Chapitre 20 : L'invitation
Les deux garnements s'exécutèrent aussitôt. Hydronoé marchait lentement car il n'avait plus de force et Aymeric ralentit pour rester à son niveau et lui apporter un soutien en cas de besoin. Son frère se passa une main sur le ventre et déclara :
- J'ai hâte de me plonger dans un bon bain et de manger quelque chose de chaud...
- J'ai trouvé notre repas à base de fruits des bois et de fleurs comestibles plutôt bon moi !
- Mais j'ai envie de viande, dit le dragon. Un bon petit civet ou une cuisse de poulet...
- Carnivore !
- Et fier de l'être ! Au fait, tu veux quoi pour ton anniversaire ?
Aymeric s'arrêta au milieu des bois, interloqué. Son...anniversaire ? Il se frappa le front du plat de la main. Mais oui ! C'était dans quelques jours ! Il aurait bientôt onze ans ! Déjà ? Cette année était passée à toute allure !
- Je...je ne sais pas. Des biscuits ?
- Non, je te parle d'un objet concret.
- Alors...un livre ou un vêtement.
- D'accord, je retiens.
- Et toi, qu'est-ce que tu veux ? demanda l'enfant.
- Comment ça ?
- Tu es né presque à la même date que moi, fêtons notre anniversaire ensemble ! Comme de vrais jumeaux !
- Ça serait génial ! Dans ce cas je veux...une nouvelle cape de voyage ! s'écria Hydronoé avec enthousiasme.
- Vraiment ? C'est ça ton cadeau idéal ? s'étonna Aymeric.
- Mais oui. Celle que le roi m'a offerte est bien mais elle n'est pas très jolie et elle tient chaud alors comme je dois la porter souvent pour le moment, j'aimerais en avoir une autre ! Une autre choisie par toi !
- Si c'est ce dont tu as envie alors je ferais de mon mieux pour le trouver.
- Tu voudras quoi comme gâteau ?
- Je ne sais pas. Je n'ai jamais mangé de gâteau pour mon anniversaire alors ça m'est égal. Et toi ?
- Un au chocolat ! Tu sais, celui avec le cœur fondant !
- Il faudra demander aux cuisiniers alors !
Ils continuèrent de planifier leur anniversaire sur le chemin du retour, impatients. Une autre bonne nouvelle attendait Aymeric lorsqu'il entra dans sa chambre. Une lettre était posée sur son bureau et elle portait le sceau royal d'Alembras. Le roi avait répondu à son courrier ! Depuis quelques mois ils s'échangeaient régulièrement des lettres. C'est le souverain qui était à l'origine de la première, dans laquelle il demandait des nouvelles du petit garçon. Celui-ci avait répondu et depuis, une correspondance s'était établie.
Comme toujours Aymeric se sentit ravi de recevoir une réponse du souverain et s'installa à son bureau pour la lire. Il ôta le cachet de cire et tira la fine feuille recouverte d'une écriture élégante de son enveloppe. Il l'étala devant lui et commença sa lecture, impatient.
Mon cher Aymeric, je suis heureux que ton entraînement se déroule bien et que ton entente avec Gordon continue. S'il est trop grognon, n'hésite pas à me le dire. Je constate que tu fais des progrès en écriture : ta dernière missive comportait moins de fautes et avait une écriture plus lisible. Je constate que tu t'améliores rapidement et, d'après le rapport de ton maître que j'ai reçu dans la semaine, tu n'es pas en reste dans les autres domaines. Si je ne me trompe pas voilà presque un an que tu as rejoint la garde des chevaliers-dragons en tant qu'apprenti. Et, d'après mes renseignements, tu auras onze ans sous peu. C'est pourquoi j'ai envie de te faire une proposition pour ton anniversaire, une sorte de cadeau et de récompense pour tes efforts. Que dirais-tu d'un séjour à la capitale, pour me rendre visite et revoir ta famille ?
Le cœur d'Aymeric manqua un battement à la lecture de ces derniers mots. Revoir sa famille ? Il sortit le pendentif taillé par Zolan en se mordant la lèvre inférieure. Cela faisait si longtemps ! Il ne pouvait pas rêver mieux comme cadeau ! Lui qui se demandait chaque matin comment ils allaient ou ce qu'ils faisaient de leur nouvelle vie ! Non seulement il aurait la réponse mais il pourrait le voir de ses propres yeux ! Il acheva sa lecture en contenant tant bien que mal son excitation :
Réponds-moi vite afin que je puisse préparer ta venue comme il se doit. Continue de bien travailler et de t'entraîner avec sérieux.
Bien affectueusement,
Alaric, roi d'Alembras.
L'enfant replia soigneusement la lettre et attrapa de quoi écrire pour rédiger une réponse. Il s'appliqua pour écrire lisiblement et se relut trois fois pour traquer la moindre faute. Il en profita aussi pour demander au roi où trouver des capes de voyage de bonne qualité à Ondre, pour le cadeau d'anniversaire d'Hydronoé. La nuit tombait quand il appliqua le cachet de la garde des chevaliers dragons sur la cire fondue qui scellerait l'enveloppe. Demain, il la donnerait au messager qui assurait la liaison entre le château des gardes et la capitale. Quand son frère vint le chercher pour aller aux bains, il le découvrit en train de lire en sifflotant gaiement.
- Qu'est-ce qui te rend si joyeux ?
- Le roi m'invite à passer quelques temps à Ondre. Je vais pouvoir rendre visite à ma famille ! Hydronoé sourit, découvrant ses canines pointues :
- Ceci explique cela.
- Je vais en parler à Gordon pendant le dîner, tu crois qu'il va accepter ?
- Je pense que oui. On dirait que le roi et lui s'entendent bien alors il ne doit pas lui refuser grand-chose.
Hydronoé avait raison. A peine Aymeric avait-il demandé la permission que Gordon répondit :
- C'est d'accord. Le roi m'a prévenu par lettre. Tu travailles assidûment, tu mérites bien de prendre un peu de repos.
L'enfant ne résista pas et étreignit son maître en s'exclamant :
- Merci !
Le chevalier lui tapota le dos maladroitement et dit d'un ton bourru :
- C'est trois fois rien. Maintenant mange au lieu de me serrer dans tes bras.
Le petit garçon termina son assiette et remonta dans sa chambre de bonne humeur. Les jours qui suivirent passèrent avec une lenteur exaspérante. Chaque jour il rentrait de l’entraînement en espérant découvrir une lettre du roi. Après une semaine d'attente, elle arriva enfin. Il l'ouvrit avec impatience et commença à la lire sans prendre la peine de s'asseoir :
Mon cher Aymeric, merci pour la rapidité de ta réponse. Tout est en place pour ton arrivée. Tu logeras au palais royal dans l'aile des invités. Pardonne-moi pour cette réponse tardive mais un événement imprévu m'a occupé ces derniers temps. Je t'en parlerais lorsque tu seras là. C'est Gordon qui t'escortera à la capitale dès le jour suivant la réception de cette missive.
A très bientôt,
Alaric, roi d'Alembras.
Aymeric bondit dans tous les sens en poussant des exclamations ravies, ce qui attira Alaman. Le rouquin entra dans la chambre et dit avec amusement :
- Tu essaies de créer une nouvelle danse ou tu as simplement des puces ?
- Ni l'un ni l'autre ! Je vais à la capitale pour mon anniversaire !
- Tu pars longtemps ?
- Je l'ignore. Le roi ne l'a pas précisé.
- Je sens que je vais m'ennuyer...
- Il reste Zacharie !
- Non. Il part après-demain survivre dans la nature avec son maître.
- Mais Firenza est là.
- Elle bouquine tout le temps et elle n'est jamais d'humeur joueuse. Je n'arrive pas à lier d'amitié avec les autres apprentis. Ils m'évitent tous en me traitant de sauvage. Avec ma chance Venerika me trouvera une occupation inintéressante pour que je ne gaspille pas mon temps libre.
- Désolé de te laisser comme ça, s'excusa Aymeric.
- Ne t'en fais pas et profite de ton cadeau d'anniversaire ! Le roi t'en fera sûrement un autre le connaissant.
- Ah oui ? Ça lui arrive souvent ?
- Oui, répondit Alaman. Il prend soin de tous les apprentis qui sont ici surtout si, comme nous, ils n'ont pas de famille. Nous en sommes un peu ses pupilles. La dernière fois il m'a offert un arc ! Et Firenza a eu un livre !
Aymeric songea que le souverain était trop généreux et se demanda si les autres rois faisaient de même. Il parla du voyage avec Gordon et Hydronoé durant le repas. Le chevalier semblait ravi de partir pour la capitale.
- Nous prendrons le large en début de matinée, décréta t-il. Soyez prêts à monter en selle rapidement et ne bouclez pas vos bagages à la dernière minute !
Le petit garçon songea à son sac de voyage déjà prêt qui l'attendait au pied de son lit. Il contenait surtout des vêtements de rechange, une gourde et une bourse avec des herbes médicinales. Demain matin, il irait chercher de la nourriture dans les cuisines en compagnie de son frère.
Ce soir-là il s'endormit tôt, le sourire aux lèvres. Il se réveilla en même temps que le soleil, parfaitement reposé. Hydronoé dormait comme un loir, fidèle à lui-même. L'apprenti s'habilla en contenant tant bien que mal son excitation. Il n'avait qu'une envie : se hisser sur le dos de sa monture et foncer au galop vers Ondre !
Il patienta quelques heures en lisant. Le dragon d'eau finit par remuer et se redressa en frottant ses yeux. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire et s'extirpa mollement du lit. Aymeric lui laissa le temps de se réveiller et de se vêtir puis ils descendirent avec leur sac sur le dos récupérer le sac de vivre qui les attendait aux cuisines. L'enfant salua le chef cuisiner et celui-ci lui ébouriffa les cheveux.
- Alors Aymeric, pressé d'aller à la capitale ?
- Plus que jamais ! s'exclama l'enfant.
L'homme se pencha vers lui et lui dit sur le ton de la confidence en lui tendant un petit sac en toile :
- Voilà des gâteaux pour reprendre des forces en cours de route. Le fromage et la viande fumée ce n'est pas suffisant pour deux enfants en pleine croissance. Mais chut ! Ça reste entre nous.
Ils échangèrent un clin d’œil complice et les deux apprentis se rendirent dans la cour en rangeant leur trésor dans le sac d'Hydronoé. Gordon sortait tout juste des écuries avec Sandor en tirant des chevaux derrière lui.
- Pour une fois vous êtes à l'heure.
Le chevalier tendit les rênes d'une monture à son élève et l'autre au dragon.
- Nous ne devrions pas avoir de problèmes durant le voyage mais en cas de danger vous restez à nos côtés et vous ne faites rien d’insensé. Surtout toi Aymeric. Compris ?
Ils acquiescèrent et se mirent en selle. Après s'être exercé durant des heures et avoir chevauché dans la campagne de longues après-midi en compagnie de son mentor, Aymeric ne craignait plus de monter à cheval. Au contraire il appréciait et se sentait libre lorsqu'il lançait son destrier au galop pour parcourir les étendus sauvages qui bordaient le château.
Gordon prit la tête du groupe suivit des deux enfants. Sandor fermait la colonne, sans doute pour des raisons de sécurité. Le dragon d'eau rabattit sa capuche large sur sa tête cornue lorsqu'ils franchirent l'enceinte du palais. Les passeurs leur firent franchir le fleuve et ils lancèrent les chevaux au galop une fois la végétation dense sur l'autre rive traversée. Aymeric se força à rester sagement derrière Gordon malgré son envie de faire la course. Au-delà du fleuve ils n'étaient plus chez eux et ce n'était pas le moment de se mettre stupidement en danger.
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