Chapitre 10: Amis ou rivaux?
Pierre d’Ambroise, ruelles de la Capitale de Fressons
La fin de journée avait été plutôt festive. Pierre s'en était allé rejoindre sa tente où l'attendaient les hommes de la famille au grand complet. La victoire avait été de taille et aucun membre des Ambroise ne voulait rater l'occasion de le féliciter. Arrivé à l'entrée, une large foule accueillit le héros du jour. LAprès tout a victoire avait permis au jeune seigneur d'acceder au dernier carré se jouant le lendemain.
Descendant péniblement de cheval, Pierre commença à enlever son armure avec l'aide des servants présents. La tente et ses abords étaient animés, des tonneaux de bière avaient été amenés du Nord et les convives se servaient sans modération. Les rires résonnaient, les coupes se remplissaient et Pierre ne pouvait que se féliciter intérieurement. La famille d'Ambroise ne s'était pas autant amusée depuis un moment. Forgerons, pages, écuyers artisans et simples servants riaient à gorges déployées. C'est alors que son père se joignit à la fête. Pierre, bien qu'étant l'aîné de la famille, n’avait que peu l’occasion de lui parler. Il était la plupart du temps trop occupé à gérer les affaires du domaine et du royaume. Souriant, Durand s’adressa avec un ton moins solennel qu'à l'accoutumé.
— Je suis fier de toi, mon fils, tu as su te montrer digne de ton nom et, tels nos ancêtres, tu as su défendre ta famille et ton honneur. Je ne me rappelle pas une telle passe d’armes depuis ton grand-père. Lui aussi a connu les sables de la jeune joute. Je présume que tu désires profiter de ta victoire avec tes amis alors va, amuse-toi.
Le jeune chevalier, qui s'était débarrassé de sa carapace d'acier, naviguait à travers la foule. Salué, il ne prit cependant pas le temps de s'arrêter. Une pause même minime le condamnerait dans ces lieux jusque tard dans la nuit. Il avait d'autres projets pour la soirée. S'extirpant du groupe, il put respirer un bon coup. Bien qu'il eût été plaisant de passer la soirée en compagnie des personnes affiliées à la famille, il désirait profiter de l'occasion en petit comité. Il avait, avec Charles et Eudric, repéré une sympathique auberge lors de leur arrivée en ville. S'étant donné rendez-vous pour la fin de la journée, il devait maintenant trouver son frère. Blessé comme il l'avait été, le cadet des Ambroises devait sûrement encore se reposer. Accostant les personnes présentes avant de partir, il fut informé que son jeune frère se reposait dans sa tente depuis un moment déjà.
Pierre ne perdit pas plus de temps. Remerciant l'homme qui l'avait aiguillé, il se dirigea vers l'endroit indiqué non loin. Rentrant dans une tente, il put apercevoir son frère étendu au milieu.
L'air un peu hagard, Eudric tourna la tête et repéra Pierre à l'entrée. Il se redressa péniblement sur la table et Eudric fit alors signe à son ainé pour l'inviter à le rejoindre. S'avançant pour s'asseoir à côté de son frère, Pierre prit au passage une coupe qu'il remplit d'eau. S'approchant du blessé, il lui tendit. Eudric, se tournant complètement vers lui la but rapidement tandis que Pierre l'examinait. Il voyait bien qu'Eudric bougeait difficilement de son côté gauche. Il devait sûrement avoir une ou deux côtes cassées après l'impact de lance. Pierre pouvait d'ailleurs sentir l'odeur de plante médicinale. Le soigneur dépêché plus tôt avait administré au jeune frère une grande quantité de calmants pour apaiser la douleur.
Eudric était assis, revêtu d'un pantalon de tournoi depuis le début de la matinée. Son torse nu était quant à lui bandé pour maintenir ses côtes meurtries. Le regard de Pierre croisa celui de son frère et les deux jeunes hommes se sourirent l'un à l'autre. Les paroles étaient inutiles. Pierre aida le blessé à se mettre debout, lui tendant une sorte de béquille, il chercha ensuite de quoi l'habiller. Fouillant dans les innombrables malles présentes, Pierre trouva une chemise plus que convenable. Retournant vers Eudric, il la lui remit et l'aida donc à se préparer. Les deux comparses sortirent ensuite de la tente en direction de la ville.
L'auberge qu'ils avaient repérée se trouvait dans une des parties commerçantes de la ville, hors du haut quartier donc. Bien que peu visitées par les nobles, les auberges communes de la capitale regorgeaient d'activités. L'ambiance du tournoi avait gagné toute la ville. Des festivités avaient lieu dans les rues même. Saltimbanques et commerçants animaient la soirée. Pierre, qui dirigeait Eudric dans les rues, était sur le qui-vive. Les voies en pleine effervescence regorgeait de fêtards en tout genre. Pierre portait toujours un oeil attentif sur son frère qui progressait avec difficulté. Les deux jeunes hommes n'arboraient aucun signe distinctif quant à leur rang et se fondaient dans la masse pour rallier l'auberge retenue par Pierre.
Charles devait les y rejoindre avec un ami à lui. Au bout d'une bonne demi-heure de marche, les deux frères virent l'enseigne de cette dernière au loin. Le nom en grosses lettres indiquait " le Dragon d'Elba". L'auberge était installée dans une large maison à colombages, l'intérieur était d'ailleurs visible de l'extérieur. De longs volets rabattables qui séparaient le batiment de la rue étaient repliés permettant à la salle de déborder sur la voie. Un groupe de musique comparable à celui de la joute jouait et mettait l'ambiance.
Les gens dansaient et riaient ici et là au gré des musiques. Un sentiment de liesse planait sur les lieux. Les servantes se frayaient un passage entre les nouveaux clients et habitués. La bière et le vin coulaient à flots. Pierre secondait Eudric et tous deux se frayaient un chemin dans l'auberge. Pierre cherchait du regard Charles mais se fit une raison. Il ne devait pas être encore arrivé. Aidant Eudric à s'accouder contre l'une des poutres de l'auberge, Pierre se dirigea vers le comptoir. Un homme d'une carrure moyenne donnait des ordres à ne plus savoir qu'en faire. Arborant une longue barbe, il avait un ventre assez prononcé. Les serveuses allaient et venaient derrière lui. Pierre pouvait apercevoir les cuisiniers s'activer en arrière-salle. Les divers plats parcouraient les lieux. Pierre avait de plus en plus faim. Il marchatt vers le tenancier et le héla. L'homme, concentré sur ses affaires, prit son temps pour répondre au jeune client.
— Que puis-je faire pour vous, mon bon m'sieur ? dit-il d'une voix rauque.
— J'aimerais vous commander deux bières pour commencer, j'ai vu que l'établissement était rempli. Avez-vous une autre salle pour trouver de la place, l'homme qui est avec moi est souffrant et a besoin de s'asseoir.
Le tenancier qui écoutait Pierre aventura son regard vers la salle et discerna Eudric qui s'accoudait à une poutre porteuse.
— Pas de soucis m'sieur, Blanche va bien vous trouver une table.
L'homme siffla et une des serveuses accourut. Lui transmettant les informations, elle fit un signe à Pierre et les emmena vers l'arrière de la salle. Une femme qui nettoyait une table fraîchement libre leur faisait de la place. La dénommée Blanche leur montra les chaises. Au bout d'un moment la serveuse leur apporta leurs boissons et les deux frères, se saluant, burent donc en regardant la salle autour d'eux. Parlant des événements de la journée, les deux jeunes nobles tentaient de faire passer le temps jusqu'à l'arrivée de leur invité du jour. Ayant commandé une assiette de viande entre-temps, ils mangeaient tout en exposant leur point de vue quant à la situation. Tous deux furent coupés dans leur discussion quand ils virent au loin leur ami Charles se frayer un chemin dans la salle, accompagné d'un autre homme. Il se dirigeait vers leur table. Les saluant au loin, Pierre invita les deux nouveaux arrivants à prendre place. D'un signe, il appela la serveuse pour commander plus de boissons. Le bruit des festivités et l'odeur de nourriture qui planait dans l'air donnaient un certain sentiment de liesse à Pierre. La musique accompagnait les clients du restaurant durant leur repas. Charles fut le premier à rompre le silence du groupe malgré le bruit de la salle.
— Alors Pierre, il semblerait que je me sois trompé, tu as pu commencer le tournoi en fin de compte.
Eudric, souriant faussement, répliqua :
— Il n'aurait pas dû. Si mon adversaire n'avait pas tenté de me tuer, finit-il en buvant sa chope.
Charles, lui souriant en retour, continua.
— Ha ! Mais j'en perds mes bonnes manières, laissez-moi vous présenter un bon ami à moi, il se nomme Gerold Dugnon.
— C'est un plaisir de vous rencontrer enfin messieurs, Charles n'a pas arrêté de me parler de vous et je dois vous avouer que c'est un soulagement de vous rencontrer enfin. Il m'a dit que tu es le meilleur archer qu'il connaît, Pierre. Dommage que le tournoi ne présente aucune épreuve de tir.
— Plaisir partagé, je vois que Charles t'a parlé de moi en détail, dit Pierre souriant.
Eudric, réfléchissant, répondit alors.
— Dugnon c'est bien ça ? Si je ne me trompe pas vous êtes du Bas Corvin... par le Créateur comment connaissez-vous Charles et sa famille, finit Eudric perplexe.
— Ha ! Bonne question, dit Gerold. En fait, pour tout vous dire, nous sommes apparentés. Mon arrière-grand-mère s'est mariée à un Gaillot.
— La pauvre, reprit Eudric en rigolant
— Je vous plains, ajouta Pierre.
Charles, attaqué, leur rendit un sourire forcé.
— Les deux malins vont moins rire demain ; je suis ton prochain adversaire, Pierre. Enfin, si tu arrives à accéder à la finale.
L'héritier d'Ambroise, à cette annonce, avala sa bière de travers.
— Ha, parfait, on verra enfin lequel de vous deux est le meilleur.
Eudric semblait impatient rien qu'à l'idée.
— Tout à fait (continua Gerold) Nous autres n'avons pas l'honneur d'être qualifiés, ajouta-t-il en trinquant avec Eudric.
Charles et Pierre s'observaient avec une animosité certaine. Les deux amis allaient s'affronter pour de vrai en face du peuple et de la royauté. Cette idée ne plaisait guère à Pierre, mais il allait devoir triompher pour sa famille. La conversation s'interrompit quand Gerold les incita à se lever et à aller danser avec la foule qui se rassemblait devant l'auberge. Eudric observait les trois autres hommes avec un sourire, la situation avait pris une tournure qui l'amusait au plus haut point. La musique qui emplissait les lieux était rythmée, des chants paillards et d'autres à la gloire du royaume résonnaient à présent dans la rue. Les trois jeunes nobles se mêlèrent à la foule sous le regard d'Eudric.
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