Chapitre 35: Héritage et destinée
Pierre d’Ambroise, palais de Périssier
Pierre quitta la reine en fin de matinée pour rejoindre Lise. Tous deux profitaient alors du peu de temps qu’ils avaient pour se promener. Leur départ était prévu pour le lendemain et bientôt ils seraient loin du confort et du spectacle qu’offrait la ville. Périssier était très différente de leurs régions d'origine respectives. Les jardins du palais étaient colorés de fleurs aux teintes chaudes et les nombreux marchés des rues regorgeaient d’activités, de voyageurs. Mais la guerre n’était jamais bien loin et les combattants en nombre détonnaient fortement dans le paysage pourtant chaleureux et accueillant. Lorsque les cloches de la ville sonnèrent la prière de Sexte, ils allèrent tous deux trouver de quoi manger. Les deux jeunes gens tombèrent sur un cuisinier aux étals remplies et au four brûlant d’activité. Ils mangèrent un plat local à base de poisson avant de déambuler dans le vieux port. On pouvait retrouver des embarcations de toutes les origines. Les lourds navires du Corvin étaient amarrés aux côtés de galères des lointains Califats. Mais les embarcations qui étonnèrent le plus le jeune seigneur furent les dromons de l’Empire Synopien. Ces navires aux traits antiques étaient ceux de l'héritier fantomatique de l’Empire qui avait jadis tenu le continent. Capitaines, marins et autres marchands échangeaient dans un florilège de langues. Pierre et Lise marchèrent ainsi dans la ville un bon moment.
Tous deux rentrèrent au Palais lorsque le soleil commença à décliner. Quittant Lise qui s’en retourna vers leur appartement, Pierre se dirigea quant à lui vers les archives royales de Périssier. Son ancien tuteur devait l’y attendre pour lui remettre des documents avant son départ. Pierre n’allait pas manquer l'occasion de lui parler. Pierre reconnut tout de suite les lieux lorsque l'ambiance du palais, dont il avait maintenant une bonne image, changea. Nul serviteur ou garde n’était présent dans la salle où il fit irruption. De nombreux religieux et érudits arpentaient les lieux. La salle d'archives était en elle-même impressionnante. De plusieurs étages de hauteur, la pièce était remplie d’imposantes étagères regorgeant de parchemins et livres qui prenaient la poussière. Les lanternes présentes se substituaient au soleil déclinant et de nombreux érudits étaient assis sur les divers postes de travail recopiant et soignant des textes anciens pour certains. Les connaissances, lois et titres de propriété de tout le royaume étaient présents. Les dimensions de la salle étaient ainsi à la hauteur des importants écrits qu’elle renfermait. Rien d'étonnant à la présence de tant de documents. Le palais de Périssier était construit sur les fondations même d'un ancien palais impérial. La vaste bibliothèque était ainsi datée de cette époque lointaine et la royauté avait pu réutiliser l'infrastructure dans le même but.
Le jeune homme manœuvrait à présent dans cette grouillante foule de travailleurs qui s'affairaient aux tâches écrites du royaume. Tous étaient à pied d'œuvre entre les couloirs formés par les hautes étagères qui disparaissaient dans l’ombre du plafond. Pierre cherchait Corbius du regard. Ce n’étaient pas les religieux âgés qui manquaient, tous étaient recroquevillés sur leur petite place de travail armés de leur plume et de leur vision décroissante. Tandis que son regard scrutait chaque place de travail, il désespérait de trouver le père Corbius. Et ce fut bien lui qui trouva Pierre en premier. Surpris par une main posée sur son épaule, le jeune seigneur se tourna et tomba nez à nez avec l’homme en question.
— Alors Pierre, comment trouves-tu la ville ?
— Dépaysante, répondit le jeune seigneur qui suivait à présent le vieux religieux.
Tous deux marchèrent alors ensemble. Corbius, fin connaisseur, avancait avec habileté entre ses confrères, les tables et piles de documents. Bientôt ils furent dans un espace à l'écart et Corbius prit place sur l’un des sièges d’une modeste table où se trouvaient divers ouvrages et parchemins. Pierre prit alors place en face du religieux.
— Alors la reine t’a confié de nouvelles terres ?
— En effet, je lui ai prêté allégeance. J'ai juré de l'aider lorsque l'hiver sera passé.
— Une femme intelligente, tu en conviendras. Léonard et ses troupes ne vont plus bouger à présent. Ils viennent de faire tomber le bourg de Roussons. Léonard y a établi ses quartiers pour cet été, voire même pour l'hiver.
— C'est ce qu’elle m’a fait comprendre, mais je n’étais pas au courant pour la ville. Bon, la reine m’a dit de voir les documents administratifs liés à mon nouveau domaine avec vous. On dirait que vous avez su vous rendre important ici en peu de temps.
— Ha… il se trouve que je suis un homme aux nombreux talents.
— C'est ce que j’ai cru comprendre.
— Bon, les documents du domaine sont là, dit Corbius en montrant une protection de cuir entourant divers documents. Mais d’abord j'aimerais converser avec toi à propos de choses importantes. Des choses que ton père t’aurait aprises s’il n’était pas mort prématurément.
— Vous m'intriguez, Corbius, dites ce que vous avez à dire sans trop de détours.
Le vieux prêtre farfouilla dans une des piles de livres. Mettant la main sur celui qui l'intéressait, il le tendit à Pierre.
— Les chroniques Impériales, volume un, je te l’avais fait lire il y a longtemps, tu te rappelles ?
— En effet, répondit Pierre en feuilletant les pages de l’ouvrage dont il connaissait bien le contenu. Ça parle de l'unification des différents royaumes païens du continent central lors de l'avènement de l’empire, son âge de conquête.
— Oui, tout à fait, c'est là où je veux en venir, dit Corbius en observant autour comme pour être sûr qu'aucune oreille indiscrète ne traîne. Ambroise est l’une des seigneuries les plus puissantes du royaume et cela est dû au passé à cette époque précise. Ta lignée, la lignée des Ambroise, descend de celle des rois guerriers de la période suivant l’ère des luttes. L’Empire a vu le jour peu après et ses conquêtes commencèrent. Tel un flambeau, la civilisation impériale s’est propagée. Les royaumes tombèrent les uns après les autres, écrasés sous la botte des légions impériales. Tes ancêtres étaient les rois de toutes les terres au nord du Haut-Corvin, entre la rivière de l’Envin et le gué de Sainte-Anne.
— Ça fait bien la moitié du Haut Corvin, s’étonna Pierre. Cette période préimpériale dont vous parlez est celle qui précède l’ère des luttes, donc très ancienne.
— Eh oui, reprit Corbius, tu es d’une lignée prestigieuse. Les érudits des royaumes alentour et du Corvin connaissent le nom de ta famille. Votre histoire est lourde d'importance. Tes ancêtres ont conquis ces terres lorsque les humains n’étaient alors que des tribus nomades. Et de leur sang te viennent ta force et ton héritage.
— Mais comment nos terres, les terres de la famille Ambroise ont-elles été autant restreintes ?
— Cinq rois régnaient alors sur les terres qui forment à présent le Corvins, tous ont été dépossédés par l’Empire lors de leur annexion. Trois rois ont bien tenté de combattre. Ils se sont lancés dans une dernière bataille, un dernier affrontement mais ils ont été vaincus. L’un d'eux les avait trahis pour l’or et les promesses impériales. Les deux derniers rois se sont retrouvés pris entre deux forces et ont ainsi été vaincus. L’un d'eux était ton ancêtre.
— Et le troisième celui de la famille royale alors.
— Oui, c'est pour ça que ta famille a vu son territoire être réduit. Tu es autant légitime à régner que la reine Anaïs ou Léonard. Ton père était légitime c'est pour ça que son allégeance était si importante à l’un comme à l’autre. Les Ambroises ont toujours été rois ou faiseurs de rois dans l’histoire.
— Et c'est ce qui a mené mon père à la mort, conclut Pierre en observant le livre d’un air désabusé. Mais si ma famille a autant de légitimité, pourquoi n’a-t-elle jamais pris possession du royaume et de la couronne ?
— Car ta famille a toujours été une menace pour la royauté, vous avez toujours été observés, épiés et ralentis. Ton père était bien différent de ses prédécesseurs, il s’est rapproché du feu roi puis est même devenu l’un des tuteurs de sa fille, Anais.
— Elle me l’a dit elle-même. C'est donc en mémoire de mon père qu’elle se comporte aussi bien avec moi. Mais pourquoi me révéler tout cela, pourquoi maintenant ?
— Car bien que tu aies été dépossédé de tout, tu restes par ton seul nom important, je voulais que tu le saches. Je fais bien sûr partie de l’ordre des veilleurs et je suis à présent au service de la reine. Mais je suis avant tout un serviteur de la famille d’Ambroise. Je devais te révéler ton histoire, ta vraie histoire. Celle que tout le monde tait ou essaye de faire disparaître. Notre période actuelle est trouble. Le futur incertain. Maintenant que tu as toutes les cartes en mains, je te souhaite de tracer ta voie, d’embrasser ta destinée.
— Mais pour avoir un impact sur ce monde, il me faut des soutiens, des terres, de l’argent, une renommée...
— Et tout ça t’attend à présent, la reine t’a offert un domaine à l'est, dans les montagnes, à la frontière avec le royaume d’Elba. C'est une terre dure, mais tu pourras en faire bon usage pour tes plans, quels qu’ils soient. Voici les documents attestant la possession du domaine de Villeurves dans les Marches de l’est, dans la seigneurie de Praveen. Ton nouveau domaine. Je te prie de signer, dit Corbius en désignant des espaces sur les parchemins.
Pierre apposa son nom sur chacun des documents tendus par Corbius avant que ce dernier n’applique le cachet de cire royal.
— Tu es à présent au fait de tout. Tu pars bientôt si je ne m’abuse ?
— Demain à l'aube.
— Une dernière chose, dit Corbius qui voyait Pierre se lever pour partir. Que comptes-tu faire à présent, avec tes nouvelles terres, les demandes de la reine, tes propres désirs ?
— Je vais suivre la route qui se dessine à moi, vers ce que me réserve le destin. Cette route me mènera vers mes nouvelles terres, les champs de bataille et je l'espère vers ma vengeance et le domaine d’Ambroise.
Fin de la Seconde Partie
Notes de l’auteur:
Je prends le temps avec cette conclusion de seconde partie pour remercier les personnes qui m'ont aidé jusqu'à maintenant. En effet, pour dire vrai je ne pensais pas arriver aussi loin. Je ne pensais pas aligner plusieurs chapitres alors de là à finir des parties complètes... C'est essentiellement grâce aux commentaires, avis et corrections qui ont été postés. Vous, lecteurs, êtes en soi les principaux acteurs de cette aventure qui a vu notre jeune protagoniste quitter son domaine pour finir sur les dangereuses routes du royaume en guerre. J'espère que le récit vous a plu jusque-là, malgré les fautes et autres phrases farfelues que j'ai pu sortir. J'espère vous avoir surpris et fait aimer les différents personnages. Je vais à présent prendre le temps de corriger tous ces chapitres et la partie trois devrait bientôt suivre. Voilà, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé jusque-là, ce que vous avez aimé moins aimer. Je vous dis donc merci et au plaisir.
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