Chapitre 4 : Frères de sang
Encore une fois le mélange entre humain et animal frappa Aymeric : le dragon avait un visage et un corps comme le sien mais avec des éléments qui n'avait rien à faire sur un tel physique, comme un croisement étrange. Il admira les cornes doucement courbées vers l'arrière, les griffes épaisses et noires à la place des ongles, les ailes de peau repliées et l'épaisse queue écailleuse bleu rivière. Il remarqua aussi d'autres éléments : les yeux jaunes aux pupilles fendues, la peau parsemée de minuscules écailles translucides et surtout les longs cheveux bleus du dragon. Il avait déjà vu des femmes se teindre les cheveux en bleu et blanc lors de la fête de l'équinoxe d'hiver mais ces couleurs n'étaient qu'artifices : malgré sa singularité celle-ci était naturelle.
Ils s'observèrent longuement. Bizarrement il l'imaginait plus vieux mais en réalité il devait avoir son âge. Après tout son éclosion datait de la veille il serait logique qu'il soit encore plus petit, de la taille d'un nouveau-né. Le dragon rompit le silence en premier :
- Aymeric.
- O...oui ? articula le petit garçon.
La créature tendit sa main garnie de griffes dans sa direction et il se fit violence pour ne pas s'écarter. Le dragon posa le bout de ses doigts sur son cœur puis sur le sien et dit avec un sourire qui dévoila ses dents légèrement en pointes :
- Toi et moi unis à jamais, mon frère.
Aymeric ne comprenait pas ce qu'il voulait dire. Frères ? En quoi étaient-ils frères ? Ils ne se ressemblaient pas !
- Tu l'as appelé à toi par le sang, intervint le roi pour répondre à son incompréhension. Tu as établi un lien entre vous, un lien impossible à délier. Vous êtes désormais les deux faces d'une même pièce.
- Frères, répéta le dragon avec conviction.
Aymeric ignorait comment prendre la nouvelle. D'un côté être de la même famille qu'un semi-lézard aux cheveux bleus le gênait mais de l'autre savoir qu'il existait en ce bas monde une personne avec laquelle il partageait un sang commun le rassurait, la personne en question fut-elle un dragon.
- Tu sais dire autre chose ? demanda t-il à l'hybride.
La créature pencha la tête sur le côté, pensive. Puis elle lança :
- J'ai faim.
Le monarque éclata de rire, perdant son port altier et son sérieux affecté. Aymeric ne comprenait pas ce qu'il l'amusait autant avant que le régent déclare :
- Vous êtes aussi frères d'estomac !
L'enfant sourit à son tour et le dragon les interrogea :
- C'est drôle ?
- Effectivement mon jeune ami, répondit le roi. Nous allons faire venir de quoi vous sustenter et vous laissez reprendre des forces.
- Aymeric va partir ? s'inquiéta l'hybride.
- Pas s'il veut rester.
Le dragon plongea ses yeux jaunes et suppliants dans ceux d'Aymeric qui n'eut pas le cœur de l'abandonner. Finalement ce demi-humain n'avait rien de terrifiant et paraissait même gentil : le roi n'avait pas menti.
- Ça ne me dérange pas de te tenir compagnie encore un peu, déclara t-il. Au fait, comme tu t'appelles ?
L'hybride fronça les sourcils et regarda longuement dans le vide. Il ne clignait pas des paupières et Aymeric craignit qu'il se soit endormit sur place. Soudain le dragon revint à lui et clama :
- Hydronoé ! Je suis Hydronoé.
- Tu l'avais oublié pour chercher si longtemps ?
- Non. Je ne le connaissais pas.
Aymeric resta perplexe. Comment pouvais t-on ne pas connaître son nom et l'apprendre comme par magie ?
- Les dragons apprennent très rapidement après leur éclosion. Dans moins de deux jours il parlera aussi bien que moi, si ce n'est mieux. On raconte qu'ils ont accès aux connaissances des dragons primordiaux, ceux qui auraient répandu le langage et l'écriture parmi les humains. Ils possèdent aussi un nom prédéfini avant même leur venue au monde.
- Comment est-ce possible ?
- Nul ne le sait, à part eux. Ils entendent et voient des choses invisibles aux humains que nous sommes. Bien, je vais vous laisser faire connaissance. J'ai quelques affaires urgentes à régler et je suis en retard. Je reviendrais vous voir ce soir. Demandez à la nourrice si vous avez besoin de quoi que se soit et soyez sages.
Le roi s'en alla et Aymeric se retrouva seul en tête-à-tête avec Hydronoé. Le dragon demanda aussitôt avec excitation :
- On joue ?
- A quoi ?
- Chat !
- Tu connais les règles ?
- Le chat doit attraper celui qui ne l'est pas. Si celui qui ne l'est pas est attrapé il devient le chat.
- C'est ça. Alors tu veux que...
- Moi le chat ! s'écria Hydronoé en bondissant hors du lit.
Il portait une simple tunique blanche à l'arrière de laquelle trois trous avaient été percés pour laisser passer sa queue et ses ailes. Il ne portait pas de chaussures et Aymeric remarqua que les ongles de ses pieds étaient pointus et noirs comme ceux de ses mains. Il était frêle sans être maigre et sa longue chevelure bleue voltigea autour de lui lorsqu'il s'élança sur Aymeric. Il esquiva au dernier moment et Hydronoé rit en le poursuivant. Le dragon était rapide mais lui possédait l'agilité et l'habileté nées d'années à échapper aux marchands et aux soldats furieux à cause des vols à l'étalage. La partie dura longtemps. Ils faillirent bousculer la servante qui arriva avec de la nourriture et qui rouspéta. A contrario? la nourrice ne pipait mot et les laissa se défouler à loisir. Hydronoé parvint à toucher Aymeric après une poursuite de longue haleine et ils s’effondrèrent sur le sol, essoufflés.
- Tu vas trop vite, se plaignit le dragon.
- C'est normal : je suis très bon à la course.
- Hydronoé, viens manger, l'appela la nourrice.
L'hybride hésita et consulta Aymeric du regard.
- Vas-y si tu as faim, l'encouragea ce dernier.
Le dragon ne se fit pas prier et alla se jeter sur la nourriture. Le petit garçon l'observa avaler avec appétit des morceaux de viande crue, un peu dégoûté.
- Comment tu fais pour ingurgiter ça ?
- C'est bon ! affirma Hydronoé en lui tendant un lambeau sanglant.
- Non merci, j'ai déjà petit-déjeuné.
Le dragon haussa les épaules et engloutit la lamelle de viande en mâchant à peine. Il termina son repas plus vite qu'un affamé qui n'avait pas mangé depuis trois jours et Aymeric savait de quoi il parlait !
- Plus faim ! déclara Hydronoé en se frottant le ventre. On joue ?
Ils s'amusèrent jusqu'à la tombée de la nuit. Quand le souverain revint ils sautaient sur l'un des lits pour voir qui bondissait le plus haut. Loin de se fâcher, le régent demanda à la nourrice aussi amusée que lui :
- Le contact est bien passé ?
- Excellent mon roi. Ils s'entendent à merveille, comme s'ils se connaissaient depuis des années.
- C'est parfait. Ils feront une bonne équipe. Les garçons, venez voir ! J'ai quelque chose de très important à vous dire.
Ils obéirent sans se questionner et le roi se baissa à leur hauteur pour les regarder droit dans les yeux.
- Demain nous quitterons le palais.
Le cœur d'Aymeric se mit à tambouriner sourdement dans sa poitrine. Quitter le palais ? Mais pourquoi ? S'étaient-ils mal comportés ? Où allait t-on les envoyer ?
- Du calme Aymeric, je ne veux pas vous abandonner dans les bois. Vous devez simplement rejoindre les autres monteurs de dragons. Leurs quartiers sont à deux jours de cheval de la ville et je tiens personnellement à vous accompagnez pour ce voyage.
- Et une fois là-bas, qu'allons nous faire ?
- Tu le sauras le moment venu. Pour l'instant vous allez dîner et dormir car nous partirons aux aurores.
Hydronoé acquiesça sagement mais Aymeric hésita.
- De quoi as-tu peur ? s'enquit le roi.
- Je n'ai pas peur mais...ma famille doit s'inquiéter. Ils doivent penser que je suis mort et j'aimerais les rassurer et leur dire au revoir.
Le monarque réfléchit et laissa tomber le verdict sur un ton autoritaire :
- Je te laisse deux heures. File avant que je change d'avis.
Un grand sourire éclaira le visage d'Aymeric. Il voulut s'élancer mais on le retint par le poignet. Hydronoé le regardait avec inquiétude, les yeux brillants de larmes.
- Tu m'abandonnes ?
- Je reviens très vite, c'est promis.
Il se dégagea doucement et se mit à courir de toutes ses forces. Les gardes ne posèrent aucune question en le voyant passer en coup de vent. Sans doute pensaient-ils qu'il n'était qu'un fils de noble assez téméraire pour échapper à l'autorité parentale et se glisser dans les ombres de la ville. Il parcourut les rues au pas de course et s'enfonça dans les quartiers populaires, puis dans le ghetto. Les gens hagards et vêtus de loques levaient à peine les yeux à son passage et il se sentit décalé dans cette atmosphère misérable avec ces habits luxueux. Il n'y songea plus en arrivant face au repaire.
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