Chapitre 13 : Complicité naissante

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Il enlevait ses bottes lorsque Hydronoé entra après avoir frappé. Il rayonnait de bonheur et déclara : - Je suis rentré !
- Bonsoir Hydronoé. Ta journée à été bonne ?
- Excellente : j'adore Sandor, il est vraiment intéressant ! Il sait tout sur tout, c'est très impressionnant ! Et toi, pas trop dur avec Gordon ?
- Au début si. Mais pour faire simple, je l'ai défié en combat à l'épée, il a perdu, j'ai pris sa flasque, je suis parti, il m'a retrouvé, on s'est réconcilié et nous avons commencé un vrai entraînement.
Le dragon émit un rire léger en bondissant sur le lit et déclara :
- Ça te ressemble bien ! Le roi avait raison de vous mettre tous les deux.
- Peut-être. J'espère juste qu'il respectera sa promesse de ne plus toucher à l'alcool.
- Sandor m'a dit qu'il a beaucoup de défauts mais qu'il est honnête et droit : fais-lui confiance.
- J'ai aussi sympathisé avec Alaman aujourd'hui.
- Celui qui nous a fait peur la dernière fois ?
- Oui. J'ai aussi fait connaissance avec sa dragonne, Firenza.
- Elle est gentille, n'est-ce pas ? Je l'ai rencontré en me promenant dans la forêt avec Sandor.
- Qu'est-ce que vous fabriquiez dans les bois ?
- Il me racontait les divisions au sein de la garde et comment elles fonctionnaient.
- Les divisions ? Quelles divisions ?
Son frère sourit et dit :
- Mon maître m'a prévenu que Gordon oublierait de te parler des fondamentaux. Alors voyons, par quoi commencer ? D'abord, tu dois savoir qu'il n'y a pas que des chevaliers dragons qui sont formés ici. Il existe d'autres gardes spécifiques du royaume d'Alembras. En dehors de l'armée et des soldats ordinaires qui ne sont pas formés ici mais à la capitale, il en existe cinq en comptant la notre. Il y a les gardes frontières, qui sont ceux qui patrouillent en permanence à la limite du territoire pour veiller à ce qu'aucune menace ne pénètre dans Alembras. Sandor m'a aussi parlé des explorateurs-géographes, une garde qui découvre et cartographie les zones inexplorées ou mal connues du continent. La troisième est celle des chefs des armées, qui est un peu à part. Ils ne sont que dix, un à la tête de chaque bataillon de l'armée. Lorsqu'un chef meurt ou devient trop vieux pour assumer son rôle, on choisit son remplaçant parmi les simples soldats qui sont formés à Ondre. L'heureux élu est ensuite envoyé ici et suit un entraînement encore plus complet pour intégrer le cercle restreint des chefs de l'armée. Ensuite nous avons les négociateurs. S'ils ne connaissent que les bases de l'art militaire, ils savent manier les mots et retourner une conversation à leur avantage. Ils sont envoyés pour signer des traités et représenter le roi dans les royaumes étrangers. Enfin il y a nous, les chevaliers dragons ! Nous sommes la garde la moins connue du peuple mais la plus importante. Nous prêtons main-forte aux royaumes voisins s'ils ont des ennuis, transmettons les messages urgents ou les plus secrets et repoussons les menaces pour éviter d'envoyer nos armées en terre étrangère. Pour faire simple, nous défendons tout le continent au nom d'Alembras et sommes l'élite envoyée en première ligne.
- Les chevaliers dragons sont si importants que ça ? s'étonna Aymeric.
- Bien entendu ! Avec un dragon on peut couvrir de grandes distances par la voie des airs et il vaut bien cent hommes à lui tout seul ! Du moins lorsqu'il est sous sa forme animale. Nous sommes nettement moins redoutables en tant qu'humains !
- Tu as quand même des griffes gigantesques !
- Si j'étais un dragon elle serait deux fois plus longues et je pourrais te décapiter en un coup ! clama Hydronoé.
- Tu me décapiterais ? s'offusqua faussement Aymeric.
- Toi non ! rit le dragon. Ni qui que ce soit ! Je n'aime pas faire souffrir les autres, sauf si je dois me défendre.
Le petit garçon ébouriffa les cheveux de son frère avec un sourire attendri. Hydronoé était si pacifique ! Alors que lui perdait son sang-froid lors de chaque affrontement, le dragon restait toujours calme et apaisant.
- Mon maître m'a dit qu'un jour je pourrais me transformer totalement puis passer librement d'une forme à l'autre, dit Hydronoé. En tant qu'humain je serais même en mesure de camoufler mes ailes, ma queue, mes cornes et la couleur de mes cheveux. A part mes yeux, je passerais presque inaperçu ! Mais pour ça il faut que je m'entraîne parce que je ne suis pas assez expérimenté.
- Ce n'est pas surprenant : tu es né il y a peu de temps, le rassura Aymeric.
- Je le sais bien. Et toi, qu'est-ce que tu as appris aujourd'hui à part délester ton maître de sa flasque ?
Aymeric entreprit de tout lui raconter sans rien omettre. Il lui relata tous les épisodes : les exercices dans la cour, la salle d'armes, le cheval, le cours de géographie et enfin l'apprentissage de l'alphabet dans la bibliothèque. Il lui montra aussi la feuille couverte de caractères et lui demanda son avis.
- Elles sont de plus en plus lisibles, admit Hydronoé. Tu t'améliores vite !
- Oui, j'espère pouvoir lire bientôt ! Et toi, quand est-ce que tu commenceras à faire ça avec Sandor ? Son dragon eut l'air gêné et se dandina en se mordillant la lèvre inférieure.
- En fait...apprendre lire et écrire ne me prendra qu'une journée. Notre espèce comprend vite. Aymeric se sentit envieux mais repensa à Alaman qui lui n'arrivait même pas à différencier les lettres. Peu importe le temps que cela lui prendrait : il avait la chance d'être capable de lire et il ne devait pas jalouser Hydronoé. Le roi l'avait prévenu que les dragons progressaient plus vite que les humains.
- Ne t'inquiète pas, déclara t-il pour rassurer son frère. Tant que j'arrive à déchiffrer les mots, même plus lentement que toi, je serais content !
Hydronoé fut soulagé par sa réaction et Aymeric ajouta en tirant la langue :
- D'ailleurs je suis presque capable de réécrire et prononcer toutes les lettres par cœur donc j'ai une longueur d'avance sur toi !
- Ne fanfaronne pas trop, je vais me venger en te rattrapant ! plaisanta son frère.
- Quoi ? Tu veux me doubler ? Félon !
Aymeric se jeta sur Hydronoé en riant et ils commencèrent à se battre pour s'amuser, sans donner de vrais coups. Leurs chamailleries furent interrompues par Gordon et Sandor qui vinrent les chercher.
- Les garçons, il est l'heure d'aller aux ba...
Le maître du petit garçon s'interrompit en découvrant son apprenti et le dragon aux prises.
- Aymeric, lâche ton pauvre frère ! lança t-il d'une voix bourrue.
- Nous ne faisons que jouer ! le défendit Hydronoé.
- C'est de leur âge Gordon, intervint Sandor. Nous aussi nous nous battions pour rire à l'époque, tu te souviens ? Même si nous étions plus âgés qu'eux.
- Peut-être mais Aymeric a tendance à ne pas mesurer sa force.
- Ce n'est pas vrai ! se fâcha l'intéressé. Je sais très bien que ce n'est qu'un jeu, je n'allais pas lui faire mal !
- Allons, allons, ne nous énervons pas ! tempéra le dragon de terre. Plutôt que de nous échauffer avec des mots et si nous allions nous plonger dans les eaux des bains ?
- Oh oui ! s'écria Hydronoé en bondissant vers eux. Viens Aymeric, viens !
Le petit garçon le rejoignit en se demandant pourquoi il était aussi enthousiaste. Ils allèrent au rez-de-chaussé et l'enfant sentit la moiteur vaporeuse des bains dans le couloir menant à ceux des hommes. L'air devint de plus en plus lourd et humide. Ils entrèrent dans la première pièce avec des étagères compartimentées le long des murs et des bancs qui formaient un carré au centre. Il y avait des vêtements dans certains casiers ainsi que des bottes.
- Déshabillez-vous et posez vos affaires dans un emplacement libre, expliqua Sandor. Ensuite prenez une serviette pour pouvoir vous séchez quand vous sortirez et à l'eau ! Hydronoé ne perdit pas de temps : alors qu'Aymeric retirait sa tunique, il avait déjà filé dans la salle des bains.
- Les dragons d'eau sont intenables dès qu'ils ont une occasion de se baigner, commenta Gordon.
- C'est tout naturel : il regagne son élément, expliqua son jumeau.
Aymeric les écouta débattre de la nature des dragons en terminant de se dévêtir. Il empoigna ensuite une épaisse serviette et se glissa dans la salle des bains. La grande pièce surchauffée était occupée par tous les membres masculins des différentes gardes. Les douches étaient toutes prises et certains faisaient la queue devant. Sur trois bassins, deux accueillaient des baigneurs. Dans le troisième, plus petit, on puisait des seaux pour les porter en direction des douches.
- Aymeric, par ici !
Le petit garçon tourna la tête vers celui qui l’appelait. Ce n'était pas Hydronoé mais Alaman, dans le second bassin. Il chercha son frère des yeux et, ne le trouvant pas, il rejoignit son camarade.
- Où est Hydronoé ? demanda le rouquin tandis qu'Aymeric s'immergeait dans l'eau chaude.
- Je l'ignore. Sans doute sous l'eau. Tu es seul ?
- Oui. Firenza et Venerika sont dans le bain des femmes et Zacharie n'est pas encore arrivé avec Gébald.
- Qui est Zacharie ?
- Un autre apprenti qui a une année de plus que moi. Il est très gentil et son dragon de terre l'est tout autant. Il est un peu timide mais je voulais vous présenter : je suis sûr que vous allez bien vous entendre.
- A part lui, toi, nos jumeaux et moi, il y a d'autres apprentis chevaliers dragons ? demanda Aymeric.
- Non. Nous ne sommes que trois pour le moment. J'espère que nous serons plus nombreux plus tard mais Venerika m'a dit que chaque génération de chevaliers dragons ne compte jamais plus de six membres.
- Pourquoi ce chiffre ?
- A cause des œufs. Elle n'a pas voulu m'en dire plus mais le problème viendrait de là. J'ai aussi demandé à Aerine mais elle refuse de m'expliquer clairement. Tu crois que ça cache quelque chose ? - Qu'est-ce qui te fait dire ça ? l'interrogea le petit garçon en guise de réponse.
- Elles ont une attitude bizarre lorsque je pose la question, comme pour la fuir.
- Peut-être qu'il est trop tôt pour que nous sachions certaines choses mais je peux essayer de questionner Gordon : ce n'est pas un menteur.
- Tu penses vraiment ça petit ? demanda son maître en posant une main sur son épaule. Je ne savais pas que tu m'appréciais à ce point !
L'enfant lui fit face et déclara sans réagir au commentaire du chevalier :
- J'ai besoin de savoir quelque chose : pourquoi seulement jusqu'à six chevaliers dragons et qu'est-ce qui se passe avec les œufs ? - Vous êtes trop jeunes et trop fragiles pour entendre la vérité. Nous vous le dirons quand vous serez plus grands, répondit-il.
- Tu vois : il va droit au but, fit Aymeric à Alaman.
- Lave-toi au lieu de jacasser petit : j'ai faim et le banquet nous attend.
Gordon quitta l'eau pour rejoindre un groupe de gardes en train de remplir des seaux dans le troisième bassin. Il en prit deux plein à raz-bord et alla faire la queue devant les douches. Aymeric et Alaman l'imitèrent et le rejoignirent. Le petit garçon ne voyait toujours pas Hydronoé. Que faisait son frère ?
- J'aime bien ton collier, fit remarquer son ami en interrompant ses recherches.
L'enfant loucha vers son pendentif à tête de dragon. Il n'avait quitté que celui de Zolan, de crainte que l'humidité le détériore.
- Merci. Je l'ai depuis que je suis tout petit.
- Il faut croire que c'était un signe.
Des douches se libérèrent et ils se séparèrent en portant leur eau. Aymeric referma le rideau et hissa le seau. Il saisit un savon posé dans un creux dans la roche et se frotta activement le corps et les cheveux. Puis il se rinça scrupuleusement et quitta la cabine pour aller replacer ses seaux vides à côté des autres, à côté du troisième bassin. Il récupéra sa serviette, s'enroula dedans et se frictionna pour sécher.
Il regagna la salle des casiers à vêtements et s'habilla une fois complètement sec. Il attendit son maître, Alaman et les dragons à l'extérieur. Des gardes retardataires arrivaient à la dernière minute tandis que beaucoup sortaient. Alaman refit surface le premier, ses cheveux roux attachés en queue de cheval.
- Ça fait du bien ! Maintenant à table ! Viens, allons réserver des places à table pour les autres ! Firenza reste longtemps dans l'eau parce qu'elle est chaude alors je peux l'attendre longtemps !
Il se précipita en direction de la salle de banquet et Aymeric lui emboîta le pas plus calmement. Elle était moins pleine que la veille mais le roi était déjà là, toujours en bout de table. Il fit signe au petit garçon d'approcher et Aymeric obéit.

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