Chapitre 64 : Un Ghesïl au lieu de trois
Raffaello Petiti
29e jour du mois d’aout de l’an de grâce 1205 AE.
Périssier ; après la prière des Complies
Royaume du Corvin
Les mornes et sombres couloirs se répétèrent dans l’antre des Veilleurs.
Les combats se poursuivirent et s’intensifièrent à mesure que les intrus se rependaient dans le sanctuaire. L’acier s’entrechoquant résonnait en tout lieu uniquement ponctué et coupé par les cris des mourants.
C’était là un affrontement d’une ampleur que la ville n’avait pas vue depuis des temps bien lointains. Et pourtant tout se passait à l’insu même de la population qui dormait bien tranquillement en surface.
Les hommes de Raffaello avaient dû trouver les autres entrés du repère, car durant son avancée dans l’impressionnant antre des Veilleurs, chaque salle lui montrait un nouveau tableau martial ou le combat faisait rage entre ses guerriers et ceux de l’ordre. Un affrontement désespéré entre les gardiens du lieu et l’armée vengeresse de mercenaires qui venait les faire disparaître.
À chaque combat, la rigueur, l’efficacité martiale des quelques gardes se confrontait à la force du nombre qui était l’atout principal des hommes de Petiti. L’inquisiteur s’était avéré des plus utiles, ses informations détaillées avaient permis aux hommes de la compagnie Écarlate de s’infiltrer dans tous les souterrains, dans toute la demeure de l’ordre.
Les Veilleurs n’avaient aucune chance.
Avançant entourés de ses plus proches combattants qui créaient une protection autour de lui. Raffaello, toujours épaulé de Kreisth, arriva enfin face à une porte peu commune.
Dans la salle qui la précédait, le combat planait de sa triste ombre. Sur les quelques escaliers face à la porte close, se tenait un fort contingent de gardes. Ils formaient une sorte de dernière protection entre la pièce où résidaient leurs maîtres et les intrus qui venaient pour eux.
Kreisth avait parlé du lieu en détail. Tout allait bientôt être fini. Mais pour ce faire, ce dernier carré héroïque de défenseur devait être vaincu, les pertes n’importaient plus à ce stade.
Quand les gardes hors de la formation furent achevés, les nombreux hommes de la compagnie chargèrent la ligne adverse des escaliers. Le combat comme celui de l’entrée fut difficile et la défense ne fit aucune concession.
Pour chaque pouce de terrain grappillé, pour le moindre mort laissé aux intrus, les hommes de Petiti perdaient au moins trois des leurs.
Raffaello observait le spectacle. Pour un homme normal, la simple vue de cette « boucherie » aurait suffi à faire tourner de l’œil. Mais pour un homme de guerre comme lui, pour un mercenaire verser dans les arts des armes ce qu’il voyait était l’incarnation de tout ce qu’il avait pu étudier ou apprendre.
L’attaque des marches n’était certes pas des plus ordonnés, pas des plus professionnels. Mais toutes actions chronophages étaient impossibles à présent, le temps était compté et ses cibles peut-être loin. Ainsi, c’était là un combat presque sauvage que Raffaello observait. Il aurait pu, comme son frère, charger dans la mêlée pour accélérer la chose, mais il n’était pas aussi bon combattant que lui.
Et le premier affrontement l’avait déjà bien diminué, il devait se réserver pour les anciens. Si toutefois, ils étaient là.
Il devait l’être, tout ça ne pouvait être fait en vain.
Et lorsque les gardes des Veilleurs furent enfin balayés des escaliers, Raffaello avança dans l’ancienne formation ennemie. Passant entre les nombreux corps qui jonchaient le sol, il fit signe aux hommes proches de lui et ces derniers ouvrirent la grande porte.
L’antre de la bête, se dit Raffaello en entrant. Enfin !
Observant le sombre décor qui apparaissait face à lui, il put voir que l’endroit était un large espace hexagonal. Des grandes et longues colonnades s’élevaient jusqu’au plafond obscur et insondable qui s'étalait au-dessus d’eux.
Les quelques balcons qui encadraient la pièce étaient occupés par des gardes et reportant son regard sur l’opposé de sa position Raffaello put voire un fin puits de lumière qui tombait pour éclairer une forme agenouillée au centre de la salle.
La personne, ou plutôt, la chose qui se tenait dans la pâle lumière tamisée de la lune était entourée de nombreux combattants qui, eux, se tenaient en défiance des arrivants.
— Ahn’ Ekkahr* En garde, fit l’un des gardes et les hommes des Veilleurs créèrent une formation face à la chose qui devait être l’un de leur maître.
— On dirait que vous allez finalement avoir votre ancien, dit l’inquisiteur qui s’était porté à ses côtés en entrant dans l’assemblée de l’ordre. Un endroit qui lui était bien familier.
— Il semblerait, répondit Raffaello tandis que ses hommes continuaient à se répandre dans la salle.
Et lorsqu’il regarda à nouveau les tireurs postés sur les hauteurs, il donna l’ordre à ses hommes de se mettre eux aussi en formations.
En observant ses guerriers à la manœuvre, Raffaello sentit comme un froid le prendre. Mais ce ne fut nullement une légère brise ou tout autre courant d’air qui en était la cause, car bientôt, une voix retentit dans les lieux.
— Traitre, fit-elle de manière dure presque incisive. Parjure, reprit-elle alors que des chuchotements assaillaient l’homme des duchés.
Et pendant que la voix continuait à s’élever, la forme à l’autre bout de la salle se mit debout pour faire face aux arrivants. Abaissant la capuche de sa longue toge bleue qui lui avait caché le visage, Raffaello put enfin voir le monstre dont il désirait t’en faire la rencontre.
Il n’avait rien d’humains…
Son crâne chauve et glabre comprenait de fines oreilles pointues. Ses yeux d’un noir profond encadraient un nez court presque absent et malgré ses lèvres figées la voix continuait à planer dans l’air. La lumière qui lui tombait dessus ne faisait qu’accentuer la pâleur maladive de sa peau et le tout associé au chuchotement de l’air fit frémir même le plus redoutable des combattants de la compagnie.
— Alors Inquisiteur, vous venez vous glisser en ces lieux pour nous tuer. Pour nous faire disparaître en pleine nuit, fit le Ghesïl en avançant dans les rangs de ses gardes. Et vous, Petiti ? Pourquoi suivre ce genre d’hommes ? Vous pensez racheter votre âme entachée par les nombreux morts que vous avez déjà semés derrière vous malgré votre jeune âge ?
— Cesse de parler vile créature, fit l’inquisiteur de sa voix forte. Seules les lames s’exprimeront à présent.
— Alors venez, fit le Ghesïl en une forme de défi. Venez me défier Petiti.
— Vous défiez, fit ce dernier en fixant à nouveaux les arbalétriers qui les dominaient comme pour gagner du temps. Pourquoi le ferais-je ? Je ne suis pas le héros de quelques contes pour enfants, dit-il en souriant. Et même si c’était le cas, je tiens à rester en vie pour raconter mes aventures.
Les traits tirés de la créature firent transparaître sa presque incompréhension.
— Très bien, alors mourrez ! et lorsque l’Ungoï fit signe à ses tireurs de libérer leurs carreaux, ce fut l’un d’eux qui tomba de son perchoir et non son trait assassin.
Le spectacle se répéta à mesure que ces derniers furent tués et remplacés a par les hommes de la compagnie Écarlate qui prenaient possession des hauteurs a la stupeur des Veilleurs.
Ne laissant pas de temps aux gardes et à l'ancien de réagir les combattant en hauteur se munirent de leurs propres arbalètes et un signe de main de Raffaello décochèrent leurs carreaux pour faire pleuvoir la mort.
Se lançant à l’attaque plus par désespoir que par bravoure les hommes des Veilleurs suivirent leurs guides, leur ancien qui se portait à la rencontre de ses ennemis en des cris guerriers qui n’avaient rien à envier à ses effrayants chuchotements. Mais au fur et à mesure de leur charge, leur rang se clairsemait. Les projectiles des hauteurs trouvaient leurs cibles.
Alors qu’ils n’avaient parcouru que la moitié du chemin, Raffaello fit signe à ses hommes et ces derniers, brisant leur mur de bouclier, chargèrent à leur tour.
Les deux masses guerrières que se portèrent à la rencontre l’une de l’autre et le choc qui suivit leur rencontre fut brutal.
Les gardes des Veilleurs n’étaient certes plus en nombre, leur rang décimé par les tireurs. Ils avaient rompu leur formation perdant l’avantage de leurs efficaces formations. Mais leur talent au combat restait le même et la mêler se fit des plus âpres. Leur dévotion décuplée par leur maître qui combattait à leur côté.
Le Ghesïl se battait avec une force qui dépassait tout entendement. Il fauchait ses ennemis avec autant d’efficacité que de détermination. Il s’enfonçait dans les lignes des mercenaires tel une force inexorable.
Mais les coups l’atteignaient de temps à autre. À défaut de le tuer, comme ses hommes qui tombaient tous autour de lui, il s’affaiblissait. Les projectiles trouvaient leurs cibles et bien vite l’Ungoï fut le dernier debout.
Il était alors une bête acculée, un torrent de haine et de cruauté qui emmenait nombre d’hommes dans la mort en refusant d’abdiquer. Mais ses adversaires étaient toujours plus nombreux et ses forces, elles, de plus en plus absentes.
Agitant son épée, il déviait les coups des hommes de Petit qui l’entouraient avec de moins en moins de force. Et lorsque Raffaello se décida à avancer, le Ghesïl semblait être comme un homme ivre qui balayait de ses attaques molles l’espace qui l’entourait.
Tout aussi puissant qu’il était, il se retrouvait à présent tel un animal blessé acculé par les épées et lances qui le harcelaient. L’une d’elle se planta d’ailleurs dans sa jambe forçant le puissant monstre à s’agenouiller. Meurtrie dans sa chair et fierté face aux hommes qui venaient lui prendre la vie.
— Parjure, articula-t-il cette voix de sa bouche après une quinte de toux qui vint repeindre les dalles du sol en rouge. Traitre !
— Voilà l’un de nos augustes hôtes, dit moi. Ou sont donc tes comparses du haut cercle ? Non ne me dit rien. Ils te rejoindront bien assez vite. Observant la détermination toujours présente sur le visage de l’ancien, Raffaello continua sur sa lancée maintenant face à elle. Même aux portes de la mort, tu refuses de plier le genou face aux hommes…
— C'est dans sa nature, dit Kreisth qui venait se placer à côté du mercenaire. Jamais il ne verra l’homme comme son égal alors comme supérieur, on peut encore rêver longtemps.
— Regardez-vous, fit le Ghesïl en relevant la tête face aux deux hommes. Vous vous pavanez déjà de votre victoire, regardez la mort autour de vous. Est-ce une victoire à vos yeux ?
— Ces morts sont de ton fait, coupa sèchement Kreisth. Que croyais-tu ? Que vous pourriez manipuler ce royaume jusqu’à la fin des temps ?
Et la bête sourit face à ces morts.
— Jamais il ne tiendra jusqu’à la fin des temps. Qu’est-ce qu’un royaume face au monde. S’il doit brûler pour permettre à notre monde de perdurer souhate, c’est un prix bien maigre à payer.
— Tu es bien sûr de toi.
— Et vous bien sûr de vos actions, dit-il en réprimant une nouvelle quinte de toux qui le fit trembler. Vous déclarez la guerre a un ordre qui a su préserver le monde depuis des décennies pour sauver ce… Corvin ? conclut-il avec une pointe d’ironie.
— Oui, fit simplement Kreisth.
— Soyez damné, vous ne faites que semer plus de désordre qu’il n’en a déjà. Vous facilitez les actions du culte.
— Et vous, dit cette fois Raffaello. Que fessiez-vous à attendre passivement dans l’ombre ? Le culte a assassiné une tête couronnée n’est pas suffisamment grave pour vous faire agir ?
— Vous ne comprenez rien, tout ceci vous dépasse.
— Peut-être, dit l’inquisiteur. Mais au moins nous sommes sûrs d’agir de notre chef.
— Le Corvin n’est pas le premier. Et ne sera pas le dernier des royaume centraux à perdre son roi. Le culte arrive et sans nous vous été condamnés. Votre royaume est condamné. Vous êtes venus pour tuer le haut cercle, mais vous n’avez que moi… Nous sommes légion et ma mort qu’un contre temps. Dites-moi Petiti, qu’est-ce que ces terres pour vous dans l’abyssale grandeur de ce monde.
— Pour moi, rien. Ce n’est même pas mon royaume. Mais pour lui, fit Petiti en montrant Kreisth, tout. Et en l’aidant, je réglerais certaines dettes. Quoi ? fit Raffaello en s’avançant vers la créature qui ne semblait pas comprendre. Vous ne vous rappelez pas de vos actions envers ma famille.
La stupeur du monstre tourna bien vite, il savait pertinemment de quoi parlait Raffaello, après tout ils avaient assassiné l'ancien duc de Vinorossi en accusant le culte....
— Pour mon grand-père ! Cria Raffaello en tranche la tête de la créature en des coups répétés presque sauvage pour faire abdiquer le puissant corps du Ghesïl avec sa lame d’argent.
— Maintenant, nous sommes libres d’agir, dit fièrement Raffaello. Vous devriez le dire à votre associé, cette nouvelle lui plaira.
— En effet, répondit simplement Kreisth. Qu’est-ce que ça fait de tuer l’un des vrais assassins de votre sang ?
— Un plaisir libérateur, inquisiteur.
Maintenant le jeu peut commencer… Nous pouvons commencer, se dit Kreisth. Plus jamais de marionnettiste qui joue inconsciemment dans l’ombre avec le destin du royaume.
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