

Je ne sais pas s’il ne fut jamais réellement heureux, mais il s’épanouit petit à petit, trouvant joie et sérénité.

Il trouva un compagnon qui accepta ses retenues et ses maladresses, lui vouant un amour enfin trouvé !

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