Chapitre 50 : Les intrigues du prêtre et de l’inquisiteur

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Thadeus Kreisth

15ème jour du mois de juin de l’an de grâce 1205 AE.

Village de Frégny, à quelques lieues de Périssier ; proche de la prière de None.

Royaume du Corvin

Les bruits et discussions en tout genre emplissaient la salle commune de l’auberge du Coq Hautain, et ce, malgré le soleil haut dans le ciel. Le village de Frégny n’était pas une bourgade bien grande et faisait partie de la multitude de hameaux qui gravitaient autour de la grande ville du Sud qu’était Périssier. Le domaine d’Anaïs de Corvinus et chef-lieu de sa faction dans la guerre civile.

L’établissement était ainsi le seul endroit d’importance de ce petit village et en pleine après-midi, il y avait foule. L’endroit était occupé par des personnes aussi diverses que variées. Si ce n’est pour dire étranges, en vue des temps troublés qui prenaient le royaume.

Certains groupes s’étaient formés sur les grandes tables du centre de la pièce. Des groupes criards qui trinquaient de leurs chopes de bière en échangeant ragots ou jouant aux cartes. Certains solitaires comme Kreisth siégeaient quant à eux aux quatre coins de la salle. Ils étaient marchands, mercenaires ou simples itinérants de passages. Enfin, c'est ce que chacun d’entre eux voulait faire savoir aux autres se disait l’inquisiteur en regardant un homme reclus donnant à manger à son furet. Kreisth était quant à lui venu sous les apparats d’un simple commerçant, conduisant sa charrette de « biens » jusqu’à ce village.

Il était ainsi présent de manière anonyme, car les affaires qui l’avaient conduit en ce lieu requièrent bien des subterfuges. Il avait rejoint Corbius dans ses desseins et, à présent, il était de son devoir de rassembler des soutiens. Pas qu’il manque de combattants bien sûr, mais ils avaient besoin d’acteurs extérieurs pour lui donner l’avantage de la surprise. Un avantage contre leurs adversaires bien mystérieux qu’étaient les Veilleurs. Personne ne connaissait l’identité des dirigeants de ce groupuscule bien occulte. Chaque loge en possédait plusieurs. Si la vie mouvementée de l’inquisiteur lui avait appris une chose, c'est qu’il fallait apprendre à voir par-delà les artifices, par-delà les faux-semblants.

Les trois membres de la loge du Corvin n’en manquaient pas, ainsi que leur garde bien anonyme que Kreisth avait rencontré sur leur lieu de rassemblements. L’inquisiteur au bagage important et à l'esprit retors avait remarqué des choses bien étranges ces derniers jours. Et ce, depuis l' entrevue qu'il avait eu avec son ami Cobrius. Des sensations inhabituelles qu’il n’avait que peu rencontrées, l’impression d’être épié depuis les ombres.

S’il était sûr d’une chose, c'est que les dirigeants à la tête des Veilleurs n'étaient pas naturels, pas humains. Si Kreisth avait choisi une auberge en pleine après-midi, ce n'était pas par simple hasard, mais bien pour être sûr de n’attirer aucun œil indiscret. Aucune créature nocturne à l'œil perçant et à l'ouïe fine.

Toutes ces pensées n’étaient que des suppositions bien sûr. Si l’inquisiteur voulait avoir le cœur net, il devait capturer l’un des représentants de l’ordre et en supposant que l’instinct de Kreisth ne lui jouait pas des tours, c'était bien les Veilleurs qui allaient agir en premier. S'il les épiait, cet ordre allait prendre naïvement l’initiative en sous-estimant l’inquisiteur et le danger réel qu’il représentait.

Il n’attendait que cela et cette rencontre qu’il avait organisée allait l’aider en ce sens.

Tandis qu’il buvait une gorgée de sa chope, le grisonnant inquisiteur vit la porte principale de l’auberge s’ouvrir. L’homme qui fit son apparition avait les traits bien jeunes et le visage tanné comme l’étaient tous fils des duchés du Sud.

Le regard des deux se croisa alors et, souriant, l’arrivant se dirigea de suite vers l’inquisiteur. Mais il n’était pas le seul nouvel occupant des lieux, plusieurs autres voyageurs lui emboîtèrent le pas et s’éparpillèrent dans toute la salle. Si de prime abord, on avait pu croire à un arrivage de différents voyageurs bien étrangers les uns aux autres, Kreisth savait qu’il en était tout autre.

Tirant la chaise opposée de la table de l’inquisiteur, le jeune arrivant demanda de suite à boire avant de regarder à nouveau Kreisth.

— Ha, quel meilleur moment que celui d’une halte après un bon voyage, commença le jeune homme en prenant la pinte fraîchement arrivée. Inquisiteur Kreisth, si je ne me trompe pas.

Ne reconnaissant point l’homme qu’il avait convoqué, Kreisth allait se lever pour partir quand son interlocuteur le stoppa net en plantant son couteau dans la table.

— Voyons mon ami, pourquoi tant de hâte… Ha ! Suis-je bête, tenez, fit-il en sortant une petite missive qui gardait dans l’une de ses poches.

Lisant le contenu, l'inquisiteur comprit de suite que Juliano Petiti avait été retenu au front avec sa compagnie Écarlate. L’homme qui se tenait en face de lui n’était autre que son frère. Son cadet dénommé Raffaello Petiti.

— Avec le ton de ma lettre, j’espérais bien voir la présence du chevalier rouge en personne, fit l’inquisiteur.

— Oui, pour cela, nous nous excusons… Mais à part le ton bien impérieux, je dois dire que votre missive était des plus sibyllines. Mon frère a donc décidé de demeurer auprès de ses hommes et de l’engagement fait par ma famille auprès de la reine Anaïs. Cependant nous connaissons nos autres devoirs et je me trouve ainsi ici en votre présence, cher inquisiteur. Il vous faudra donc vous contenter de moi, enfin de moi et de mes hommes.

Le jeune sudiste a l'air bien assuré n’avait pas fini sa phrase que certains occupants de la salle, nouveaux arrivants comme lui ou occupant déjà bien installés depuis quelques heures, les scrutaient.

—Je vois ça, dit Kreisth. Votre frère a une réputation bien connue et étant un fils de la maison Petiti, je ne doute pas de votre conviction. Mais de votre expérience.

— HA, mais mon frère a pavé la route, s’il est l’épée, je suis l’esprit. Quant à votre affaire, je suis sûr que je pourrais vous apporter mon aide. Et qu'elle sera aussi bénéfique que l'aurait été la sienne.

— Il nous faut l’espérer… Mais d’abord comment puis-je savoir que vous avez la main libre concernant cette affaire ? Quel signe officiel de la confiance de votre famille ?

Enlevant l’un de ses gants en cuir, Raffaello montra alors sa main à l’inquisiteur et la chevalière qu'il arborait fièrement. C’était un anneau travaillé portant en son centre une gravure des armoiries des Petiti. Celui d’une tête de taureau repérable aussi sur le haut du pourpoint en cuir que dissimulait Raffaello sous ses accoutrements de voyages.

— Je vois que votre père vous a donné une chevalière, vous avez donc passé son épreuve pour devenir un adulte.

— Et en tant que représentant légitime de ma famille, j’ai toute autorité pour accepter ou non votre proposition... demande, dit-il en enfilant son gant pour recouvrir sa main et son insigne familial.

— Bien, comme vous le savez. Ou du moins, je l’espère, votre père a rejoint un ordre sur ma demande.

— Les Veilleurs, oui, il m’en a parlé. Mais il m’a surtout mis en garde face à ce genre de groupuscule secret. Je sais qu’il n’avait pas le choix de les rejoindre après que vous lui ayez sauvé la vie.

— Je lui avais pourtant laissé, sachez-le. Tout homme est libre de ses choix. C’est la conséquence qui en découle qui nous en montre la justesse, ou non. Pour en venir à notre affaire, j'ai besoin d’aide concernant cet ordre. Ces veilleurs.

— Intéressant… Mon père m’a expressément demandé de suivre vos directives dans la limite du raisonnable, bien entendu. Il m’a fait comprendre que sa dette envers vous en valait la peine. Mais d’abord, dites-moi, vieil homme. Pour quelles raisons avez-vous besoin de mercenaires ? Vos combattants sont devenus trop faiblards pour vos besognes ?

— Mes combattants sont surtout reconnaissables.

— Si vous soumettiez moins à la question et brûliez moins les gens, vous auriez moins ce problème…

—Il faut bien entretenir son image et sa réputation. Et puis je ne suis pas le plus productif de mes homologues sur ces questions-là.

— Si vous le dites.

— Combien d’hommes avez-vous à disposition dans la région ?

— Hum… Je dirais une bonne centaine. Nous avons un camp non loin qui sert de relais entre le duché et le front nord de la Reine. Sur mon ordre, ils seront là en une bonne journée. Mais fini de tourner autour du pot, quelle est cette demande ? Vous n’avez toujours rien dit à part son lien avec notre employeur commun.

Sortant cette fois une lettre cachetée de son habit, l’inquisiteur la fit discrètement passer sous la table. La saisissant Raffaello s’apprêtait à rompre le cachet de cire pour la lire, mais fut arrêté par le signe de mains de l'inquisiteur.

— Ne lisez le contenu de la lettre qu’en chemin vers votre campement ou dans un lieu sûr de préférence. J’espère que les hommes de votre famille sont aussi attachés au maintien de leur réputation que les miens, car ils auront bientôt un défi important à relever.

Se ravisant en glissant en sûreté la lettre dans son habit, Raffaello reprit.

— Comme lors de votre rencontre avec mon père ?

— Oh oui, tout du moins rien d’inférieur à cela.

— Vous savez cher inquisiteur, mon père a toujours tenu sa langue concernant la nuit de sa rencontre avec vous. De la nuit où vous l’aviez sauvé. J’espèr…

— Et il a raison. Certaines choses se doivent d’être passées sous silence. Un jour, peut-être, il vous en parlera.

— Cette histoire a toutefois fait parler d’elle dans notre bon Duché de Vinorossi. Vous êtes vu comme un allié autant qu’un fauteur de troubles. Peut-être que lors de notre affaire conclue, vous me parlerez de cette fameuse nuit.

— Peut-être en effet. De nos jours, tout est possible. De ça, j’en ai la certitude, que les trois guident votre route Seniore.

— À vous aussi, inquisiteur. Mais je doute que cet au revoir dure longtemps.

— Vous le verrez bien en lisant le message. Partez devant, je dois rester ici un peu plus longtemps pour être sûr que personne ne m’ait suivi.

— Où ne m’ait suivi, n’est-ce pas ?

Acquiesçant Kreisth salua fugacement Raffaello Petiti qui se relevait pour quitter les lieux. Bientôt suivi par ses hommes qui avaient pris place dans la pièce. Ces combattants allaient devoir faire honneur à leurs réputations, car la vie de nombreuses personnes allait en dépendre.

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