2 - Mais qu’est-ce qui se passe, ici ?
Il arriva à sa hauteur. C’était le genre monsieur tout le monde, rien de remarquable, propre sur lui, coupe brosse parfaite, peut-être un peu sûr de lui.
Il la détailla de la tête aux pieds, ce qui ne la choquait pas. Plus depuis longtemps. L’armature recouvrant son bras gauche et ses mains, son œil artificiel, tout son harnachement, sans parler de ses tatouages, pas de quoi rester invisible non plus. Il s’adressa à elle, petit sourire en coin en prime.
— Vous avez l’air de vous ennuyer à mourir. Venez donc, je connais un petit coin tranquille. Nous y serons bien, tous les deux.
Il s’était encore rapproché pour lui dire cette dernière phrase, la susurrant presque. Son intuition était bonne. Il n’avait pas l’air de lui proposer une partie de belote.
Oui, trop sûr de lui. Beaucoup trop.
— Non, merci, je me débrouille très bien seule.
— Allez, insista-t-il. Des comme vous, je n’en vois pas tous les jours. Je suis curieux de savoir ce que ça donne.
Petit geste du menton, du haut vers le bas, puis remontant, gros sous-entendu à l’appui.
— J’ai parié que c’est moi qui vous aurais. Mais vous appartenez peut-être déjà à quelqu’un. Dites-moi qui, et je m’arrange avec lui.
Lourd-dingue, passe encore, mais là, ça devient franchement bizarre.
Elle positionna sa main sur le couteau accroché à sa ceinture, l’air de rien.
— Vous faites erreur, je n’appartiens à personne, juste à moi-même. Et sûrement pas à vous. Et moi-même vous conseille fortement d’aller rejoindre vos amis, ajouta-t-elle en plissant les yeux.
— Très bien, je vois… Nous nous reverrons !
Il n’avait pas l’air d’avoir trop perdu contenance. Pas assez à son goût. Elle partageait de plus en plus le sentiment de Simon.
Elle l’observa s’éloigner, bavarder un instant avec ses comparses, puis aller voir le petit rondouillard, soi-disant leur hôte principal, qui s’était éloigné de Simon. Il lui parla à l’oreille. Elle en vit d’autres agir de la même façon, observant les dragons nouveaux venus, allant parfois leur parler un moment, avant de retourner voir monsieur rondouillard. Mais elle n’arrivait pas toujours à préciser ce qu’ils regardaient, encore moins à savoir le sujet de leurs propos lors de ces échanges, ou qui. Si seulement un jour ils trouvaient quelqu’un capable de lire sur les lèvres…
Elle bougea, en ayant assez vu pour le moment. Elle croisa Mathilde.
— Tu pourras dire à Simon que je suis retournée jeter un œil dehors, histoire d’essayer d’en savoir un peu plus ?
— Pas de soucis, je transmets. J’espère que tu t’amuseras plus qu’ici, certains sont un peu lourds.
— Toi aussi ?
Mathilde confirma. Tara fit la moue en guise de réponse.
— Bon courage… Et prudence, ajouta-t-elle avant de sortir.
Des hommes étaient restés en faction à l’entrée, arme en main. Sacrés armes, d’ailleurs, du genre fusils mitrailleurs ou d’assaut, sûrement piqués à un entrepôt militaire.
Je me demande de quoi ils ont peur.
Ils s’interrogèrent du regard, mais la laissèrent passer. Elle remonta la rue par laquelle ils étaient arrivés. Certaines personnes qu’elle croisait l’évitaient, voire s’écartaient carrément, des regards en coin à l’éclat nerveux, angoissé, mais pas forcément dirigés vers elle.
Elle s’était rapidement éloignée de ce qui tenait lieu de centre-ville, tourna dans une des petites rues adjacentes. Au bout, mal attifés de vêtements usagés, râpeux, des mômes s’envoyaient une boule de vieux chiffons emmêlés en guise de ballon. Lorsqu’ils la remarquèrent, ils foncèrent vers elle, l’entourèrent, parlant tous en même temps, quémandant nourriture, piécettes, tout ce qu’elle voudrait leur donner. Elle en était figée de stupeur, choquée, n’ayant plus vu ou vécu ce genre de scène depuis un moment. Elle les soupçonnait de laisser délibérément une partie de la population dans la misère, ici. C’était en général les plus durs à persuader d’abandonner le système monétaire, alors qu’ils ne faisaient que perpétuer les vieux problèmes du monde d’avant.
Les vociférations provenant d’un individu armé ayant surgi au coin de la rue firent fuir la marmaille, détalant aussi vite qu’une nuée d’oiseau, s’engouffrant entre et dans les longs bâtiments d’habitation bordant les trottoirs. Des vieilles barres aux façades abîmées, quelques vitres remplacées par des bouts de planche ou de tissus.
— Attendez ! leur cria-t-elle, mais ils l’ignorèrent.
Elle était seule au milieu de la rue quand l’homme arriva à sa hauteur. Les gamins avaient tous disparu, volatilisés.
— J’espère qu’ils ne vous ont pas trop dérangée, ces crouilles. Pire que des cancrelats, impossible de s’en débarrasser.
Elle garda le silence, lui jetant un regard noir.
Je vois.
— Pas le moins du monde. Je vais continuer ma balade, si vous le permettez.
Il eut l’air d’hésiter.
— Je vous déconseille d’aller par là. C’est leur quartier, justifia-t-il.
Et disant cela, il positionna son arme contre sa poitrine, lui signifiant ainsi le passage interdit. Elle n’insista pas, se disant qu’elle trouvera un autre moment pour aller voir ce qu’il lui cachait. Elle fit demi-tour, se dirigea dans la direction qu’il lui indiqua, jouant un instant les guides touristiques. Le parcours qu’il lui avait proposé de suivre ne lui apprit bien sûr rien de plus. Juste que ce quartier central avait des abords bien entretenus, des habitants bien semblables, aux vêtements impeccables, et bien trop affables, se promenant selon l’allure des uns, ou vacant à leurs occupations pour les autres. Avec des boutiques dignes d’une rue commerçante à l’ancienne. Et une épicerie. Un petit goût de la vie d’autrefois, sans les détritus au sol, ni les SDF, mais avec bien trop de gardes armés à son avis. Cela détonait dans le tableau. Les quelques petits couples, petites familles et autres âmes solitaires visibles ici n’avaient pas l’air si dangereux.
Ok, cette nuit, alors.
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