Chapitre 2: Pouvoir et religion
Léonard de Corvinus, palais de la foi des Trois à Fressons
Un soleil printanier inondait les nombreuses ruelles de la ville de Fressons. Les voies de la capitale regorgeaient d'activités ; incitée par le beau temps, la population vaquait à ses diverses occupations. Badauds, marchands et autres petites gens se pressaient, créant une foule compacte, et la plupart des hautes maisons qui bordaient les rues étaient tout volets ouverts. Ces riches demeures de la capitale à l'architecture travaillée étaient pour la plupart bâties en colombage voire même uniquement en pierre pour les plus aisés. Des draps, habits et autres linges pendaient au-dessus des passants sur de longues cordes tendues entre les hauts bâtiments.
Au coeur de la ville se tenait le vieux marché, véritable épicentre des lieux, il attirait les voyageurs et marchands de tout le royaume et d'au-delà. Les rues, comparables à des artères, contenaient le flux de personnes jusqu'au marché dans lequel il s'y déversait sans interruption. La place marchande regorgeait de bruit en tout genre. On entendait de nombreuses langues, allant du vieux continental local au lointain dialecte des sultanats. La place de commerce, véritable capharnaüm dont le son envahissait la ville, était visible des lointains palais de la capitale.
Un homme parcourait les allées du palais des Sauveurs, son regard capturé par le spectacle proposé par le marché. Il posa maintenant ses yeux vers ce qui se présentait devant lui.
Cet homme richement habillé portait les insignes de la famille royale et de ses proches. Il se dirigeait, résigné, dans un long couloir. Ce dernier était assez large et grandement éclairé par des fenêtres qui le bordaient. Elles se trouvaient être imposantes comme le reste de l'architecture du bâtiment. Toutes présentaient des colonnes surmontées de chapiteaux crénelés. Au-dessus de celles-ci trônait un arc sculpté en chevrons. La partie supérieure de la moulure était quant à elle décorée des motifs de la foi des Trois : une sorte d'anneau ou un axe central voyait deux autres lignes partir d'une de ses extrémités jusqu'a la partie opposée du cercle. La porte qui se tenait au bout du couloir était, elle, gardée par deux guerriers en armure. L'homme, en progressant dans le corridor , distinguait plus clairement ces deux gardes à mesure qu'il s'approchait d'eux.
Ils toisaient l'arrivant du regard. Parés de leurs riches et rutilantes armures d'acier, ils ressemblaient à deux colosses engoncés dans de grandes carapaces. Les pièces d'aciers polies qui les recouvraient étaient brisées dans leurs monotonies grises par des liserés dorés finement ouvragés, ceux-ci couraient sur les interstices et les extrémités de leurs armures. Le symbole de l'Eclesiarchie trônait au centre de leur torse et leur cape pourpe était presque cachée derrière eux.
Le nouveau venu leur fit un léger signe de tête et les gardes, réceptifs, s'écartèrent alors et lui ouvrirent l'imposante porte. L'homme plongea dans la pièce et disparut lorsque les deux gardiens fermèrent le passage derrière lui dans un léger grincement sonore.
Se tenant ainsi au milieu de la pièce, homme fut ébloui par le faste des lieux. Véritable bureau doré, la pièce regorgeait de décorations et objets fastueux. Des livres à la reliure d'or abondaient sur de longue étagères. De forme hexagonale, elle comprenait des piliers décorés sur chacun des coins. Ceux-ci montaient jusqu'à une partie centrale du plafond en forme de coupole. Cette dernière arborait un bas-relief des Sauveurs enjolivé en leur sainte gloire. En son centre se tenait un vitrail finement travaillé, et la lumière qui s'échappait de cette oeuvre de verre plongeait en direction d'un imposant insigne de la foi des Trois, de l'Eclesiarchie des Sauveurs. Il était entièrement façonné d'or et des pierres précieuses couraient le long de cette pièce d'art. L'insigne d'une taille plus que conséquente prenait place sur un bureau. De par sa taille réduite, ce dernier contrastait singulièrement avec les proportions grandioses de l'insigne qui s'y trouvait.
L'arrivant distinguait une forme qui bougeait derrière le bureau. S'avançant vers la partie grandement éclairée, il se dévoila à son visiteur.
Il s'agissait de l'Eidhöle Britius, plus haut représentant de la foi des Trois dans le royaume du Corvin.
Si la pièce pouvait impressionner, son résident l'Eidhöle n'avait rien à lui envier. Il était bien habillé, portait une longue robe pourpre décorée de coutures d'or et arborait un insigne des Sauveurs en collier. Son visage reflétait celui d'un homme âgé qui n'avait pas été épargné par le passage du temps. S'approchant de son visiteur, il l'accueillit.
— Mon ami, approchez, je vous en prie, dit-il en lui faisant signe.
Sa main gantée arborait un anneau pastoral en or serti d'une pierre de grande qualité.
L'invité s'approcha alors de l'Eidhöle et posa un genou à terre devant lui.
Il embrassa sa bague en signe de respect et l'Eidhöle lui fit signe de se relever. Ce dernier posa ensuite sa main sur son épaule et lui sourit en poursuivant.
— C'est un plaisir de vous voir, Léonard... Oui, cela fait un moment que vous ne m'avez pas gratifié du plaisir de votre visite...
— En effet, Eidhöle Britius, j'ai été grandement occupé dans le nord à combattre ces païens de Narlhind ; tiquant nerveusement il poursuivit. Ces maudits barbares n'arrêteront donc jamais de harceler nos frontières.
— Mon fils, tout homme qui croit se battre pour ses dieux est un homme dangereux, vous devriez savoir ça, répondit Britius en emmenant Léonard vers les jardins.
Britius l'accompagna la main posée sur son épaule pour aider ses déplacements.
Tous deux passèrent par une petite porte qui débouchait dans un vaste jardin. Celui-ci comprenait de nombreux arbres. Le chant des oiseaux accompagnait les deux hommes durant leur marche.
— Votre sainteté, je suis venu à vous comme auparavant. En quête de justes conseils que seul vous pouvez prodiguer.
— Vous accordez trop d'importance à ma vieille personne, mon cher, rétorqua Britius en souriant.
— Eidhöle, vous savez sûrement que mon oncle le roi, bénit par les Sauveurs, est maintenant mort. Son âme s'en est allée et je dois vous demander que faire durant cette période de trouble ? questionna Léonard d'un air préoccupé avant de poursuivre. Mon père était le légitime successeur mais il a été spolié d'une certaine manière par son frère. Un grand nombre de familles ne l'avait pas accepté à l'époque.
— Cette histoire appartient au passé, cependant je ne pense pas que vous soyez là pour me remémorer des passages aussi peu glorieux, conclut Britius en guidant son invité dans les jardins.
— En effet, c'est la sécurité du royaume qui me préoccupe. Vous savez que le roi n'a laissé qu'une héritière et son fils, lui, n'a que deux ans. Le royaume va se trouver dirigé par une adolescente et son nourrisson qui ne sait même pas encore parler. Les royaumes voisins ne tarderont pas à sauter sur l'occasion de nous attaquer. Sans parler des Narlhinds qui nous pillent déjà.
— Vous avez raison mais la reine, ou devrais-je dire la princesse, n'est pas encore couronnée à ce que je sache.
— Oui, c'est pour cela que je voudrais vous demander votre aide, j'aimerais prendre la place qui était destinée à mon père, fit Leonard d'un ton assuré.
Britius prit pleinement conscience de l'annonce de Léonard. Il finit sa route en conduisant son invité vers un belvédère qui donnait vue sur la cité en contrebas.
— Léonard, mon ami, si je vous donne mon soutien... questionna Britius avant de prendre une pause. Si je vous aide, promettez-moi d'aider notre congrégation, d'aider l'Eclesiarchie des Sauveurs et de la mettre au cœur de vos décisions.
À cette annonce, Léonard se tourna face à l'Eidhöle. Il s'agenouilla devant Britius et s'éclaircit la gorge avant de continuer.
— Vore sainteté, je vous jure d'être votre plus fervent support si vous m'apportez votre aide.
Britius savourait l'ironie de la situation, la famille royale qui l'avait si souvent gardé hors des grandes décisions du royaume allait maintenant s'entredéchirer et ce pantin de Léonard allait lui donner les clés du royaume.
— Alors, c'est chose faite, vous serez roi par la volonté des Sauveurs. Vous aurez mon soutien durant le vote du conseil seigneurial, répondit Britius en faisant un signe religieux suivi par Léonard qui prit alors congé.
En regardant son visiteur partir, Britius se tourna vers la ville en souriant. Si tout se passait bien, le royaume sera bientôt sous sa coupe, son homme de paille lui obéirait au doigt et à l'œil. Et cela sous la bénédiction des Sauveurs... et du Culte.
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