Chapitre 8: Un homme de l'ombre
Eidhöle Britius, place de joute royale à la Capitale Fressons
Les festivités battaient leur plein. La population grouillante abondait dans les alentours des lices. L'Eidhöle Britius n’était pas grand amateur des bains de foule et la situation le mettait à cran. Si l'évènement n’était pas aussi important, il se serait avec plaisir abstenu d'assister au tournoi. Accompagné par les manteaux pourpres, comme l'on surnommait la garde eclésiastique, Britius tentait de se frayer un chemin dans la foule compacte. Après avoir éprouvé la plus grande des difficultés à manœuvrer jusqu’aux portes de l'infrastructure, les gardes de Britius lui avaient ouvert un chemin jusque dans les longues allées marchandes.
L'Eidhöle ne portait pas d’objet ostentatoire pour l’occasion. Britius portait une simple tunique aux couleurs pourpres de la foi des Trois. Il marchait aidé par son sceptre et était suivi par un petit groupe de représentants de l'Eclesiarchie. Il savait qu’une telle foule cachait son lot de voleurs. Il s'était d'ailleurs amusé à observer l’un d’eux subtiliser la bourse d’un bourgeois. D’un geste sûr, l’homme avait coupé la besace pendante à la ceinture du riche citoyen avant de s'évanouir dans la masse grouillante de personnes.
Formant le conseil rapproché de Britius, ils étaient tous hauts placés dans les instances locales. Ils étaient les yeux et les oreilles de l'Eidhöle. Celui-ci arpentait les allées marchandes avec ses alliés depuis un certain moment déjà. S'impatientant, il désirait être dans la tribune royale pour ne plus se mélanger à la plèbe grouillante de la ville. Pressant le pas, les représentants de Britius tentaient de le suivre. Malgré son âge avancé, il était visiblement encore en moyen de soutenir une marche rapide. Il appela alors son capitaine, l’homme de forte carrure dépassait d’une tête la plupart des citoyens. Équipé d’une imposante armure ouvragée, il rejoignit sans délai son maître.
— Mon bon Hagen, dites-moi, sommes-nous encore loin de la lice ? dit Britius d’une voix légèrement essoufflée, mais audible.
Le colosse qu’était Hagen marchait à présent à côté de son prélat avec la visière de son casque ouvert.
— Nous sommes bientôt arrivés, Votre Sainteté. La foule est plus dense qu’escomptée. Mes hommes font leur possible pour vous ouvrir la voie.
— Parfait mon cher, je ne peux que vous féliciter de votre efficacité. Je vous en prie, retournez à vos hommes et amenez-nous jusqu'à la famille royale.
Hagen, refermant sa visière, repoussa sa longue cape pourpre et, d’un pas assuré, rejoignit ses hommes en tête du groupe. Ses guerriers formaient la garde rapprochée de l'Eidhöle. Véritable groupe d'élite, Hagen avait personnellement sélectionné les membres au cours d'épreuves diverses.
Après une quinzaine de minutes, le groupe de Britius déboucha enfin vers l’entrée de la lice royale. Apercevant l’imposant édifice, Hagen appela les gardes présents. Il s’était approché d’eux pour leur présenter son auguste Eidhöle. La garde royale, pleinement consciente de la personne qui s'approchait d’eux, fit place et aidèrent les manteaux pourpres. Ils firent un corridor pour permettre à Britius de monter dans les vastes gradins et se mettre en direction de la tribune royale. Après avoir escaladé les longues marches de l’infrastructure, Britius put entrer dans la tribune. Des gardes présents ne manquèrent pas de le saluer et des servants l'invitèrent à avancer tout en lui tendant un rafraîchissement. Britius prit le temps de goûter la boisson qui lui avait été donnée. Buvant celle-ci, il put reconnaître les notes corsées d’un vin. Si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, Britius pouvait même en dire la provenance. Il s’agissait d’une cuvée des duchés du sud, sûrement l’un des nombreux domaines du Duché de Vinorossi. Coupant court à ses observations, le cardinal retourna donc aux festivités.
Le brouhaha de la foule était maintenant supportable. Surplombant les gradins inférieurs, la tribune royale occupait une place de choix. Finissant son verre, Britius se dirigea vers les autres convives. Apparaissant peu aux tournois habituels, l'Eidhöle fut étonné par le nombre de personnes occupant les lieux. Britius s'avançait vers la foule de nobles, il cherchait la famille régnante du regard. Après un certain moment, il les repéra. Sur le côté gauche, la princesse et son frère bâtard observaient les convives.
Ne perdant pas plus de temps, Britius marcha en direction des deux personnes.
La princesse Anaïs était rayonnante, véritable figure de beauté, elle avait pour elle la jeunesse, en cela Britius ne pouvait que l’envier. Elle était plutôt bien habillée, portant une longue robe d’une étoffe très travaillée. Les tissus qui devaient être importés des maîtres-tisserands des duchés sudistes étaient d’une splendeur étonnante. La robe longue se finissait en une interminable traîne que la princesse enroulait autour du bras. Les couleurs royales composaient des motifs travaillés sur le tissu. Les riches habits d’Anaïs ne mettaient que plus en valeur son visage d’une grande beauté. Ses cheveux châtains étaient noués à l’arrière de sa tête.
Le bâtard royal se prénommant Folcard était à l'opposé de sa demi-soeur. Il portait une tunique guerrière assez simple. Son habit sans fioriture comportait tout du moins les couleurs du royaume et de la royauté. Lui, qui avait quelques traits en commun avec Anais, arborait une barbe brune entretenue et des cheveux bouclés coiffés sur le côté. Folcard était bien sûr équipé d’une épée attachée à sa ceinture.
Britius arrivait alors en face des deux représentants royaux.
— Mes enfants, quel plaisir de vous voir, le chemin jusqu'à la tribune royale est un vrai parcours pour le vieil homme que je suis.
Anaïs, rayonnante, écoutait attentivement Britius et, réceptive, lui répondit :
— J'espère que la foule n’a pas été trop difficile avec vous, Votre Sainteté. Je sais que vous n’avez que peu l’occasion de vous séparer de vos devoirs. Vous voir à cette célébration est un réel plaisir pour moi, finit Anaïs en souriant au vieux Eidhöle.
Folcard quant à lui ne fit mine d’aucune sympathie envers Britius. Après que sa soeur se soit exprimée, il continua.
— J’aurais pensé que votre garde pourpre aurait libéré le passage à grand coup d’armes votre “sainteté", dit Folcard d’un ton condescendant. Je crois que notre présence ne vous est en aucun cas importante, j'aperçois d'ailleurs votre bon ami Leonard qui se dirige droit ici. Sûrement pour vous parler de prières ou autres pensées pieuses, n’est-ce pas ?
Britius se contrôlait avec talent. Bien que Folcard soit un bâtard royal, il avait l'outrecuidance de parler au cardinal. Folcard semblait voir clair dans le jeu de Britius, il se méfiait de lui au plus haut point. L'Eidhöle répondit à Folcard avec une voix inchangée malgré les attaques verbales.
— Je m'attriste de voir que vous vous méprenez sur ma personne, mon bon Folcard, la princesse est la raison principale de ma venue, dit-il en adressant un signe de tête à Anaïs. Je vois d'ailleurs que vous-même allez être occupé, le représentant de la guilde marchande semble s'impatienter derrière vous. Sur ce, bon tournoi.
Finit de dire Britius en adressant un salut aux deux représentants royaux.
Anaïs et son frère furent ensuite directement accostés par un groupe de la guilde marchande, cela était une diversion plus que bienvenue pour Britius. Il tourna les talons et se dirigea vers Leonard. Celui-ci ayant vu l'Eidhöle parler à la princesse s’était arrêté en chemin pour parler à présent à un groupe de nobles, Britius alla vers eux. Durant son approche, il n’arrivait pas à entendre le sujet de la discussion. Les nobles, voyant Britius s’approcher, le saluèrent avec respect. L'Eidhöle s’adressa à eux en posant une main sur l’épaule de Leonard.
— Mes seigneurs, c’est un plaisir de vous voir aujourd’hui. Je dois malheureusement vous emprunter Leonard. J’ai quelques affaires à traiter.
Le groupe de nobles fit mine d’accepter et changea alors de discussion pour parler du possible vainqueur du tournoi d’ouverture. Le premier spectacle se voyait affronter les différentes maisons nobles aux moyens des jeunes de chaque famille, s'ils avaient l'âge requis. Britius, qui emmenait à l’écart Leonard, alla s’installer dans un des coins de la loge. Ainsi à distance de toutes oreilles indiscrètes, il put lui parler librement.
— Mon fils, je suis heureux de vous voir, commença Britius.
— Moi aussi, Votre Sainteté. Je dois dire que je suis étonné de vous voir parler avec Anaïs et Folcard. Ce bâtard de sang mêlé se doute de quelque chose, dernièrement il ne quitte pas la princesse un seul instant. J’ai peur qu’il ne découvre nos projets, continua Leonard d’un air inquiet tout en regardant la foule.
Britius, souriant, ne perdit pas un instant pour réconforter son allié.
— Cher Leonard, Folcard est comme un parasite s'accrochant à la princesse. Sans elle, il n’est rien et il le sait. De plus, je peux vous assurer que nos plans sont en ordre. Personne ne viendra contrarier le grand banquet à venir. J’ai d’ailleurs réussi à convaincre certaines familles du Bas-Corvin, elles seront de notre côté durant l'évènement.
Leonard fronça les sourcils. Il était songeur.
— Des familles du Bas Corvin, mon père, ce n’est pas très prudent. Traditionaliste comme ils sont, j’aurais pensé les voir tous du côté d’Anaïs.
— En effet, mon fils, ils le seront du moins en apparence, ces voix précieuses permettront à la princesse d'être élue par le conseil seigneurial. Elle se croira ainsi à l’abri et c’est alors que nous frapperons. Avant l’annonce du successeur au peuple. Anaïs et ses alliés seront au même endroit et nous pourrons nous en occuper.
Leonard, qui observait toujours la foule en quête d'oreilles indiscrètes, continua.
— Je vois que vous avez déjà tout prévu. Je dois dire que la situation a tendance à me mettre sur les nerfs. Vous avez parlé de voir Anais et ses alliés au même endroit lors de notre action. Je déduis donc que vous frapperez durant le banquet royal, finit Leonard d’un air à présent intrigué.
— En effet, mon cher, Leonard, l’occasion sera trop belle. Je ne peux... Enfin, vous ne pouvez pas la laisser passer, dit Britius avant de prendre une pause et de continuer. Parlons donc d’autre chose, mon cher Leonard. Avez-vous parié pour ce début de tournois ?
Leonard, comme amusé par le changement de sujet de l'Eidhöle, continua.
— J’ai malheureusement parié sur la maison Lamognes pour ce tournoi d’ouverture mais ils se sont fait sortir par la maison d’Ambroise, à mon grand regret.
Britius souriait face à cette nouvelle.
— Je vois que vous n’avez pas tenu compte de mes conseils. Pour ma part j’ai misé sur la famille Gaillot. Le dirigeant de la famille est un fervent support de notre cause et il m'a assuré que son fils serait en mesure de gagner.
D’un air embêté, Leonard renchérit: :
— Comme souvent, votre Sainteté, je devrais suivre votre conseil.
Les deux hommes furent coupés par les cors annonçant l'affrontement suivant. Le héraut présentait les familles qui allaient croiser le fer dans la lice.
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