Chapitre 68 : La bataille d’Ablancourt II - Le fracas de l'acier

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Cardinal Britius

4 ème jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Armée du roi Léonard ; après la prière des Tierces

Royaume du Corvin

La rapidité et l’exactitude étaient les premiers mots à venir en tête pour qualifier le déploiement de l’armée du roi Léonard. En moins d’une heure, tous ses gens étaient en position, bien à leur place face à leurs opposants du jour.

Le roi se tenait quant à lui aux côtés de Britius et de ses plus importants nobles qui formaient en quelque sorte son conseil restreint. Non loin d’eux se tenaient de nombreuses aides de camp portant des bannières ou cors de guerre. Ils étaient clefs pour le bon déroulement de la bataille en permettant notamment de communiquer rapidement les ordres aux combattants. C’était là des outils, des techniques qui avaient été utilisés et peaufinés au fil des siècles d’affrontements qu’avait connus le continent central. La guerre était devenue un domaine que les royaumes centraux avaient élevé au rang d’art. Et ils faisaient honneur aux traditions.

Une fois de plus, tous ces outils allaient aider les hommes à s’entre-tuer.

Britius, reposé sur cheval, observait de son vif regard le terrain de l’affrontement qu’il avait jusqu’alors vu uniquement représenté par de ternes cartes ou atlas.

Les pièces étaient en place, les soldats prêts. Bien sûr, Britius et Léonard avaient des surprises dans leur manche qu’ils cachaient et des plus importantes qui plus est. La victoire était certaine.

Elle se devait l’être, car cela mettrait un coup d’arrêt au contre-pouvoir de la fausse reine Anaïs. Le contraire était trop néfaste pour que Britius ou Léonard le prennent en compte. Ils étaient déterminés et prêts à tout. Ils l’avaient déjà montré par le passé.

Regardant le roi perché sur son fier destrier, le Cardinal ne manqua pas sa remarque quant à l’armée adverse qui les toisait de leur bonne distance.

— Nous voilà en bonne compagnie messieurs, les traîtres du Bas Corvin se sont d’eux même réunis en un point pour nous faciliter la tâche.

Et les rires fusèrent dans les rangs des nobles.

Britius fut le seul à oser prendre la parole.

— Majesté, je pense qu’un discours à vos hommes leurs feront comprendre l’importance de ce qui se joue aujourd’hui.

— Vous avez raison mon brave Cardinal.

Ordonnant à son cheval d’avancer, le roi arborant sa chère couronne dorée sur son casque progressa vers ses troupes. Les chevaliers nobles et autres officiers du rang avaient fait tourner leur homme pour voir leur souverain venu prodiguer quelques discours d’encouragement.

Prenant pleinement conscience de l’instant et des énergies qui chargeaient l’air, Léonard s’exprima avec une voix forte et posée. Une voix montrant son assurance.

— Soldat ! Vous vous apprêtez à combattre pour votre roi alors sachez que vous en serez royalement recomposé. Allons combattre ces sujets déloyaux qui menacent notre bon royaume !

Et la clameur balaya les rangs des hommes du Haut Corvin. Les nordiens étaient en bonne disposition pour le combat et s’en allaient prendre leur place pour l’affrontement qui s’approchait.

— Des mots bref, mais précis votre majesté, fit l’un des nobles qui ne manqua pas l’occasion de congratulé son suzerain. Lorsqu’il revenait proche de ses conseillers.

Passant outre cela, Léonard échangeant un regard avec Britius et prit à nouveau la parole.

— Lançons donc les hostilités !

L’armée était à présent une masse bouillante. Une bête qui n’attendait qu’un signe du roi pour se jeter sur sa proie et Léonard ne les fit pas attendre plus longtemps. Il libera son emprise en faisant signe à son héraut.

L’homme ordonna à l’un des servants d’avancer. Celui qui était muni de l’étendard à l'insigne de cheval sortit du rang de ses homologues. Il agita ses couleurs tandis que les cors de l’armée se firent entendre.

La masse de chevalier en armure qui était répartie sur tout le front du centre de Léonard réagit. Les chevaux se murent les uns après les autres et se mirent à bouger au trot en progressant vers l’armée d’Anaïs.

Comme pour répondre aux cors annonçant la charge des chevaliers de Léonard, les archers adverses encochèrent leur trait lorsque l’ordre fut relayé à travers leurs rangs. Tendant leurs armes, ils libérèrent tous leurs projectiles et bientôt, le ciel fut obscurci par de meurtrières flèches qui l’occupèrent.

Prit dans leur charge qui avait débuté au trot les cavaliers entendirent d’abord le sifflement caractéristique des flèches et bientôt ces dernières s’abattirent sur eux. De nombreuses vinrent se ficher dans le sol, d'autres sur les montures et enfin certaines rencontrèrent les armures.

Parmi les flèches qui les atteignirent, nombreuses fut celles qui ricochèrent ou se brisèrent face aux épaisses armures de plates, mais certaines trouvèrent leur chemin et à chacune des volés les rangs des cavaliers se clairsemaient quelque peu. Les guerriers mis hors de combat en gisant impuissant sur le sol du champ de bataille.

Mais leurs rangs ne s’étiolaient pas assez vite et bientôt les chevaliers furent à bonne distance pour faire charger leurs montures. Ils étaient telle une marée indomptable qui balayait les plaines d’Ablancourt. Une armée à eux seuls, un ouragan d’acier qui fit trembler le sol en étant porté par la même détermination. Briser l’armée adverse.

Le temps fut comme suspendu lorsque les acteurs de la bataille regardèrent la charge s’opérer et en un moment tout changea. Le bruit des sabots ne fut plus le seul à raisonner sur les plaines.

Le contact avec les troupes sudistes fut plus brutal. Telles les vagues s’écrasant contre les récifs d’une cote, les chevaliers du nord rencontrèrent les formations serrées de l’armée d’Anaïs. Les pics se brisèrent, les hommes volèrent et les chevaux saignèrent.

La bataille était bien lancée.

Les sudistes ne manquaient pas d’entraînement. Leurs formations qui devaient être carrées à la toute basent plièrent, se déformèrent sous la force des cavaliers en de nombreuses formes ovales et rondes. Mais ne rompirent pas. Les cris et coups qui résonnaient jusqu’au Cardinal témoignaient de la férocité de l’affrontement. Aucun quartier n’était donné, ou même attendu. C’était une lutte à mort qui avait commencé. Les chevaliers ne portaient plus que leur titre dépourvue de toute entrave. De tout code.

Il y avait une certaine beauté à voir ce spectacle de loin. De voir les cavaliers encercler les formations ennemies en tentant de les percer. De se mouvoir entre les troupes adversaires en prenant les vies adverses sur leur passage.

Nombreux furent les hommes à connaître l’acier des chevaliers du Haut Corvin, nombreux furent ceux qui connurent la dureté des chevaux qui les renversaient, mais les sudistes n’étaient pas sans défense. Par endroits en pouvait voir une arme longue se dresser assez pour rencontrer les armures des cavaliers et les mettre à bas.

Les malheureux qui connurent ce sort furent soit écrasé par les chevaux de leurs camarades pour les plus chanceux tandis que pour les autres, les soldats d’Anaïs armées de couteaux se détachaient de leur formation pour s’occuper des pauvres hommes qui s’étaient échoués proche d’eux. Ils se débattaient à terre sans défense, alourdis par leur armure tel des hommes ivres et les couteaux trouvaient facilement les ouvertures dans leurs carapaces.

Le nombre ne jouait pas en la faveur des hommes de Léonard et Britius le savait, ce fut de plus en plus visible. Voyant cela et jugeant le moment venu, le Cardinal exprima son sentiment.

— Je crois qu’il est temps mon roi, les chevaliers ont affaibli l’ennemi, mais à présent s’est leurs rangs qui risquent de l’être grandement si nous les laissons ainsi.

— Vous avez raison mon bon ami, fit Léonard en agitant la main en un signe à ses drapeaux et cors.

Son héraut relaya alors les ordres de sa forte voix et une nouvelle fois l’homme qui était muni de l’étendard à l'insigne de cheval s’avançant du rang de ses comparses et agita ses couleurs tandis que les cors de l’armée se firent entendre.

Les minutes défilèrent et l’information fut reçue par les distants combattants. L’ordre de retraite balaya leur rang tandis que de plus en plus des leurs firent virer leur monture pour battre en retraite.

— Bien, fit cette fois le roi en voyant ses chevaliers obéir aux ordres pour quitter le combat. Envoyons à présent l’infanterie et les archers. Donnez le signal.

— DRAPAUX ! fit son héraut.

Et cette foi les étendant comportant les insignes de l’infanterie et des archers s’avancèrent à leur tour suivis des cors.

La bête était affaiblie, fatiguée. Il était temps de l’attaquer avec toutes les armes dont ils disposaient.

Comme d’un bloc bougeant avec une même force invisible, l’armée de Léonard se mit en branle. Il envoyait le gros de ses troupes. Son centre se portait à l’assaut des positions sudistes tandis que ses flancs étaient toujours couverts par sa cavalerie et ses troupes légères qui attendaient patiemment leur tour.

Avançant en formation serrée, les piétions de l’armée du nord précédèrent les nombreux archers qui les suivaient. Ces derniers, encore en complète possession de leurs munitions, n’attendaient que l’ordre d’arrêt pour faire pleuvoir la mort. Et cet ordre fut donné.

À mis chemin de l’armée adverse, les archers se mirent en ligne et saisissant leurs flèches firent payer chèrement la mort des chevaliers qu’ils avaient croisé sur leur chemin.

Les traits s’abattirent sur les formations sudistes. Les boucliers, targues et autres pavois avaient été bien sûr levés en protections, mais la mort faucha sans distinction dans les rangs des hommes d’Anaïs.

Littéralement cloués sur place par les projectiles, les soldats ne pouvaient que regarder les hommes de Léonard qui s’avançaient fièrement en entonnant leur cri de ralliement.

— POUR LE ROI ! POUR LE ROI ! POUR LE ROI !

Et lorsque les projectiles cessèrent de pleuvoir, les soldats des deux camps chargèrent en criant leur rage de toute leur force. Leurs formations adoptant des murs de bouclier et de lances qui s’entrechoquèrent lors de leur contact.

La guerre d’attrition était lancée au centre et aucun des deux camps nous pouvait à présent avancer sur ce point du champ de bataille.

L’heure était aux affrontements sur les flancs. L’armée d’Anaïs était moins garnie en troupes et cela se faisait plus que sentir sur ses ailes. C’était la clef de la victoire pour Léonard et ses conseillers. Britius l’avait prévu.

Voyant Léonard faire un signe de tête au seigneur Gaillot, Britius le vit se rapprocher du roi et écouta.

— Evrard, vos fils vont devoir se surpasser.

— Ne vous en faites pas mon roi, ils sauront vous faire honneur.

— Que l’on ordonne l’attaque de nos ailes !

— DRAPEAUX ! fit son héraut en réactions et les dernières bannières à attendre leur heure s’avancèrent.

— Si les premiers assauts ne sont pas décisifs, nous donnerons notre réserve. Quelques nouvelles de nos amis Kahéloniens Cardinal ?

— Ils devraient venir d’un moment à l’autre sur notre flanc gauche. J’ai dépêché des homme de confiance pour les faire accélérer.

— Parfait, s’est donc de ce côté que se jouera la bataille.

Les troupes composant les côtés de l’armée de Léonard se mirent à leur tour en branle. L’une était composée des troupes de la famille Gaillot tandis que l’autre. Celle de la droite était composée de la garde personnelle du cardinal, les manteaux pourpres.

Les nordiens étaient sûr de leur force avec ces troupes. Car si le nombre supérieur de combattant qui s’avançait de part et d’autre de l’armée ne suffisait pas. Les réserves et le détachement Kahélonien en approche allaient sceller l’affrontement.

Tandis que Britius et les conseillers du roi observaient les formations avancer, leur attention se rapporta à un cavalier qui s’approchait de leur point de vue.

Les gardes laissèrent le combattant s’approcher aux vues de ses couleurs. De son armure de chevalier.

— Mon roi, fit l’homme après avoir relevé le ventail de son heaume. Permettez à vos chevaliers de prêter main forte à nos combattant. Nous sommes capables d’opérer plusieurs charges.

Observant Léonard le regarder, Britius écouta sa réponse.

— Mon brave ?

— Gonthien votre majesté.

— Mon brave Gonthien, je ne peux me permettre de perdre plus de nos précieux chevaliers. Vous vous êtes battus avec force et avez fait honneur à vos ancêtres. À votre royaume. Retirez vous donc, il y aura bien des batailles avant la fin de cette guerre. Laissez-faire nos gens de troupe.

— Majesté, fit l’homme à la mine quelque peu déçue.

Il avait essayé de le cacher au mieux, mais il était exténué. Tous ses camardes devaient l’être. Ils avaient admirablement bien servi et combattu. Le roi avait eu raison de réagir de la sorte. Britius ne l’aurait fait différemment.

Observant le cavalier quitter leur présence, le cardinal observa à nouveau le champ de bataille. L’aile gauche, la plus avancée des deux, rencontra bien vite les combattants de la reine. Leur affrontement n’avait rien à envoyé à celui des hommes du centre et bientôt, ils furent rejoints dans leur combat pas l’aile de droite qui entama elle aussi les hostilités.

Il n’y avait rien à craindre de ce côté-là, Hagen dirigeait les troupes du Cardinal. Il était confiant en leur capacité de vaincre. Mais ce qui attira l’attention du vieil homme fut la rapidité avec laquelle l’aile menée par Emmon Gaillot prenait du terrain.

L’ennemie était repoussée et bientôt, le champ en friche qui bordait la formation d’Anaïs est non loin de celle de Léonard. Cette poussée était inhabituelle. Bien que leur nombre soit supérieur, les troupes menées par les Gaillots réussissaient leur tâche avec trop de succès.

Et quand le cardinal s’apprêtait à échanger avec le roi quant à cela, il fut coupé par un cor de l’armée de la reine. Le drapeau agité était trop lointain pour être visible, mais les champs en friche étaient plus que mouvants et Britius comprit ce qui se jouait.

Des destriers se levèrent de cet abri de verdure et d’épis. Les nombreux cavaliers se mirent en selle en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire et chargèrent sur l’aile gauche de Nordien. Aux cris d’ AVANTI ! AVANTI ! qui résonna avec force et fracas lorsque ses cavaliers taillèrent les rangs adverses en chargeant leur flanc.

Un vent de froid venait soudain de souffler sur le roi et ses conseillers. Une brise amère.

— La peste soit ma cousine. Elle aussi rusée que mauvaise, fit le roi observant le piège qui se refermait sur Emmon Gaillot et ses hommes.

— Le calme et de rigueur mon suzerain. Elle doit jouer là son ultime carte. Faite donner la réserve et nous pourrons préserver cette portion du champ de bataille.

Acquiesçant le roi se retourna vers son héraut.

— Un messager. Amenez-moi un messager !

Le temps était compté et le roi devait agir vite pour sauver la situation.

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