Chapitre 42: Des problèmes à l'horizon
Pierre d’Ambroise
Mardi 9 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.
Manoir seigneurial de Villeurves ; quelques heures après la prière de Laudes
Royaume du Corvin
Le soleil matinal commençait à éclairer la chambre de Pierre de ses rayons. Malgré les nombreuses tâches qui l’attendaient, le jeune seigneur désirait au fond de lui rester dormir, pouvoir grappiller quelques secondes de repos, de suspens. Ce désir n'était pas par simple envie, mais par besoin. Malgré tout le confort qu’offrait le manoir, les récents événements résonnaient encore en lui et il avait pour ainsi dire lutté toute la nuit pour s’endormir. Il s’était tourné et retourné sur sa couche pris dans une lutte sourde contre son esprit lui rappelant les douloureux souvenirs des derniers mois.
Le chant du coq au loin finit de réveiller le jeune homme qui ouvrit alors les yeux. Se redressant, il s’assit sur le bord de son lit, en tentant d’émerger entièrement de sa nuit peu réparatrice. Repérant ses affaires reposées sur une chaise non loin, il se mit debout et s'habilla. Enfilant ses braies, il mit une tunique de laine qu’on lui avait donnée par-dessus sa chemise. Son veston bleu aux armoiries d’Ambroise n’avait plus vraiment fière allure quand il était arrivé avec Lise. Les servants des lieux s'étaient alors empressés de le lui prendre pour lui redonner une seconde vie. Ou tout du moins un aspect plus présentable, plus en accord avec son rang.
Ainsi habillé, le jeune homme se dirigea vers la fenêtre de la chambre, et poussant les volets de bois, regarda le paysage qui se dévoilait à lui. Les hautes montagnes recouvertes en partie de forêt offraient un certain spectacle naturel dès le réveil. Le village était déjà empli d'activités. Les gens vaquaient à leurs occupations. La cour du manoir était elle aussi active, tendant l’oreille le jeune homme pouvait entendre le chant de la forge, du forgeron, du marteau s'abattant sur l'enclume et le fer.
Abandonnant ce paysage, ce tableau vivant, le jeune seigneur quitta la chambre. Ouvrant la solide porte de bois, il abandonna ce qui aurait dû être un havre de paix, un espace de repos. Mais par la situation actuelle, Pierre préférait finalement être occupé par quelques tâches quelles qu'el soient. Sa chambre était située dans l’étage supérieur des lieux. Ce quatrième niveau se tenait juste sous l'épaisse toiture de bois qui finissait la bâtisse. Cet étage comprenait l’espace du seigneur. Une chambre, une salle principale centrale et le bureau dans lequel il avait déjà travaillé en compagnie de Pilgrym.
Quittant cet étage, son étage, il s’engagea dans l’escalier en colimaçon qui reliait les quatre étages du manoir. Les deux parties intermédiaires comprenaient des salles et chambres diverses et inoccupées pour la plupart. Lise était, avec Pierre et les servants, les uniques résidents permanents des lieux. Lise avait pris ses quartiers dans l’une des grandes chambres du second étage non loin d’une salle qui faisait office d'apothecarium. Les deux jeunes avaient pu longuement parler depuis leur rencontre. Pierre connaissait ses talents, il les avait pour ainsi dire éprouvés lui-même. La jeune fille allait devenir la guérisseuse du village. Pilgrym, en tant que religieux, occupait cette fonction bien malgré lui. Il n’avait pas eu l’air déçu en apprenant la nouvelle, il fut au contraire réceptif et souriant. Ce dernier devait sûrement être heureux de se voir libérer des tâches de seigneurial et médicinal à la fois.
Dévalant les marches en pierres, le jeune seigneur fit son apparition dans la salle à manger du premier étage. Au loin, la porte de la cuisine était déjà ouverte et sur la table des plats étaient prêts. Souriant, le jeune homme ne perdit pas plus de temps et mangea. Croisant le regard d’un des servants au loin, il ne se priva pas de les remercier et les félicita pour ce repas plus que bon. Pierre était le premier des lieux à manger, Lise devait sûrement encore dormir. Ou tout du moins, se reposer. Elle devait être dans le même état que lui, les souvenirs et douleurs de la capitale en moins. Tous deux étaient à présent des orphelins poussés par le destin sur un chemin tortueux.
Pierre qui continuait tranquillement de manger les différentes spécialités locales présentes fut alors rejoint par le père Pilgrym. Ce dernier après être entré dans le manoir seigneurial par la grande porte principale s’était dirigé directement vers l’espace qu’occupait le jeune seigneur, des parchemins et papiers sous le bras.
— Ha, alors seigneur avez-vous passé une bonne nuit ?
— J’ai essayé… je dois dire que les lieux étaient plus que propices mais mes sentiments, eux, non.
— Je comprends, dit-il en prenant place sur la grande table non loin de Pierre tout en posant ses divers documents. Alors comment trouvez-vous notre bourgade, le domaine ?
— Pour ce que j’en ai vu, c'est un endroit parfait, mais je pense qu’une petite visite des lieux s’impose pour confirmer cela et voir les choses qui nécessitent d’être réglé.
— Je pensais bien que vous alliez dire ça. Cothyard m’a accompagné jusqu’au domaine. Il doit vous attendre pour vous faire visiter les lieux et sûrement parler. J’aimerais bien connaître les tenants et aboutissants de votre discussion de la nuit dernière.
— Vous doutiez de ma capacité à lui faire entendre raison ?
— Non, non du tout, reprit le religieux. Je dois juste vous dire que votre discussion a dû porter ses fruits.
— Alors je ne vais pas le faire attendre, nous nous verrons plus tard.
— En effet.
Saluant le religieux, Pierre quitta le manoir pour rejoindre la cour où l'attendait son guide tandis que Pilgrym devait se rendre dans le bureau seigneurial pour déposer ses papiers et parchemins.
Le jeune seigneur d’Ambroise entra alors dans la cour intérieure des lieux. Là, non loin de lui se tenait Cothyard assis sur son cheval qui, attendant l’arrivée de Pierre, s’était mis à manger une pomme. Juste à côté de lui se tenait une autre monture scellée et prête. Remarquant l’arrivant du jeune seigneur, Cothyard prit une dernière bouchée de sa pomme avant de la jeter pour se mettre correctement sur sa selle.
— Vous avez croisé Pilgrym ? L'homme semblait pressé de déposer ses documents.
— Il m’a dit que vous vouliez m’accompagner visiter les lieux.
— On va dire que nous avions une discussion à continuer et un tour des lieux me semblait le plus approprié pour le faire. Cadfel vous à préparé votre monture.
Remerciant le palefrenier des lieux qui se tenait non loin, Pierre grimpa sur sa selle et suivit Cothyard hors du manoir.
Les deux cavaliers avançaient dans les rues de la bourgade sur leur monture. Cothyard était salué de temps à autre sur leur passage en même temps que Pierre qui semblait plus attirer la curiosité que la sympathie.
Le grand Hall central du village commençait à accueillir ses premiers occupants. Les habitants de Villeurves s'étaient mis au travail tôt et beaucoup étaient déjà hors de leur demeure. Le grand bâtiment de la guilde du bois était tous volets ouverts et les riches marchands étaient déjà en prise avec les travailleurs locaux pour sûrement discuter des prix, chargement à venir et travaux à accomplir. Quelques femmes étaient présentes sous les porches des bâtisses échangeant histoires, ragots et travaillant sur quelques habits ou pièces d’osiers. De nombreux paysans reconnaissables à leurs housseaux et capes à capuches se dirigeaient vers les champs qui parsemaient le domaine.
Les maisons qui encadraient la route des deux cavaliers commencèrent petit à petit à se clairsemer jusqu'à laisser place à la forêt avoisinante. Bientôt, les deux hommes arpentaient les routes du domaine. Cothyard après avoir été salué par les quelques passants expliquait à Pierre les différents endroits importants rencontrés en route. Entre la visite des champs, granges et ateliers, les deux hommes parlèrent à différents occupants du domaine. À chaque début de discussion, Cothyard était salué et Pierre observé avec attention par la plupart des interlocuteurs.
Alors que les champs et quelques constructions commencent à se faire de moins en moins nombreux, les deux hommes croisèrent une lourde charrette tirée par deux bœufs. Les occupants entendant les deux cavaliers approcher les regardèrent avant de faire des signes de salut.
— Mais c’est Cothyard, commença l'un des deux occupants de la charrette avec un sourire jusqu'aux lèvres. Comment vas-tu ?
— Je me porte bien et toi Oderic ? Tu apportes ton chargement au bourg de Landreux?
— Ça va bien, on fait aller. Mon cousin, dit-il en désignant son camarade de route, a accepté de m'accompagner pour vendre les premières laines de la tonte. Si je ne veux pas me faire voler, Landreux est le seul endroit où on me proposera un prix correct dans les environs.
— La foire aux laines de ce bourg est donc toujours active malgré la situation, je suis content pour vous. D’ailleurs, voici Pierre d’Ambroise le nouveau seigneur, dit-il en montrant Pierre à côté de lui.
— Heu... Enchanté messire, fit l’éleveur de moutons en se baissant respectueusement bientôt imité par son cousin après avoir été tiré par Oderic. Si je puis me permettre bien humblement… j’aimerais s’avoir si vous aller faire quelque chose concernant le grand-duc ?
— Le grand-duc ? reprit Pierre.
— Une vraie plaie, continua Cothyard. C’est un griffon qui a pris un malin plaisir à effrayer les gens de la région. Les griffons ont toujours existé dans la région mais ils n’ont jamais attaqué les humains, les moutons ou le bétail oui. Mais pas les hommes, normalement ils vivent dans les crêtes et sommets de montagne. C’est l’un des seuls à s’approcher aussi près de Villeurves et le seul à nous attaquer. Le seigneur devait s’en occuper mais avec son départ à la capital la chose fut repoussé. Et bien sûr, depuis, personne n’a agi.
— Je n’en ai jamais vu en vrai. A-t-il tué des personnes ?
— Ça on peut l’dire, dit Oderic.
— Le griffon a attaqué plusieurs caravanes de marchands, ses derniers temps et a pris ses quartiers dans la scierie.
— Les hommes de la guilde en ville semblaient en prise avec les bucherons locaux, c’est lié ?
— Oh oui. La scierie est devenue dangereuse, le griffon y est établi et c’est un peu devenu sa zone de chasse. Depuis, il a attaqué les travailleurs des lieux et plus personne n’a osé y retourner. La guilde a bien essayé d’agir, ils avaient engagé des mercenaires de la région, mais ils ont empoché les pièces et ne sont jamais revenus. Depuis le griffon est encore plus agressif. Il a attaqué tout homme s’approchant de la zone proche de la scierie. Tuant plusieurs travailleurs qui si étaient aventurés pour travailler.
— Alors je crois que notre première tâche est toute trouvée.
— Que les Sauveurs m’emportent, conclut Cothyard.
Les deux hommes saluant les occupants de la charrette se mirent en direction de la scierie en question.
⁂
Les deux cavaliers parcoururent les pistes de la fôret pendant bien une heure ou deux, profitant de l'occasion pour échanger à propos de diverses choses. S’arrêtant à une seule occasion pour laisser leurs montures s’abreuver dans un des ruisseaux de la vallée. Reprenant leur route les deux hommes ne tardèrent pas à rejoindre le lieu occupé par la scierie. Les quelques troncs d’arbres présents ci et là alertaient sur l’activité des lieux mais la fôret avait déjà commencé à reprendre ses droits et recouvrait les bases des arbres coupés et les pilles de troncs d’arbres.
Mettant pied à terre les deux hommes attachèrent leurs montures et se frayèrent un chemin dans l’épaisse végétation des lieux. Tandis que le chemin se faisait de moins en moins difficile, Cothyard qui ouvrait la marche tandit sa main en arrière en s’agenouillant à terre.
— Un problème ? commença à chuchoter Pierre.
— Si vous n’êtes pas moins discret, ça risque de le devenir, nous approchons du lieu. Selon les gars du village, la bête s’est installée dans un des grands bâtiments de stockage donc essayez d’être discret à présent.
Tous deux continuèrent alors leurs progressions de manière moins rapide mais plus discrète. Ou tout du moins essayèrent de le rester. La végétation bientôt éparse vit Cothyard progresser en rampant, imité par le jeune seigneur et les deux hommes observaient les lieux qui se découvraient à eux depuis leur promontoire. La scierie d’une taille importante était composée d’un bâtiment principal pourvue d'une roue à aube figée à présent dans la rivière. La végétation grimpante avait envahi le bâtiment principal et les différents lieux de stockage qui composaient la place.
Tandis qu’ils observaient les lieux, les deux hommes se figèrent quand les cris du griffon emplirent les lieux. Une ombre imposante survola alors les deux observateurs qui ne perdirent pas plus de temps. Rebroussant chemin précautionneusement, ils rejoignirent leurs montures pour quitter les lieux.
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