Toilette intime
– Je vais vous réinstaller confortablement et on va pouvoir s’occuper de votre toilette.
J’ai cette image du petit garçon assis tout nu dans sa baignoire qui attend que sa maman vienne le laver… Un petit garçon de trente-huit ans qu’une infirmière aux cheveux rouges et au joli sourire s’apprête à nettoyer.
– Comme je viens de retirer la sonde, on va commencer par votre toilette intime… Vous voulez la faire vous-même ou vous préférez que je m’en occupe ?
Un blanc.
Je regarde Sylvie. Est-ce que je souris ? Est-ce que je rougis ? Est-ce que je préfère me savonner la queue tout seul ? C’est bien ça la question ? Mes pensées s’embrouillent… Je ne veux pas être là. Je ne veux pas avoir à réfléchir à ça… Oui, je suis un grand garçon et je crois que j’aimerais bien me laver tout seul, madame l’infirmière… Mais, je sens une lassitude m’envahir, une envie d’abandon, d’oublier ce cauchemar, d’oublier ma pudeur, de me remettre entièrement à cette femme, à ses gestes, à ses soins, à ses caresses sur mon corps et sur mon sexe, si elle veut… Je me débats avec ma confusion, je ne sais pas comment lui dire… Que lit-elle dans mon regard ? Je…
– Je crois que vous êtes encore un peu faible pour ça, je vais m’en occuper, aujourd’hui.
Je soupire un « merci » reconnaissant, tandis que Sylvie prépare consciencieusement le matériel nécessaire… La cuvette d’eau tiède, les poubelles au pied du lit, la chaise pour poser le linge, les gants de toilettes, les serviettes, les gants hygiéniques. Je la regarde travailler dans un état second et j’admire ses gestes méticuleux, la manière qu’elle a de déborder le lit, de plier les draps et de confectionner une petite couverture pour me couvrir. Elle ôte ensuite ma chemise d’hôpital avec douceur et j’accompagne ses mouvements docilement…
Elle glisse sa main dans le gant de toilette et commence à savonner le haut de ma cuisse droite puis remonte vers l’abdomen. Tandis qu’elle passe sur mon pubis et redescend sur ma cuisse gauche, j’observe et découvre l’intimité de ce corps que je ne connais pas, ses formes, ses volumes, ses rondeurs et ses poils roux… Ses poils roux, merde ! Sur un autre niveau de conscience c’est la révolte : putain, j’ai pas envie de mater la bite et les couilles de Rémi ! Mais je continue à observer Sylvie tandis qu’elle entreprend de savonner ma verge avec délicatesse, de haut en bas, en insistant avec douceur sur les plis de mon prépuce. J’accueille ces sensations avec un curieux mélange de plaisir et de dégoût, de fascination et de honte, de reconnaissance et de culpabilité…
Elle me rince en suivant le même chemin, les yeux fixés sur l’objet de son attention. À quoi peut-elle bien songer à cet instant ? J’ai peur de croiser son regard, et le désire tout à la fois. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Alors qu’elle me sèche le pénis en le tamponnant avec la serviette, je traverse toutes les couches de ma construction sexuelle… Je suis l’enfant que sa mère lave avec tendresse et qui s’abandonne à ses mains, je suis l’adolescent dont le corps se transforme, troublé et captivé à la fois par les sensations intenses que diffusent ses organes et qui souhaiterait que ces caresses se prolongent sans en comprendre les implications, je suis l’homme adulte conscient, mari fidèle et aimant, soumettant son corps aux nécessités médicales de l’hygiène et qui contrôle tant bien que mal les dérapages de ses arrière-pensées…
Sylvie poursuit son ouvrage avec la même application, en savonnant les replis intimes de mes fesses et mon anus. Puis elle me rince à l’eau tiède et me sèche par tamponnements avant de replacer la petite couverture de drap sur mes cuisses et mon ventre. J’éprouve un soulagement à mesure que la tension latente se relâche autour de ma région génitale.
– Voilà, conclut-elle en tournant son sourire bienveillant et ses cheveux rouges vers moi. Ça va toujours ?
– Oui, merci Sylvie, réponds-je cette fois sans hésitation.
Combien de fois s’est-elle livrée à ce rituel de la toilette durant ces cinq semaines ?
– Puisqu’on est sur le bas, je vais nettoyer vos jambes et vos pieds. Ensuite je m’occuperai de votre visage et l’on terminera par le haut de votre corps.
– J’ai droit au traitement royal, décidément…
– C’est très important, surtout ici. On les chouchoute nos patients en réa, vous savez, peut-être même plus que dans les autres services. Il faut les stimuler aussi, leur parler…
Qu’a-t-elle bien pu me raconter pendant que je dormais ?
Je ne suis qu’un patient du bloc parmi les autres, mais je me prends bêtement à me demander si elle m’a trouvé beau, si je suis son type d’homme… Mais non, idiot, c’est pas toi qu’elle regarde, Stan, c’est Rémi ! Cette pensée me plonge à nouveau dans le désespoir.
Et mon corps à moi, que devient-il ?
Tandis que Sylvie reprend le savonnage à partir de mes cuisses, je découvre mes jambes… Les jambes de Rémi… Je suis choqué de voir à quel point elles sont maigres, flasques, atrophiées… Ces jambes hier encore si musclées, affûtées pour la course, le vélo, la natation, l’escalade, ces jambes que j’ai enviées parfois lorsque je me suis mis à courir et que j’ai mesuré toute la force et l’endurance de mon ami. Et ce genou qui me lance et dont j’observe les cicatrices en grimaçant lorsque Sylvie s’en approche avec le gant…
Encore le genou ? T’as pas de pot, Rémi. Je me sens triste pour lui. Je me souviens de l’opération qu’il avait dû subir après s’être déchiré les ligaments en jouant au foot. C’était le genou gauche ou le droit ? Je me souviens d’être allé lui rendre visite à la clinique. Il y a quoi ? Dix ans ? Je ne sais plus… Je le revois en train de grimacer alors que son genou était placé sur une machine qui forçait la flexion. Est-ce que c’est ça qui l’attend à nouveau ? Ou ce qui m’attend, moi ? Je ne veux pas l’imaginer.
Sylvie s’affaire maintenant sur mes pieds, toujours avec la même application. J’ai même droit à l’huile de massage sur mes talons. C’est agréable… Je pense à Nelly qui détesterait cela tellement elle est sensible des pieds. Je la vois se débattre, je l’entends rigoler tandis que j’essaye en vain de lui masser sensuellement les orteils et la voûte plantaire…
– C’est la première fois que je vous vois sourire comme ça, monsieur Blanchard. Vous avez l’air heureux. À quoi vous pensez ?
La vision de Nelly s’efface. Sylvie et les pieds de Rémi la remplacent.
– À ma femme qui n’aime pas trop les massages de pieds, réussis-je à répondre avec les yeux qui s’embuent.
Au moins je n’ai pas à mentir, cette fois.
– Ne vous inquiétez pas, vous la retrouverez bientôt, essaie-t-elle de me rassurer… Bon, on va passer au visage, maintenant.
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