Chapitre 38: Villeurves

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Pierre d’Ambroise

Lundi 8 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.

Route de l’est ; après la prière de None

Royaume du Corvin

Depuis qu’ils avaient entrepris le chemin indiquant Villeurves, le groupe de Pierre s’aventurait sur des routes qui ne faisaient que monter. Au fur et à mesure de leur ascension, ils s’enfonçaient dans une forêt de plus en plus touffue, les chênes, hêtres et autres sapins recouvraient les environs cachant bientôt le ciel au-dessus d’eux. Le groupe avançait de plus en plus lentement, oscillant entre les montées et passages serrés qui caractérisaient cette région montagneuse.

À travers l'épaisse végétation bordant le chemin, la présence d’animaux était perceptible ci et là lors du mouvement de branches qu’ils faisaient bouger sur leur passage. Ces habitants de la forêt devaient être surpris par le groupe de cavaliers qui rompait le silence habituel des lieux. À mesure que la monture de Pierre gravissait la montée, la vision sur les bords commençait à revenir. Parmi les quelques trouées dans les branches et autres végétations, Pierre pouvait apercevoir les nombreux pics montagneux au loin. Ce spectacle peu familier impressionnait le jeune homme qui se laissait à présent conduire par son cheval.

Les monts avoisinants devaient sûrement avoir chacun leur nom et tous rivalisaient en hauteur comme pour atteindre le ciel pourtant si lointain, si inaccessible. Le chemin que prenait Pierre était lui-même sur les flancs d’une des montagnes de la chaîne de Praveen, les arbres encore présents sur les côtés laissaient leurs racines courir le long du sol, pour rajouter quelques difficultés sur ce chemin déjà difficile. Si le paysage n’arrivait pas à alerter sur le changement de régions, la sensation des oreilles se bouchant en montée le faisait. Le jeune seigneur dut essayer de bailler pour reprendre pleine possession de son audition.

Le chemin de forêt mena bientôt sur une portion encore plus restreinte, une sorte de piste serpentant sur les flancs mêmes de la montagne. Le regard du jeune homme s’aventurait sur sa droite ou s’étendait à présent le vide. Les sabots du cheval ne manquaient pas de déplacer quelques pierres et autres gravats qui venaient disparaitre dans la forêt en contrebas.

La troupe progressa un long moment sur la piste à flanc de montagne et fut confronté à un passage inhabituel. Devant eux se tenait une sorte de tunnel. Creusé à même la paroi de montagne, le travail de l’homme était visible par des contreforts en épaisses pierres de taille. Plus le cheval du jeune seigneur avançait plus les détails apparaissaient, au centre de la voûte de l’arche était gravé un blason partiellement effacé, érodé par le temps. Nulle torche n'éclairait le passage du tunnel mais la lueur du jour permettait une certaine visibilité dans la cavité. Espérant un passage court, Pierre emmena sa monture dans l’obscur tunnel.

La lumière qui avait éclairé le début du passage laissa bientôt place à la pénombre, mais cette dernière allait être de courte durée, car la lumière au bout du chemin était déjà perceptible. Les sabots des montures résonnaient dans le tunnel et bientôt, dans ce bruit et cette obscurité, la lumière de la sortie éblouit le jeune seigneur. La lumière aveuglante accueillait le jeune homme qui déboucha sur un promontoire. Sa monture s’était arrêtée sur ce petit espace tandis que Pierre reprenait possession de sa vision.

Devant lui se tenait une vallée nichée entre deux imposantes montagnes. L’endroit semblait ainsi protégé par ses défenses naturelles dont le tunnel était l’une des quelques petites entrées. L’endroit semblait protéger par ses monts imposants, disposés comme pour cacher cet endroit d'une rare beauté au reste du monde. Le soleil haut dans le ciel éclairait de tous ses feux la forêt en contrebas. Quelques oiseaux de proie naviguant dans le ciel tandis que le vent faisait frémir la forêt. Malgré l’été qui commençait à réchauffer le royaume, une légère brise balayait les montagnes laissant aux voyageurs un certain confort. Pierre fut bientôt rejoint par les trois autres cavaliers qui à leur tour observèrent les lieux. Pressant de ses bottes les flancs de sa monture, Pierre entreprit la suite du chemin qui semblait descendre dans la vallée.

Les chevaux commencèrent peu à peu à quitter la piste des montagnes et s’enfoncèrent à nouveau dans une forêt. La route s’élargit alors à peu à peu et des bruits d’activité furent perceptibles au loin. Le sol, lui, faisait petit à petit place à un léger pavage et gravillonnage. Les espaces de chaque côté étaient recouverts de l'épaisse forêt vue depuis les hauteurs de la piste. À ceci près, que ces espaces boisés commencèrent à intégrer des zones dégagées. Des champs de blé recouvraient les quelques trouées de la forêt. La couleur jaune des cultures était comme en contradiction avec le vert dominant des arbres. Dans certains champs, Pierre pouvait voir de l’activité. Des travailleurs devaient sûrement préparer la moisson maintenant bien proche. Ces gens ne manquèrent pas de remarquer la petite troupe de cavaliers. Certains se hasardèrent à les saluer tandis que la majorité des travailleurs se contentaient, eux, d’observer de loin d’un air méfiant.

Le chemin de la troupe les mena bientôt vers ce qui s'apparenterait à leur destination. La succession d’arbres et de petits champs laissait apparaître le village de Villeurves. Comme pour alerter les quelques voyageurs qui ne l'auraient pas encore remarqué, un panneau indiquait le nom des lieux. L’endroit était d’une bonne taille pour un domaine de montagne. Pierre s’attendait à de petites maisons de quelques éleveurs et forestiers éparses mais le spectacle qui s’offrait à lui était tout autre. De nombreux bâtiments étaient regroupés dans ce lieu bien aménagé. Les premières bâtisses bien espacées laissèrent place à une succession de maisons collées les unes aux autres. L’architecture générale était bien différente de ce que le jeune seigneur avait pu voir jusqu'à maintenant. Les bâtiments de Villeurves comprenaient une base en grosses pierres savamment empilées et taillées. De gros rondins composaient les ossatures qui reposaient sur les pierres et les murs eux étaient composés en torchis. Les imposants toits qui finissaient les structures étaient en un agencement de tuiles en essentes dont la forme variait d’une maison à l'autre. D'un bâtiment officiel à l'autre. De nombreuses cheminées étaient réparties ci et là, exhalant une odeur de bois brûlé. Sous les grands porches qui prolongeaient les édifices, des gens étaient réunis pour parler affaires ou discuter. Nombre de regards se portaient ainsi sur la troupe de voyageurs qui manœuvrait à présent dans la rue principale. Pour peu dire, la seule rue aménagée du village.

Les cavaliers arrivèrent bientôt au centre des lieux qui accueillait un important édifice. Une grande halle comparable au cœur des lieux était l’emplacement où convergeaient tous les chemins. Tel le cœur du village, les allées et chemins s'y rejoignaient. La structure entièrement de bois avait de quoi impressionner. De nombreuses colonnes composaient la base de l'édifice. Tous étaient autrefois de fiers arbres des environs taillés et décorés. Cette solide base venait accueillir de nombreuses poutres qui tel un squelette soutenait le long toit en essente. Une petite tour centrale venait prolonger l'édifice en son centre incorporant une cloche visible de loin. De nombreuses gens étaient présents sous la halle, discutant et échangeant entre les divers échoppes et coins d’échanges. On avait présenté les lieux à Pierre comme étant un simple village de montagne mais l’endroit semblait être presque proche du statut de bourg, les murs de défense en moins.

Tandis qu’ils continuaient à progresser en observant les alentours, Pierre et ses camarades furent interpellés par un occupant des lieux. Un homme en habit de religieux s’était extirpé de la halle bondée et se dirigeait vers les arrivants. D’un bon âge, l’homme arborait une grande barbe brune, des cheveux mi-long et des yeux verts amicaux. S'il ne portait pas ses accoutrements de prêtre, l’homme aurait facilement pu passer pour un bûcheron ou forgerons par sa carrure et son visage dur mais accueillant.

- Seigneur d’Ambroise, commença l’homme en s’approchant du groupe d’une voix forte mais hospitalière.

- Oui, répondit Pierre du haut de sa monture.

- Ha, quel plaisir de voir recevoir en personne ! commença le prêtre tandis que le jeune homme mettait pied à terre.

Le religieux serra prestement la main de Pierre pour le saluer. Sa force surprit le jeune homme avant que le prêtre ne continue.

- Nous avons reçu un message par oiseau il y a de ça quatre jours pour nous alerter de votre arrivée. J’espère que vous avez fait bonne route.

- Le voyage fut assez tranquille je dois dire.

- Ha quel piètre accueil je vous fais là, laissez-moi me présenter. Père Pilgrym, prêtre de cette paroisse et malheureux administrateur en cette période de transition.

- Si je puis me permettre père Pilgrym, vous n’avez pas le physique d’un prêcheur ou copiste.

- Je dois dire que j’ai quelque peu guerroyé durant ma prime jeunesse. Je me suis lassé du sang et des conflits inutiles. Je préfère à présent parler à mon prochain autour d’un bon verre plutôt que le tuer.

- Noble pensée.

- Je trouve aussi, le message que j’ai reçu faisait état de votre situation. Je suis désolé pour votre famille, vos parents…

- Moi aussi.

- C'est dans l’adversité que se forgent les hommes, jeune Ambroise, je suis sûr que vous ferez un bon seigneur.

- Tout du moins je ferai tout pour, vous pouvez me croire.

- Je dois dire que votre venue était grandement attendue. Je me retrouve tiraillé entre mon office de prêtre et le rôle d’unique gestionnaire du domaine depuis trop longtemps. Cela m’a valu de prendre un peu trop de ventre et de perdre trop d’argent en noyant mon chagrin.

- Vous avez encore un bon physique mon Père, vous êtes trop dur avec vous-même...

- Sûrement, reprit Pilgrym qui commençait à marcher en posant sa main sur l'épaule de Pierre pour l’accompagner. Je suis sûr que vous avez de nombreuses questions mais le voyage a dû être fatigant. Je vais vous parler du domaine en vous accompagnant à votre nouvelle demeure.

Tous deux commencèrent à marcher suivis de Lise et des hommes d’armes.

- Je ne m'attendais pas à un endroit si habité.

- Les voyageurs sont souvent surpris par notre village. Le dernier seigneur, que les Sauveurs le gardent, a été très actif dans le domaine et son travail couplé à celui de ses prédécesseurs a mené à une grande pérennité des lieux.

- Le seigneur… il était à la capitale ?

- En effet, ainsi que toute sa famille, le bailli, nos principaux officiels et autres hommes d’importance…

- Je suis désolé pour ces morts

- Comme moi, mais nous n’avons guère le temps de nous laisser aller. Nous prierons ensemble lors de la messe. Pour l’heure, laissez-moi vous parler de Villeurves. Comme vous avez pu le constater le domaine est d'une bonne taille et comprend la vallée. Cela va du marais à l'ouest du domaine au vieux fort impérial à l’est. De fort il n’en a plus que le nom c’est plus une tour délabrée entourée d’un monceau de verdures. Le reste du domaine consiste en de la forêt dense, quelques champs et des pâturages dans les hauteurs. Un peu plus d’une centaine de familles vivent ici et la plupart sont présents au village même. Quelques autres sont répartis dans divers domaines éloignés sous titre de métayers.

- Quelles sont les activités principales ?

- Nous avons trois activités qui ressortent. En minorité la récolte de blé, d’épeautre, de seigle et d'avoine. Le travail du bois et les troupeaux de moutons sont ce qui est le plus pratiqué.

- Les revenus dégagés sont-ils suffisants ?

- Pour sûr, seigneur. Les familles sont plutôt bien loties ici. Bien que le seigneur ne touche que peu de revenus sur leurs activités même, les impôts comme la taille et les banalités rapportent un bon montant. Couplez à ça les parts de la guilde du Bois de l’est qui a des locaux ici et des foires organisées régulièrement, les revenus dégagés sont importants pour un petit domaine comme le nôtre. A cela s’ajoute le ravitaillement du monastère sur le mont Vanthaux au nord.

- Impressionnant, mais les gardes , où sont-ils ? S’il y a tant d'activités, il faut bien des hommes en armes non ?

- Je vous ai dit que j’avais pris la gestion seigneuriale en attendant un successeur. Mais sans cachet officiel de la fonction et sans seigneur je ne pouvais payer les hommes.

- Ils sont tous partis ?

-La plupart des hommes ont accompagné le seigneur à Fressons. La vingtaine d’hommes restants sont retournés aider leurs familles.

- Je vois, reprit Pierre en observant les alentours durant leur progression. Je vois que vous avez une auberge, et quel est ce grand bâtiment-là, dit-il en pointant une bâtisse sensiblement plus grande que les autres.

- Ce sont les locaux de la guilde marchande dont je vous ai parlé.

- Je vois vous n’avez aucune fortification ou défense ?

- Les montagnes sont nos murailles et les entrées sont limitées. En temps normal nous les faisons garder. Toutefois le manoir du seigneur est une place forte respectable qui est capable d’accueillir les gens du domaine en cas de problème.

- C'est le manoir, dit Pierre en désignant l’importante structure qui se dessinait devant eux.

- En effet.

L’endroit pouvait en effet accueillir un grand nombre de gens. Si le manoir n’avait pas le titre de château, ses défenses et sa taille le valaient bien. De dehors, la grande structure principale était visible uniquement par son toit et ses étages supérieurs. Un mur défensif entourait les lieux. Faite en grosse pierre de taille comme en adéquation avec les bâtiments du village, une construction renforcée de bois composait le haut des fortifications. Une grande double porte faisait office d'entrée et des mâchicoulis étaient répartis le long de l’entrée. Nulle tour ne composait l’enceinte défensive, seul le manoir surplombait les lieux de toute sa hauteur. Les arrivants suivirent alors le prêtre à l’intérieur des lieux.

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