Chapitre 28: Patrouille sur le front
Charles Gaillot, chemin de forêt entourant Roussons
Charles avait quitté les abords de la ville de Roussons depuis maintenant une bonne heure. Le début de matinée encore froid l'obligeait à couvrir ses mains et son cou. Le camp de siège était muni de nombreux braseros et autres feux, mais ici, en pleine campagne, il n’y avait rien de tout ça. Juste les arbres, les feuilles — et le vent qui faisait frémir la forêt. On lui avait confié l’une des patrouilles matinales. Se trouvant à la tête d’une colonne d’une quarantaine d'hommes, il observait les alentours du chemin et ses soldats. Le contingent comprenait lanciers, fantassins et arbalétriers. On lui avait assigné un capitaine. Homme d’un âge avancé, peut-être trop, il marchait au côté de son supérieur, le regard perdu au loin.
L’armée du Nord était un vrai amalgame de troupes royales, de régiments de villes et de levées seigneuriales. Rien que dans la colonne de Charles, il devait y avoir des représentants de toutes ces origines. Bien armés et équipés, ils étaient prêts à faire face à tout imprévu. Mais le jeune homme ne pensait pas trouver âme qui vive à des lieues à la ronde. Aucun combattant, aussi fou qu’il soit, ne tenterait de s’approcher du camp à présent. Les abords de la ville assiégée étaient parcourus par de nombreuses patrouilles armées, comparables à celle dirigée par Charles. Mais, au début du siège, il en était tout autre.
Les groupes armés n’étaient pas de trop, loin de là. Après l'installation du siège, les troupes sudistes n'avaient pas abandonné le terrain pour autant. Les semaines suivant la bataille du pont Saint-Arbant, les escarmouches s’étaient multipliées et les nordistes avaient dû lutter pour chaque terrain, village et pont. Cela avait entraîné de nombreux morts et la campagne de Roussons en avait en abondance à présent. Les goules et autres nécrophages ne s’étaient pas fait prier, ils avaient envahi la région et les charniers étaient autant d'appâts pour ces groupes de monstres. Les patrouilles avaient commencé à être risquées et le nombre de blessés, morts et disparus augmentait.
Les premières heures de marche furent assez calmes. Le groupe de Charles avançait dans un certain calme. Le relâchement avait commencé à gagner le groupe et les hommes de la colonne parlaient et rigolaient. L'ambiance prit une autre tournure quand le jeune noble et les hommes de tête virent une partie des éclaireurs non loin sur le chemin. Les hommes en question semblaient avoir combattu, certains étaient blessés et des carcasses de goules gisaient au sol. Deux hommes encore valides empilaient les dépouilles des créatures afin de les brûler. Charles et les combattants assignés aux patrouilles avaient suivi une explication, un long exposé sur les mesures à prendre pour combattre les nécrophages et comment se débarrasser de leur présence. Le jeune homme se rappela avec exactitude les explications. Avant le départ en patrouille, des officiers, aidés par des religieux suivant l'armée, avaient longuement expliqué la marche à suivre quant aux monstres et Charles avait tenté de saisir le principal. Il allait maintenant pouvoir appliquer les théories apprises.
Échangeant avec les éclaireurs survivants présents, Charles et son capitaine donnèrent l'ordre à la troupe d’aider à l'éradication des carcasses. Les éclaireurs les informèrent alors qu'une partie d’entre eux, les moins touchés pendant l'affrontement, avaient suivi les traces des créatures jusqu'à leur repère. À présent ils devaient être en train de s’occuper du nid des goules comme on le leur avait appris. Après avoir allumé la pile de cadavres présente avec une torche, Charles fit un signe de tête à son capitaine. Ce dernier se tourna alors vers les soldats et donna ses ordres d'une voix forte et dure. La troupe se remit en bon ordre et le jeune noble suivit les éclaireurs qui tentaient de retracer le chemin de leurs camarades. Ils étaient les seuls de la patrouille à reconnaître les signes laissés par leurs homologues.
La marche dura de longues heures, faisant brièvement halte pour pour le déjeuner. La colonne reprit son périple dans la forêt et arriva aux abords d’un village abandonné en fin de journée, des traces d'affrontements étaient encore visibles. Les sudistes avaient protégé les lieux avec abnégation. Les troupes de Léonard quant à elles avaient ravagé le petit regroupement de bâtisses qui avaient naguère formé le hameau. Les maisons de bois étaient en ruines, des traces de feu étaient encore visibles sur les murs et peu de toitures étaient encore en place. Des corps pendus se balançaient çà et là au bout de branches d’arbres ou de poutres sortant des bâtisses. Le centre du village était dans le même état de dégradation. Le reste des éclaireurs y était présent, à côté de ce qui avait occupé le rôle de temple. Le feu dévorait le bâtiment en ruine et une odeur infecte emplissait l'air. N’ayant croisé aucun corps au sol, les goules avaient dû traîner les dépouilles dans l'église et y avaient établi leur nid.
Regardant le spectacle du bâtiment en flamme, Charles observa les alentours. Le seul construction qui était dans un état acceptable se trouvait être l'ancien entrepôt non loin du temple, aucun autre bâtiment n'avait été épargné. Tandis que le jeune homme observait les lieux, le capitaine fit transmettre des ordres et une partie des hommes se dispersa dans le village et ses abords. Fouillant les bâtisses et la forêt avoisinante, ils agissaient avec attention et fouillaient chaque parcelle de la zone. Tout semblait sous contrôle.
C'est alors que Charles entendit l'appel d’un des hommes au loin. Un projectile frôla Charles, avant d'atteindre l’un des éclaireurs proches de lui qui s'écroula. Le capitaine ordonna le rassemblement. Les hommes écartés du groupe principal couraient le rejoindre et certains furent abattus dans leur fuite par des projectiles. Se protégeant derrière le mur de boucliers en formation, les hommes de Charles subirent une pluie de projectiles en provenance du sous-bois.
La grêle de flèches cessa alors et, observant entre les boucliers, Charles vit des ombres sortir de la sombre forêt. L’un d’eux désigna le groupe de Charles de son épée et une masse combattante se déversa en direction du village. Ils étaient pour la plupart vêtus de noir et portaient des brassards et tissus rouges à leur bras. Les ennemis affluaient de toutes les directions. Charles ordonna aux hommes de maintenir une formation en cercle. Observant la charge ennemie, le jeune homme put entendre leurs cris. Ceux-ci avançaient et l’homme qui semblait les diriger les fit progresser d'un ordre simple :
— Avanti Spadaccino !
Au milieu du cercle défensif, Charles fit signe à son capitaine. Ce dernier, à ses côtés, se saisit d’un grand cor et souffla de toutes ses forces ; le son emplit l'endroit tandis que la masse de combattants ennemis s’abattait sur le mur formé par les nordistes. Le son de l'instrument avait sûrement alerté les patrouilles proches et ils devaient maintenant gagner du temps. Les coups pleuvaient et les hommes formant le cercle commençaient à tomber. Plus le temps passait et plus les remplaçants venaient à manquer. Charles fut obligé à un moment de prendre part à la défense de la première ligne. Bloquant son bouclier sur celui de ses hommes, il échangeait des coups de sa main libre. La situation était critique et il ne savait pas si une patrouille avait entendu leur appel. Ne pouvant tenir la position plus longtemps, Charles ordonna le repli dans l'entrepôt.
La formation en cercle se déplaça jusqu'à la bâtisse et un à un les nordistes y prirent place. Protégeant la petite entrée de leur bouclier, les quelques arbalétriers présents tiraient depuis l'étage où ils s’étaient instalés. Les assaillants ne semblaient pas être des troupes régulières de l’armée sudiste. Leurs habits noirs et leur bandeau rouge n’avaient rien à voir avec les troupes d’Anaïs. La défense désespérée dura au point que Charles ne pensait plus en voir la fin. Les ennemis encerclant la bâtisse échangeaient des tirs avec les hommes de Charles. Les entrées couvertes par les fantassins bloquaient tout accès. Charles observa à travers les interstices des planches du mur regarda les ennemis allumer des torches. Certains, courant vers l'entrepôt, étaient fauchés par les arbalétriers du Nord. Cependant d'autres torches arrivèrent sur le toit et le feu commença à prendre.
La fumée étouffa bien vite les occupants qui devraient vite choisir entre le feu et les lames des mercenaires qui entouraient les lieux. Le combat était acharné et les projectiles volaient en tous sens. La situation, déjà mal embarquée, commençait à prendre une tournure tragique. Bloqués dans le bâtiment, Charles et ses soldats allaient vendre chèrement leur peau.
C’est alors qu’un cor se fit entendre au loin, comparable à un son de délivrance. Les nordistes présents dans le bâtiment redoublèrent alors d’ardeur et les mercenaires l'entourant réagirent à leur tour en battant en retraite. Sortant de leurs abris, les hommes de Charles reprirent possession du village tandis qu’une colonne de cavaliers faisait son apparition. Un chevalier en armure qui était à leur tête se détacha du groupe pour aller parler aux rescapés de la patrouille.
— On dirait que j’arrive juste à temps. Un peu plus et vous auriez été à point.
Observant le cavalier richement décoré et équipé, Charles pouvait voir l'insigne d’une des grandes familles du Nord. Les trois croix sur fond scindé de bleu et blanc des Montbard étaient peintes à même le plastron.
— Merci, pour votre aide. Je désespérais de savoir si des alliés avaient entendu notre appel.
— Ne vous en faites plus. Mes hommes et moi allons vous raccompagner au camp. Les mercenaires ont à présent l’avantage en forêt. Ce serait folie de les poursuivre.
Regroupant les blessés, les combattants de Charles repartirent non sans mal en direction du camp de siège sous bonne escorte.
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