Chapitre 54 : Le dragon de Kahélonia
Geréon de Vimards
29 ème jour du mois de juin de l’an de grâce 1205 AE.
Ville d’Okswie, capitale du royaume ; peu après la prière de Sexte
Royaume de Kahélonia
Geréon soufflait de dépit.
Le temps était mauvais, en fait plus morne que mauvais. Presque à l’image du royaume dans lequel il voyageait depuis voilà plusieurs jours déjà. Geréon était un serviteur du Cardinal Britius, et de ce fait, il lui avait demandé de voyager jusqu’à ces contrées inhospitalières, dans ce lointain royaume de Kahélonia.
Ainsi, il arpentait ces terres avec le reste de sa délégation composé d'hommes de foi ou de guerre, pour porter au souverain local les paroles de Britius.
Ou plutôt, ses demandes bien secrètes, car le groupe de cavalier était dans un voyage bien non-officiel. Les temps plus que compliqués que connaissait le Corvin poussaient ces hommes à garder profil bas. Mais le roi de Kahélonia, Berimund, avait bien sûr été averti de leur venue. Et leur affaire était des plus importantes que ce soit pour le Corvin ou Kahélonia.
S’agitant sur sa dure selle de cuir, Geréon cherchait une position qui le faisait moins souffrir. C’était un homme de lettre, non un itinérant ou guerrier. Si on le lui avait demandé, il serait resté dans le palais de l’Eclesiarchie à Fressons. Mais les ordres du cardinal ne se discutaient guère.
Et le voilà sur les dures routes du morne royaume de Kahélonia à voyager en tant que représentant personnel de Britius. Quelle douce ironie, la guerre était avide de personnes à ce point ?
Emportant ses conclusions qui ne devaient intéresser que lui, il trouva enfin une position moins détestable sur sa monture. Et son sentiment de satisfaction se transforma en joie lorsqu’il vit apparaître au loin les tours d’Oskwie. La capitale du royaume.
Il ne devait pas être le seul car bientôt des murmures balayèrent la colonne de cavalier autrefois bien calme et silencieuse. Et quand Geréon fut encore plus avancé, les bannières qui finissaient les tours se dévoilèrent à lui. Sur les tissus à la couleur orangée, se tenait un grand dragon, noir.
Il n’y avait aucun doute à avoir sur le lieu…
Resserrant la capuche qui le couvrait du vent froid, Geréon fit accélérer sa monture. La ville d’Oskwie, qui prenait place face à eux, était connue dans tout le vieux continent. Elle avait une certaine réputation que Geréon ne put que confirmer lorsqu’il s’approcha des remparts.
La capitale du royaume de Kahélonia n’avait pas été choisie par pur hasard. Elle était nichée sur le flanc d’une montagne et face à elle se tenait une profonde crevasse.
Bientôt, le cheval de Géron fit résonner les fers de ses sabots lorsqu’il progressa sur les pierres de l’imposant pont qui franchissait cet obstacle naturel. Enfin, si ça l’était. Pour certains, cette cicatrice résultait des luttes d’antan, lorsque les dieux foulaient cette terre et que le Créateur régnait encore.
Mais quelle que soit la vérité, cette protection naturelle associée aux hauts remparts de pierres de la ville formaient une redoutable défense contre toute agresseurs assez fous pour attaquer ce lieu.
Passant ce véritable gouffre sans fonds, Geréon se trouva face aux imposantes portes de la ville. Il pouvait discerner la herse relevée et les deux doubles portes, mais tous ces outils de défenses étaient ouverts. La guerre ne déchirait pas ce royaume.
Face à la muraille, se tenaient de nombreux hommes en armes. Ils arboraient tous des pièces d’armures. Par-dessus leur gambisons prenait place des tissus aux couleurs orange et noir du royaume. Certains étaient équipés de casques, de plastrons tandis que d’autres encore étaient armés de longues vouges. Ce fut le cas de l’homme qui se porta à la rencontre de la troupe de cavaliers.
C’était un vieux moustachu d’une bonne carrure équipé d’une chapelle de fer qui supplantait un bonnet mité qui devait le protéger du vent plus que froid qui s’engouffrait dans cette ouverture de la muraille.
Le noble de la délégation, un chevalier à en déduire par ses atours se présenta au garde qui dans un regard mélangeant dédain et hostilité se décala du passage en leur disant d’avancer d’un signe de main.
Le reste des gardes en factions n’étaient pas plus accueillants et quittant bien vite leur présence, les cavaliers entrèrent dans la ville.
L’endroit n’était pas si différent de ce qu’avait connu Geréon. Après tout, il avait passé la majeure partie de sa vie à Fressons et les villes se ressemblaient toutes. Surpopulations, bâtiments de pierre et nobles ou marchand dédaigneux…
Rien de bien différent à la belle capitale du Corvin.
À part bien sur les couleurs et le style architectural. Les bâtiments arboraient un style plus austère que les détaillés bâtiments de Fressons. Les constructions étaient à l’image du royaume et son aspect austère. L’orange et noir étaient quant à eux présents à chaque détour et le symbole du dragon dominait.
Les cavaliers déambulèrent ainsi dans la ville durant un long moment. Progressant dans les divers quartiers de la capitale et bientôt le noble qui avait mené la troupe depuis leur arrivée en ville les mena vers une nouvelle muraille.
Cette dernière comprenait cette fois une porte bien fermée et le chevalier du Corvin échanga longuement pour que les gardes ouvrent le passage. Lorsque ces dernières le firent, l’ouverture bougea en un sinistre grincement et les cavaliers entrèrent dans la cour du palais.
Comme tout édifice officiel d’une capitale, la proportion de la structure dépassait l’entendement. Confiant leurs coursiers, la délégation se trouvait dans l’ombre de l’impressionnant palais du roi Berimund.
Appréciant enfin la sensation de ses pieds touchant le sol, le plaisir de Geréon fut cependant de courte durée quand le chevalier lui fit signe de le rejoindre. Plusieurs personnes de nobles statures, à en juger par les riches accoutrements orangés, arrivèrent en compagnie de gardes aux armures ouvragées.
— Je me présente, fit le premier arrivant qui devait sans nul doute être le leader de ce petit groupe. Odmard de Novald, j’ai le plaisir de vous accueillir dans le palais de sa majesté le roi Berimund III.
— C’est un plaisir de vous rencontrer, lui répondit Geréon en faisant une petite révérence. Voici le chevalier Hubert de Lancornet envoyé du roi Léonard de Corvinus. Pour ma part, je suis l’envoyé du révérend Cardinal Britius, Geréon de Vimards.
— Un plaisir messieurs, comme convenu avec votre maître dit Odmard à Geréon avant de se reprendre. Avec vos maîtres, je vais vous conduire à sa majesté pour discuter de notre affaire.
Acquissent Geréon enjoignit cette fois le chevalier à le suivre, car sa tâche à lui démarrait enfin. Il connaissait les palais, il connaissait les cours. Il avait servi de scriptor pour le cardinal pendant quelque temps et si ses années proches d’un tel homme lui avaient appris quelque chose, c'était qu’il n’y avait pas du pire endroit que ceux-ci. Les cours regorgeaient de viles personnes et les coups bas étaient monnaie courante, voire innée pour des personnes de leurs rangs.
L’accueil plus ou moins chaleureux que leur avait donné ce Odmard ne devait être qu’un artifice, il restait à voir maintenant son maître.
Naviguant dans des couloirs aussi longs que vides et dans des escaliers bien raides, Geréon et le reste de sa délégation furent conduits à une sorte d’antichambre. L’imposante porte qui finissait leur salle ne laissait aucun doute.
Leur souriant, leur guide leur enjoignit d’attendre en fermant derrière lui la petite porte par laquelle ils venaient d’entrer. Les hommes de la délégation prirent rapidement place dans les quelques sièges de la salle et l’attente qui s'ensuivit fut… long.
Geréon eut plusieurs fois le temps de faire le tour des lieux, oscillant entre armures de décorations, tapisseries et fenêtres donnant vue sur la ville en contrebas.
Les armures de la pièce étaient d’ailleurs bien spéciales. Il devait s’agir des pièces portées par la garde royale. Les plastrons étaient peints aux couleurs du royaume et au centre une forme noir étaient visible. Celle d’un dragon, cet insigne venait renvoyer au casque qui finissait cette armure. Les barbutes étaient décorées sur leurs parties inférieures. Il y avait là comme une retranscription des ailes d’un dragon finement ouvragées sur l’acier du casque.
Les habitants de ce royaume étaient attachés à leur blason et du lien les unissant aux légendes des ancêtres de Berimund qui étaient bien connus dans tout le vieux continent. Celle d’hommes terrassant ces grands reptiles ô combien dangereux qu’étaient les dragons.
Se rasseyant entre chacune de ses marches qui ne manquait pas de stresser ses compatriotes, qui le lui firent comprendre en le fixant, Geréon prit définitivement place sur une chaise en regardant le plafond.
Il perdait espoir.
Le roi allait sûrement les faire attendre jusqu’à la nuit tombante pour leur demander de revenir le lendemain, enfin ses serviteurs allaient leur relayer sa juste parole.
Mais quand l’attente fut presque insoutenable, la double porte s’ouvra à l’étonnement général et une forme émergea de l’entrée.
N’ayant besoin d’aucune phrase ou formule recherché, l’arrivant les invita simplement à avancer d’un signe de main.
Se levant, les hommes de la délégation entrèrent alors dans la salle du trône. L’endroit était impressionnant, tout en longueur. Les hommes du Corvin progressèrent ainsi sur un long tapis aux couleurs du royaume. La lumière extérieure, peu insistante en vue du temps, éclairait quelque peu la salle en traversant les hautes fenêtres qui bordaient le lieu entre chaque pilier.
Ces derniers montaient jusqu’au plafond de l’endroit où ils venaient d’ailleurs former des voûtes ou pendaient différents chandeliers aussi pesants qu’impressionnants.
En progressant de cette vaste salle, ce qui attira le plus le regard de Geréon était les chevaliers de la garde royale. Ces hommes de noble naissance étaient répartis le long du tapis à intervalle régulier et portaient les mêmes armures que l’homme du Corvin avait vu dans l’antichambre. Mais ainsi porter, elles avaient une certaine beauté frisant la frayeur avec ces touches draconiques sur leurs casques.
Bientôt, Geréon et le chevalier de Lancornet qui menait les arrivants s’arrêtèrent face au trône de sa majesté le roi.
Berimund III était avachie sur son impressionnant trône de bois où se mêlaient aux gravures finement ciselées des feuilles d’or. Derrière lui prenaient bien sûr place ses proches conseillers. Cette assemblée hétéroclite mélangeait hommes de foi, chevaliers ou bourgeois.
Finissant sa coupe dorée dans laquelle il devait boire du vin, le roi la tendit nonchalamment et un serviteur vint la quérir tandis qu’un des hommes de sa majesté s’avança à ses côtés. Son héraut à n’en point douter
— Voici Berimund troisième du nom. Roi de Kahélonia aussi nommé le dragon du nord. Dirigeant de la grande ville d’Oskwie, de Moden et seigneur protecteur des Landes du Nord. Digne successeur des plaines d’Athmis et pourfendeurs des vermines Narlinds. Et devant vous ce présent… ?
S’avançant du petit groupe de représentants du Corvin, Geréon prit la parole.
— De Vimards mon seigneur, Geréon de Vimards. Servant du très saint Cardinal Britius et obligé de sa Majesté le roi Léonard.
— Bon, ui répondit alors le roi d’une voix rauque en prenant cette fois la parole. J’ai eu le plaisir de lire les dires de votre maître, je suppose que vous êtes là pour m’expliquer les tenants et aboutissants de la chose, hum ? Je vous écoute.
— Et bien, reprit Geréon d’un air peu assuré. Comme vous avez pu l’apprendre…
— Votre Majesté, reprit le héraut.
— Votre Majesté… Le Cardinal et le roi Léonard viennent quérir votre assistance dans la guerre civile qui déchire actuellement le royaume.
— Oui, c’est ce que j’ai cru comprendre, fit Berimund en coupant Geréon. Continuez.
— La guerre qui oppose le roi à sa cousine semble partie pour durer et dans cette optique, le Cardinal Britius et le roi Léonard aimerait votre aide pour le combat qu’ils prévoient.
Voyant le peu de succès oratoire de l’homme de Britius, le chevalier de Lancornet prit la parole.
— Ce que mon compatriote porte à votre connaissance, votre majesté. C'est qu’un soutien militaire de votre part dans les affrontements dès cet été serait grandement apprécié.
— Je suppose que vous ne comptiez pas implorer de l’aide et la recevoir de notre part par simple charité ? renchérit le héraut.
— Non, bien sûr que non. Geréon, commença le chevalier en faisant avancer ce dernier en le poussant, a des documents officiels concernant un arrangement qui vous serait profitable. Grandement profitable contre l’aide que vous seriez prêt à nous offrir.
— Tout à fait, tout à fait, fit Geréon en sortant de son petit sac une poche de cuir contenant divers papiers.
S’approchant le héraut claqua alors des doigts et un servant accourut avec des lunettes. Saisissant les pages que contenait la poche de Geréon, il lécha son doigt avant de parcourir les documents en remettant en position de temps à autres son outil de travail qu’étaient ses lunettes.
— Hum, exprima il comme pris dans ses pensées. Hum... Les redonnant à Geréon, il retourna ensuite vers le roi.
Ce dernier pencha sa tête et écouta ses dires. Acquiesçant, il semblait suivre les explications avec attention. Essayant de saisir des bribes de conversation en tendant l’oreille, Geréon ne réussit pas à comprendre ce qui se disait. Il comprit seulement certains mots au passage.
— Je vois, dit le roi Berimund. Intéressant… Oui… J’en conviens. BON ! fit-il alors de manière bien audible. Vous vous engagez à baisser les taxes sur vos importations de laines provenant de notre royaume en échange de notre aide armée c'est bien ça.
— Oui, votre majesté, s’empressa de dire Geréon.
— Ça ne risque pas de plaire à votre guilde lainière.
— Certainement, mais ces derniers seront prêt à quelques sacrifices pour que le digne héritier du Corvin puisse garder le trône.
—Dans ce cas, je suis sûr que nous trouverons un arrangement. Mon bon héraut, qu’elles sont les effectifs que nous pourrions leur envoyer sans affaiblir nos défenses ?
— Calculant bien silencieusement, ce dernier dit d’une voix assurée. Je pense que deux mille hommes seraient un bon nombre.
C'était bien moins qu’espérer, mais toute aide était la bienvenue après les premiers affrontements bien sanglants que le Corvin avait connus. Et puis le roi Berimund avait plutôt réputation à plutôt pendre les envoyés du Corvin cas les écouter, tout se passait plutôt bien finalement…
Voyant Geréon acquiescer pour montrer son accord, le roi reprit.
— Bien si la chose est entendue, je vous laisse voir tout ça avec mes conseillers dans la soirée. Vous pouvez disposer.
Alors que la délégation du Corvin quittait la salle après avoir salué sa Majesté en se confondant en révérence. Ce dernier tendit à nouveau sa main et ses servants lui donnèrent une nouvelle coupe qu’ils remplirent. Souriant quand la chose fut faite, Berimund regarda les hommes du Corvin partir en les fixant.
Et voilà, se dit Geréon en quittant les lieux. Prêt de vingt jours de route pour un échange si court. Ha ! les têtes couronnées… Ils n’ont donc aucune considération pour nous autres, les petites gens.
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