Chapitre 1.2 : Yume
Yume ne supportait vraiment pas lorsque Fileya manquait ainsi de confiance en elle. Après tout ce qu’elle avait réussi à surmonter jusqu’ici, pourquoi continuait-elle encore à douter de ses capacités ? Elle avait tenu tête à Teki. Elle avait découvert le passage jusqu’au Village de Cristal. Elle avait affronté Iakyndy, toute seule, et libéré tous les hommes pris dans ses neiges éternelles. Que lui fallait-il de plus ?
— C’est toi la magicienne du groupe, je te signale, indiqua-t-il d’un ton trop ferme, alors qu’il cherchait seulement à se montrer rassurant.
— Et puis, c’est moi l’héroïne de l’histoire ! intervint tout à coup Astrid, sa réplique semblant sortir de nulle part, les poings posés sur ses hanches avec fierté.
La jeune fille se sentit subitement forcée à ajouter, après un petit temps de silence où tous s’étaient mis à la fixer avec jugement :
— Enfin, en théorie. Donc, c’est peut-être à moi d’ouvrir cette barrière. J’essaie aussi.
Douée d’une confiance en elle qu’il ne lui connaissait pas, Yume regarda, incrédule, la façon dont Astrid s’avança triomphalement en direction de la barricade opaque. Elle apposa sa paume tout entière sur la surface irisée… avant de le regretter aussitôt. Cette fois-ci, Yume entendit très clairement le courant électrique parcourir la manche de la jeune fille jusqu’à hérisser les poils des avant-bras de cette dernière. Certaines de ses mèches de cheveux sur le haut de sa tête avaient subi le même sort. Le jeune homme dut se contenir de tout son être pour ne pas hurler de rire quand deux antennes de touffes à moitié bleues se hissèrent sur son crâne.
— Bon, OK, admit la brune en haussant les épaules, je me suis légèrement surestimée, sur ce coup-là.
— Tout à fait d’accord, plaisanta Yume, qui sentait l’ambiance plus détendue.
Tandis qu’Astrid descendait mollement les escaliers de cristal, sans doute déçue de n’avoir rien pu faire pour faire avancer les choses, Yume, quant à lui, lança un regard de braise en direction de la barrière. Les poings serrés le long du corps et le menton modérément enfoncé dans les plis de son vêtement, il lâcha, la mâchoire crispée :
— Si la magie marche pas, alors on va employer la manière forte.
Yume jeta brusquement son bras sur le côté. Aussitôt, des étincelles bleutées s’amassèrent autour de ses doigts complètement écartés et, lorsqu’il sentit le pommeau de son épée familiale dans le creux de ses mains, le jeune homme resserra sa poigne sur lui. Fileya, de son côté, fixait la lame avec inquiétude, un poing serré près du cœur.
— Tu es sûr que c’est une bonne id-
Trop tard.
Swing !
Ils entendirent tous très nettement l’épée de Yume fendre l’air, mais jamais la lame ne rencontra une quelconque résistance. Sous leurs yeux ébahis, l’arme avait simplement traversé la barrière irisée, comme s’il ne s’agissait de rien d’autre qu’une illusion. Mais ce ne pouvait être ça. Comment Fileya puis Astrid avaient-elles pu ressentir, dans ce cas, l’effet d’un courant électrique lorsqu’elles avaient tenté de l’effleurer ?
— … idée… termina Fileya, dans un murmure dépité.
Effaré, persuadé qu’un coup pareil ne fonctionnerait jamais bien que cela soit son plan initial, Yume lança un regard interdit à ses camarades. Les yeux écarquillés et la lèvre inférieure pendante, il reporta de nouveau toute son attention sur la barrière magique. Il n’y comprenait décidément plus rien à rien.
Une idée folle lui traversa subitement l’esprit. Abaissant son arme sans pour autant la faire disparaître, l’ancien Épéiste gravit les quelques marches qui le séparaient encore du mur irisé. Là, il tenta le tout pour le tout. Sans même prendre le temps d’y réfléchir à quatre fois, Yume enfonça sa paume complète dans la barricade magique, les dents serrées dans l’attente de la moindre décharge électrique. Cette action impromptue arracha un hoquet de stupéfaction de la part de Fileya, Astrid et Thandon, qui s’attendirent à l’entendre hurler, en proie à une souffrance insoutenable.
Pourtant, Yume ne ressentit rien. Aucune douleur. Et, le plus amusant dans tout cela, l’entièreté de son avant-bras était parvenue à traverser la barrière… et n’était même plus visible ! Surpris, et prenant peur à l’idée de perdre sa main, le jeune homme la retira aussitôt, avant de l’analyser sous toutes ses coutures. Elle semblait fort heureusement se porter à merveille !
— Mais pourquoi il y arrive, lui ?! s’égosilla Astrid, les yeux aussi ronds que ceux de Yume, qui n’en revenait lui-même toujours pas d’un tel exploit.
— C’est son épreuve, lâcha subitement Léterno, ce qui lui valut les regards atterrés de toute la petite assemblée.
— Comment ? releva l’intéressé, interdit.
— La voix a effectivement parlé d’épreuves qu’il nous faudra passer pour gravir la Flèche de Cristal dans son entier, réalisa Thandon, ses mains se serrant autour des chevilles de Khomas, encore juché sur ses épaules.
— Donc… tout repose sur moi si on veut continuer… C’est ça ? comprit le jeune homme, le cœur battant la chamade à l’idée que quelque chose de stimulant allait enfin se produire.
Yume lança son regard déterminé en direction de la barrière magique, silencieuse, mais qui pourtant semblait l’appeler. Il se demanda s’il lui suffisait de la franchir pour disparaître entièrement, tout comme sa main un peu plus tôt. Peut-être que ce fichu mur menait tout simplement dans une sorte de dimension parallèle, créée par les pouvoirs de la petite Déesse ? Après tout, la Flèche de Cristal était son domaine, tout y était possible, et personne ne savait quelle forme leurs tourments allaient prendre !
Comme l’avait si bien rappelé Thandon, la fillette avait effectivement parlé d’épreuves. Yume n’avait aucune idée de ce à quoi s’attendre, une fois la porte franchie, et cette peur de l’inconnu suffit à lui sentir poindre une forte poussée d’adrénaline. Ses jambes et ses bras se mirent à frémir d’impatience. L’ancien Épéiste espérait de tout son cœur qu’un combat épique le menaçait derrière ce portail en guise d’épreuve ! Son sang bouillit davantage dans ses veines à cette idée, tandis qu’un sourire ravi prit place sur ses lèvres.
— Bon, et bien, puisqu’il faut y aller… se réjouit-il, tout en effectuant de petits roulements d’épaules en guise d’échauffement, dans l’espoir d’un affrontement avec un adversaire gargantuesque tout destiné par cette épreuve.
— Attends, tu es sûr que c’est très pru — intervint Fileya, tout en tendant une main vaine en direction de son meilleur ami, dans l’espoir de le retenir encore un peu avant de faire des folies.
Mais Yume était têtu. Peut-être, même, l’être le plus borné que ce continent n’est jamais porté.
Sans y réfléchir davantage, Yume plongea dans la barrière opaque d’un bond puissant et majestueux. Des filaments de lumières vinrent s’enrouler autour de sa silhouette tels les tentacules visqueux d’une terrible créature qui essayait de vous emporter dans les profondeurs des mers pour mieux vous étouffer pour ensuite vous libérer, une fois tout souffle de vie disparu. Mais cette curieuse sensation de chaleur et cette impression d’être attiré dans l’obstacle irisé ne changèrent en rien le sourire en coin ravi de l’ancien Épéiste.
Lorsque la lueur se fit moins vive, Yume avait complètement disparu.
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