Confidences
Milia regarde autour d'elle. Personne ne la voie. Elle déplie le morceau de papier posé sur sa table.
"CRAIVE BOUFONE ! " y est écrit.
Milia soupire et replace une mèche de cheveux châtains qui lui barre le visage. "S'ils doivent m'insulter, qu'ils ne fassent pas de faute. " pense-t-elle " Au moins, c'est la dernière injure de la journée, vu qu'on quitte juste après. "
Elle chiffonne le papier et le met dans sa poche.
Elle sent comme une présence en train de l'observer, relève la tête et croise le regard de son prof principal. C'est un jeunot, pas au-dessus de 25 ans, avec les cheveux noirs et les yeux bruns. Il se prénomme Monsieur Azita. Aussitôt, celui-ci cesse aussitôt de la dévisager.
Milia se demande pourquoi il la regardait ainsi. Ce n'est pas le prof le plus apprécié du collège. Il a des manières assez... brusques.
"Milia, tu viendras me voir à la fin du cours, merci.
Cet ordre stoppe la jeune fille dans sa rédaction.
-Bien, monsieur. répondit-elle. "
Quand la cloche sonne, elle s'approche du bureau de son professeur. Il s'occupe de corriger des copies.
"Vous souhaitiez me voir, monsieur ? demande-t-elle
Monsieur Azita lève les yeux et range son stylo avant de se pencher vers elle et de dire :
-Oui. J'aimerai voir le papier que tu as dans ta poche, Milia. S'il te plaît.
-Quel papier ? dis-je le plus innocemment possible.
-Ne joue pas avec moi. Prévient le professeur. Montre-moi ce mot immédiatement.
Milia soupira, sortit la feuille chiffonnée et la lui tendis. L'homme déplia son long bras et se saisi de l'objet. Il lut en silence.
-Bien. Depuis combien de temps cela dure-t-il ?
Milia ne répondit pas.
-Combien sont-ils ?
Toujours rien
-Harcèlement physique ou verbale ? Ou bien les deux ?
Silence radio. Nada. Le Néant.
-Je vais être obligé d'appeler vos parents, pour les avertir de la situation.
-Non.
L'ordre sort, sans que Milia ne puisse se taire. -Pardon ? S'étonna Azita.
-Non. Répéta Milia. Je ne veux pas les inquiétés. Ils ont déjà du mal avec leur boulots.
Le professeur soupira :
-Je peux te promettre que, tant que la situation n'empire pas, je ne préviendrais pas tes parents. Par contre, je veux que tu restes au moins trente minutes, chaque fin de journée, pour faire un bilan des insultes et coups reçus. D'accord ?
-Qui vous dit que je veux en parler ? rétorqua la collégienne.
-Que tu parles ou pas, tu resteras à la fin de la journée.
-Et que direz-vous aux élèves trop curieux ?
-Que tu restes pour des cours du soir. Vu que tes notes baissent, ce sera crédible.
-Bon, ok. Souffla-t-elle.
-Fais-moi confiance, Milia. Tout va bien se passer.
-Je n'ai plus de confiance à donner. Mes ennemis m'ont épuisé tous celle que j'avais.
-Compréhensible. Mais même dans l'océan des problèmes, on peut trouver une bouée.
-Si vous le dites. À demain monsieur.
-À demain. "
Les deux semaines qui suivirent, Milia resta sans dire un mot. Mais monsieur Azita finis par s'impatienter. Un soir, il prit la parole :
-Prends une craie.
Milia quitta sa table, perplexe, et en prit une.
-Bien, continua le professeur, maintenant dessine.
-Dessinez quoi ?
-Ce que tu veux. Juste dessine. "
Alors elle obéit. Le tableau se para d'images de couteaux, de regards hautains, d'insultes, de tombes, de seaux d'eau et de gouttes de sang.
Au milieu de tout ça, il y a un oiseau dans une cage. L'oiseau est bâillonné, la cage cadenassée.
"Maintenant, regarde tes dessins.
Milia s'exécute. Elle se sent défaillir mais en pleure pas. Le professeur veut quitter la salle, pensant que ça méthode n'a pas marché. Au moment où il passe la porte, elle chuchote :
-Un. Il n'y en a qu'un.
Azita lève un sourcil et retourne s'assoir à son bureau. Milia poursuit :
-Tout ça parce que je ne suis pas comme lui : trop intello, trop blasée, trop rapporteuse... Au début c'était des petites moqueries puis il est passé aux coups.
-Qui est-ce ?
-Brayan. Les autres se contentent de rigoler ou de m'ignorer. Personne ne veut s'attirer les foudres de ce garçon-là.
-Brayan... Le gamin aux cheveux bruns, avec les yeux verts ?
-Yep. répondit la pauvre victime dans un soupir.
-Mais c'est un élève très intelligent et très sympathique.
-C'est ce qu'il fait croire.
-Pourquoi ne pas en avoir parlé ?
-Parce qu'il s'attaque à moi en pensant avoir une réaction. En laissant les coups et les insultes glisser sur moi, je supposais qu'il se lasserait. Pleurer ou en parler est synonyme de faiblesse. Je ne voulais pas lui donnait satisfaction. "
Milia croise le regard de monsieur Azita, rougit et se met à effacer le tableau. Elle récupère ses affaires et veut sortir de la salle.
"Eh Milia ! crie le professeur.
-Quoi ?
-Tu es forte. N'en doute pas.
Milia se contente de demander :
-Est-ce que je peux revenir demain ?
-Bien sûr, Milia. Tu peux.
Cette fois, Milia se retourne. Une larme roule le long de sa joue.
-Merci monsieur. Merci"
Et elle se dépêche de partir.
Les jours qui suivent, Milia reprend confiance en elle. Ses notes remontent, elle fait attention à son apparence, s'habille à la mode et rigole beaucoup. Elle endure les coups, encaisse les insultes en sachant qu'elle pourra en parler le soir, en compagnie du professeur.
Ça n'est pas au goût de Brayan. Durant la récréation, il l'emmène à l'abri des regards pour la rouer de coups. Milia est à terre, son t-shirt taché de boue. Elle ne dit rien. En voyant qu'elle se tait, il s'empare du sac de la collégienne et en déverse tout le contenu au sol.
Mais, en faisant ça, il projette la trousse mal fermée et une pluie de stylos s'abat sur l'élève au sol. La paire de ciseaux poursuit son vol et vient griffer le ventre de Milia. En voyant la plaie saigner, Brayan devient blême.
"J'ai... J'ai pas fait exprès. C'est pas ma faute. Dit-il. "
Et il s'enfuit en courant. Milia est soulagée d'avoir pensé à prendre un maillot de secours. À l'aide d'essuie-tout, elle se fait un bandage. La plaie n'est pas trop profonde, il ne devrait pas y avoir de risque d'infection.
Ce soir-là, elle ne parle pas de l'incident à Azita. Quelque chose au fond d'elle l'en empêche.
Le lendemain, Azita remarque que Milia ne va pas bien. Elle se tient le ventre et semble souffrir.
"Milia, Brayan, je veux vous voir à la sonnerie. "
Milia ne comprend pas. Il avait promis de ne pas en parler.
Brayan, lui, a peur. Il sait que le prof est au courant.
À la sonnerie, les deux enfants se retrouvent devant monsieur Azita. La porte de la salle est fermée. Ils sont seuls. D'un geste brusque, le professeur remonte le maillot de Milia. Juste assez pour voir le bandage.
"Qu'est-ce que c'est que ça ? Dit-il.
Milia bredouille :
-C'est... Je... Enfin...
-Ce n'est pas à toi que je parle Milia. Coupe le professeur. Brayan, qu'est-ce que c'est ?
Brayan n'en mène pas large.
-Umh... C'est... Euh...
-C'est ma faute. Soupire Milia. Il a déversé le contenue de mon sac mais j'avais mal fermé ma trousse et mes ciseaux sont venues me griffer.
-Pourquoi ne pas me l'avoir dit ? S'étonne Azita.
-Parce que... Je ne sais pas... Quelque chose m'en a empêché...
Soudain le professeur remarque quelque chose de bizarre.
-Milia, montre-moi tes poignets.
-Pardon monsieur ? S'inquiète Milia.
Mais Azita empoigne le bras de l'adolescente, dévoilant de fines coupures sur ses poignets. Il semble effondré.
-Tu peux m'expliquer ? Demande ce dernier.
-... Je... Je faisais ça bien avant mes confidences. Mais c'est devenu comme... une habitude.
Le professeur a un regard empli de tristesse et de colère.
-Sortez de ma classe. Tout de suite. "
Les deux ados ne se font pas prier et s'enfuient.
Les jours qui suivent, monsieur Azita ne réapparaît pas. Brayan a eu si peur qu'il n'ose plus embêter Milia. Alors qu'elle devrait s'en réjouir, elle s'inquiète pour le professeur. Au bout de deux semaines avec un prof remplaçant, la jeune fille se procure l'adresse de l'homme et, le soir même, elle va le voir.
Quand elle toque, c'est Azita lui-même qui ouvre. Milia est stupéfaite quand elle voit à quel point le professeur a perdu de sa superbe : sa barbe, habituellement taillé en bouc, lui mange les joues. Ses yeux, ternes, ont perdu leur l'éclat de joie. Il n’a pas habillé avec ses beaux vêtements mais porte une tenue assez négligée. La seule chose qui ne change pas, c'est la couleur de ce qu'il porte : tout en noir.
D'un geste, il lui fait signe d'entrer.
"Entre. Je suis surpris de te voir mais bon... Si tu es là, c'est pour une bonne raison, je suppose.
Même sa voix est fatiguée.
-Oui, j'ai une bonne raison. Je suis là pour m'excuser et pour m'expliquer.
Elle le suivit jusque dans le salon. Là, il lui indiqua une chaise, s'assit et demande :
-Que veux-tu me dire ?
Milia prit son courage à deux mains et parla dans un souffle :
-Je viens pour m'excuser de ne vous avoir rien dit. Brayan semblait tellement coupable de m'avoir blessé que je ne me sentais pas le courage de le dénoncer. Quant à mes blessures... Bien avant de vous parler, je me coupais très régulièrement et très fort. Maintenant, c'est beaucoup plus rare. Vous m'avez aidé. C'est juste qu'il faille encore que la plaie cicatrise.
-Et pourquoi ne m'avoir rien dit pour ta plaie au ventre ? Demande Azita.
-Et bien, je pense que j'avais peur que Brayan soit puni sévèrement pour quelque chose qu'il n'a pas fait. Ou du mois, une chose qu'il a fait par erreur.
Le professeur reste silencieux un petit moment avant d'expliquer :
-Tu ne pouvais pas le dire car tu es trop gentille... Tu sais, avant, j'avais connu un gamin qui était harcelé tout comme toi. On en avait discuté et j'avais tenté de l'aider mais il... Il était trop tard... Il a tenté de se suicider. Ça n'a pas marché mais il a passé plusieurs mois entre la vie et la mort. Après un tel événement, je m'étais promis d'aider tous mes élèves, pour que ça ne se reproduise plus. Quand j'ai vu tes poigné, je me suis dit que rien n’avait changé. J'étais toujours aussi incapable de sauver mes élèves. Ça m'a détruit.
-Monsieur, chuchote Milia, vous avez fait ce qu'il fallait. Jamais je n'avais été écouté, et encore moins comprise. J'ai besoin que vous m'aidiez. Revenez au collège, s'il vous plaît ! Je vous en supplie, j'ai besoin de vous.
Le professeur la regarde. Un sourire nait sur son visage fatigué.
-Bien. Il est temps de mettre fin à toute cette histoire."
Après cette discussion, Milia repart chez elle avec la promesse du retour de son professeur.
Le lendemain, Azita est belle et bien de retour. Il invite la directrice à écouter ce qu'il a dire. À peine sont-ils arrivés en classe, que le professeur se met à expliquer la situation. Brayan fut exclu du collège et Milia put retrouver la paix. Mais elle n'oublie jamais ce qu'Azita a fait pour elle. Elle en parle avec ses parents, qui montre aussitôt leur reconnaissance au professeur.
Depuis ce jour-là, Azita et Milia sont passés d'une relation de prof-élève à une amitié solide.
Azita se décida à faire comme Milia, et lui confia ses plus grands secrets.
Et, sur le tableau et dans le coeur de Milia, l'oiseau avait quitté sa cage.
"Vous ne pouvez pas empêcher les oiseaux de la tristesse de voler au-dessus de vos têtes mais vous pouvez les empêcher de faire leurs nids dans vos cheveux. " Proverbe chinois.
Le harcèlement est grave. Il faut l'arrêter. Si vous êtes victime, n'hésitez pas à en parler ou à appeler le 3020.
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