Chapitre 66 : L’armée du Haut Corvin

9 minutes de lecture

Charles Gaillot

3 ème jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Camp du roi Léonard ; après la prière des Sextes

Royaume du Corvin

L’après-midi était déjà entamée, les prières des Sextes lointaines, lorsque Charles et les renforts de sa maison arrivèrent en vue du camp du roi Léonard. En une importante colonne s’étendant tout en longueur sur la route menant au Bourg de Rousson, tel un long serpent d’argent s’approchant de son nouveau nid et domaine.

Ouvrant la marche à la tête de l’importante troupe, Charles fut le premier à poser le regard sur Roussons. Sur ce Bourg qu’il avait quitté il y encore peu et pourtant. Les souvenirs qu’il en avait semblaient remonter à une éternité, une autre vie. À des actes distants que son esprit avait tenté d’occulter, d’oublier pour son propre bien. Mais la guerre, les stigmates des affrontements, recouvraient le royaume et ici tout cela était bien visible et se rappelait douloureusement à lui.

Le camp des armées du nord est ce qui sauta le plus rapidement aux yeux des arrivants. Les tentes en grand nombre couvraient presque l’entièreté de l’espace libre autour des remparts en une presque anarchie de toiles aux tailles et emblème aussi divers que variés. Les murs du Bourg, marqué par les projectiles, voire écroulés par endroits, étaient les témoins des brutaux affrontements qui avaient précédé la conquête du lieu.

Ses valeureux protecteurs à nouveau visibles aux remparts, se pendant au gré du vent au bout de leur corde. La fière cité d’autrefois n’était plus qu’un reliquat d’elle-même. Une bête blessée, meurtrie que ses conquérants usaient à présent à leur bon vouloir. Que les charognards du nord utilisaient comme tête de pont pour leur exaction dans le Bas Corvin.

Les tours encore en debout, dont les toitures et hourds n’avaient pas été consumés par le feu, portaient à présent les couleurs des armées du nord. Ultimes signes de conquête qui flottaient sur les plus hauts sommets des environs.

Charles fut alors arraché au silence de sa marche et de son observation par les cors qui s’élevaient. Les bruits résonnaient bientôt dans le camp pour annoncer la venue de la colonne de renforts. Mais les nombreuses formes que Charles distinguait à travers tout le camp ne se pressèrent. Ne réagirent pas, car si Charles ou ses hommes avaient été du Sud les nombreux éclaireurs qu’il avait distingués à travers la végétation ces dernières heures auraient signalé leur arrivée depuis belle lurette et ce serait une armée en bon ordre qui les aurait attendus pour croiser le fer.

Couvrant le chemin qui le séparait encore du camp, Charles guida bientôt son cheval dans les courtes et étroites allées des tentes. Autorisé à pénétrer dans ce lieu guerrier par les nombreux lanciers qui gardaient les barricades entourant le camp. Ils ne manquèrent pas de saluer ces arrivants qui ne pouvaient qu’améliorer leur chance pour le nouvel affrontement qui se préparait. Pour leur victoire et survie dans cette lutte fratricide en Haut et Bas Corvin.

— Un peu plus et on perdait tout espoir de renfort, fit Emmon qui était apparue au détour du chemin pour accueillir son jeune frère.

— Peur de ne pas me voir arriver ? fit Charles en descendant de son cheval tandis que son page avait déjà accourue proche de lui pour se saisir des brides de la bête.

S’approchant de Charles à présent les pieds dans la boue du camp, Emmon le gratifia d’une bonne accolade avant de reporter son attention vers Odger toujours juché sur son cheval à côté d’eux.

— Notre cher cousin va bien mener nos troupes jusqu’à leur place promise ? lança Emmon.

— Bien entendu, lui répondit derechef Odger en ne perdant pas un instant pour faire signe aux nombreux hommes derrière lui qui se remirent en marche.

— Quant à nous, fit Emmon en reportant son attention vers son frère cadet. Nous avons à faire !

Et il l’entraina en posant sa main sur son épaule pour se mettre en marche.

Tous deux arpentèrent ainsi à pied le camp d’armée. L’endroit était solidement aménagé montrant le temps déjà conséquent passé par les troupes ici. Les chemins étaient agrémentés de planches pour faciliter la marche dans le sol et la boue. Des lieux d’attente plus ou moins équipés étaient installés ci et là entre les tentes ou les nombreux soldats échangeaient autour de feux. Des chaudrons qui accueillaient le souper qui se profilait en vue de l’heure déjà avancée.

— Père est occupé ? s’aventura à dire Charles durant leur progression qui s’était faite silencieuse après leur apparente chaleureuse retrouvailles.

— On peut dire ça, le conseil s’est réuni quelque temps avant l’annonce de ton arrivée. Quelque chose a dû faire réagir notre bon roi…

— Et tous les nobles attendent les nouvelles et décisions du suzerain.

— Tout à fait, bon pressons le conseil est juste là.

Avançant dans une nouvelle ruelle de cette ville de tissus, Charles et Emmon rejoignirent enfin la tente royale. L’impressionnant pavillon dépassait en taille n’importe laquelle de ses homologues. Les solides poteaux de la structure étaient aussi importants que les poutres d’un château.

À vrai dire, le moindre détail du lieu était à la hauteur de son auguste propriétaire et le faste de la tente avait de quoi éblouir malgré le tableau guerrier qui ne l’entourait en n’enlevant ainsi rien à sa beauté.

Le mobilier était travaillé et en nombre. L’espace assez grand pour y accueillir tous les nobles du camp tandis qu’une copie, un simulacre du trône de Fressons était présents au centre de l’espace.

Parmi les tentes avoisinantes, peu étaient celles à rivaliser avec celle du roi. Même la tente du Cardinal, reconnaissable à sa couleur unique dans cet océan de bleu et blanc n’arrivait à la hauteur. Le religieux veillait au grain et restait à porter du roi pour lui prodiguer ses « conseils ».

La guerre devait l’intéressé au plus haut point, se dit Charles.

Les ragots couraient déjà quant à l’implication financière de l’homme dans la campagne. Il s’endettait et misait tout sur son « cheval ». En cas de victoire, le royaume serait à Léonard et les riches marchés Bas Corvin celle du Cardinal.

Certains arrivaient à tirer le meilleur même dans ce genre de situation. Surtout dans la situation actuelle du royaume, en ces temps bien temps troublés.

Quittant la boue du camp, Charles fut bientôt avec son frère dans le pavillon royal à naviguer entre les nobles. Écartant les petits seigneurs comme les grands de leur route pour se rapprocher de la table ou le regard de tous s'était porté. Mais surtout proche de la voix qui tonnait dans le lieu. Qui houspillait sans distinction les occupants de la tente.

Léonard debout hors de son trône, avait fait jaillir sa coupe d’un revers de main en imbibant les précieuses cartes de la table avec son contenue rougeâtre.

— COMMENT ET-CE POSSIBLE !? tonna le roi face à ses plus grands seigneurs dont le père de Charles faisait partie. À MOINS D’UNE JOURNÉE DE MARCHE ? Comment Anaïs a pu déplacer ses troupes aussi librement ? Où étaient nos éclaireurs ? Sir Vistel, fit-il en se déplaçant face au dit noble. N’étiez-vous pas chargé de cela ?

— Mon roi, je…

Et Léonard l’arrêta d’un simple geste de main.

— Et vous seigneur Gaillot, vous êtes l’un de ceux qui a le plus d’expérience. La guerre en Elba ne vous a pas préparé à ce genre de choses !?

— C’est que…

— Il suffit ! Je n’ai pas besoin d’excuse, mais de résultat. Si vous n’avez pas su placer nos éclaireurs, vous arriverez au moins à donner l’ordre de marche aux troupes.

— Il sera fait selon vos ordres, fit le seigneur Vistel après s’être repris. Mais peut-être devrions nous observer ses prochains mouvements au lieu de nous lancer à l’assaut ?

— Vous me donnez des ordres après avoir failli une première fois ? Comment…

— Mon roi, fit alors Britius en se glissant hors du coin de pénombre qu’il avait occupé silencieusement jusqu’à maintenant. Le seigneur Vistel tient juste à agir avec précaution après cette première « déconvenue ».

Et le noble salua le Cardinal pour ses mots salvateurs qui semblaient avoir calmé le suzerain. Du moins pour l’instant.

— Et que préconisez-vous ?

— Moi, fit Britius avec un air faussement étonné en s’approchant de la table accueillant la carte de la région. D’agir !

Et le roi le rejoignit tandis que l’assemblé se resserra proche du document.

— Anaïs doit sûrement se diriger vers les plaines d’Ablancourt pour nous menacer de contournement. Elle sait que nous ne pouvons la laisser faire et elle nous attire à elle, fit Britius en posant l’insigne représentant l’armée ennemie sur la zone qu’il venait de citer.

— Et nous nous devons de la poursuivre, ou c’est notre arrière et notre approvisionnement qui sera coupé.

— En effet, mon roi, mais elle croit attirer à elle uniquement les hommes présents à Roussons.

— Vos plans ont-ils fonctionné ?

— En effet, je gardais l’information secrète pour ne pas la voir circuler, mais le roi Kahélonia nous envoie des troupes du nord. Elles devraient être proches du village de Villard non loin d’Ablancourt et il posa un insigne pour marquer ses nouvelles troupes dans la représentation stratégique que Léonard fixait.

— Et nous allons nous porter à sa rencontre, fit le roi en prenant l’insigne de son armée pour le poser proche de celui d’Anaïs.

— En la surprenant par nos renforts, fit Léonard. Notre nombre était déjà supérieur, mais avec les troupes de Kahélonia tout positionnement de la reine parjure sera fatal sous la pression du nombre.

— Il vous faudra dépêcher un homme pour alerter nos alliés du lieu d’affrontement…

— S’est déjà fait mon roi. Un de mes agents se porte actuellement à leur rencontre.

— Quelle chance ai-je d’avoir un homme comme vous, mon bon Cardinal.

Et ce dernier se fendit d’un sourire qui en disait long sur ses pensées.

— Bien mes seigneurs ! fit cette fois le roi à l’attention de chacun des hommes présents. Nous avons une bataille à mener, que vos hommes se préparent.

La salle se désemplit à ces derniers mots et tandis que le flot de nobles quittait le pavillon royal, Emmon donna un petit coup sur l’épaule de Charles pour lui dire de le suivre.

Quittant les lieux en se plaçant non loin de la tente, les deux jeunes hommes furent bientôt rejoints par leur père et le capitaine de sa garde.

— Charles, fit-il comme simple salut à son fils. Je vois que tu as enfin amené nos renforts.

— Ils nous faudra bien ça, répondit Emmon. Il parait que la reine a engagé de nombreux mercenaires pour renforcer ses troupes.

— Le nombre importe peu, le banquet du capital lui a enlevé de nombreux chevaliers de valeurs et c'est ce qu’il faut retenir.

Le dédain du seigneur Gaillot envers les hommes de troupe était certain. Ne prêtait-il pas trop de crédit aux nobles ?

— Surtout que nous avons de nouveaux alliés semble-t-il, continua Emmon souriant à cette idée.

— Des troupes fraîches qui n’ont pas encore eu à combattre, fit le capitaine d’Evrard.

Acquiesçant le seigneur reprit.

— Nul doutes que les troupes du « dragon » sauront faire honneur à leur réputation.

— Chevaliers Kahéloniens, du Corvin et Manteaux pourpres. Les sudistes vont se retrouver face à de nombreux combattants de valeurs, conclut Charles après s’être rendu compte de la diversité des supports de Léonard.

— La maison Gaillot devra faire bonne figure, fit son frère face aux conclusions de Charles.

— Et bien plus, reprit leur père. Nous allons avoir la charge du flanc gauche.

Se regardant, les deux frères prirent toute la mesure de la nouvelle.

— Bien sur le roi me veut à ses côtés pour la bataille. Le commandement te reviendra donc Emmon.

— Je saurais me montrer digne, fit l’intéressé le regard brûlant d’envie.

— Tu l’es déjà, le reprit sèchement Evrard. Soit prudent et ne prend aucun risque. Quant à toi, Charles, fit-il en se tournant vers son cadet. Tu auras à ta charge une réserve de cavalier pour protéger les arrières de ton frère. S’il se fait dépasser, tu devras l’aider quitte à tout risquer. Comprends-tu ?

— Oui, père.

— Et pas de courage insensé, mes fils. Je n’ai pas besoin de martyr, mais de fils en vie… Vous n’êtes pas dans un conte chevaleresque, mais dans le réel. Je vais aller parler avec notre roi. Il a dû s’apaiser a présent. Aller rejoindre votre cousin et préparer les hommes à partir.

Leur repos fut de courte durée, pensa Charles en se remémorant la fatigue de ses hommes.

Et il ne perdit pas un instant pour suivre son frère qui quittait les abords du pavillon royal.

Notes : Plus que la bataille pour conclure ce tome ! (Bon sur plusieurs chapitres par contre ^^)

Annotations

Vous aimez lire Kost . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0