La queue entre les mains
Les yeux grands ouverts, je regarde le temps qui passe sur le mur bleu pâle en face de moi, une matière que je n’appréhende plus – ou pas encore. Cinq semaines qui s’écoulent en un instant, des minutes qui s’allongent comme des heures, trente-huit années figées sur l’horloge de mes souvenirs…
Et combien de temps avant de retrouver ton corps et ta vie, Stan ?
Les machines respirent, les tuyaux ondulent, les écrans oscillent, les alarmes stridulent, le cœur bat, les pensées se débattent dans l’écho du silence.
Pendant ce temps, mon corps… Le corps de Rémi… Ce corps se réveille à la vie, crie famine, a soif, d’eau, d’énergie, de sang neuf. Je n’ai d’autre choix que de m’accrocher à lui, seul véhicule de mes souvenirs et de mes espoirs.
À évoquer la soif, je prends conscience d’une tension dans mon bas-ventre. Il fallait bien que ça arrive, j’ai envie de pisser… Tu vois Rémi, tu vas pouvoir marquer ton territoire ! Repousser des pensées et des images, on peut y arriver, mais contre les impératifs de la biologie, on ne peut pas lutter. Ou alors pas longtemps et il n’est pas question de risquer d’autres complications. Allez, arrête de faire ta chochotte, Stan, c’est pas comme si tu n’avais jamais pissé. Non, évidemment… Je tends le bras pour saisir l’urinal et je le glisse sous le drap… Mais c’est la première fois que je vais pisser en serrant la teub de Rémi. Au moins je sais qu’elle est propre après la toilette de Sylvie…
Je respire un coup et je chope la queue pour la glisser dans le tube en plastique. Est-ce qu’elle est plus grosse ou plus longue que la mienne ? Comme si c’était le moment, Stan. Je ne peux m’empêcher d’évoquer ma queue, la mienne, celle de Stanislas Rousseau, comme pour en faire le portrait-robot.
Flash…. La vie de ma bite défile sous mes yeux en quelques secondes… Depuis mes premiers souvenirs d’enfance, quand ma mère et mes grands-mères me la lavaient, à la maternelle quand je la montrais à ma copine Nathalie qui me montrait son « truc » en retour, lors de ces rendez-vous chez le médecin quand ça me faisait mal de me décalotter, dans la baignoire quand je me tripatouillais à la façon esquimau sans comprendre ce qui m’arrivait après quelques minutes, ces matins où je me réveillais avec la gaule, ces nuits où je mouillais les draps dans mes premiers rêves érotiques, toutes les fois où je l’avais mesurée avec une règle pour savoir combien elle faisait en essayant de tricher pour l’allonger, les fois où je l’avais matée dans le miroir au repos, en essayant de la faire bander rien qu’en y pensant… Ma bite… Trente-huit ans sans choper une seule saloperie… Le nombre de fois où je l’avais paluchée, regardée jouir, à peine quelques gouttes transparentes puis translucides, puis laiteuses et même que j’en étais fier. Combien de fois l’avais-je imaginée en train de glisser dans une chatoune avant que ça se passe pour de vrai ? Les branlettes entre le matelas et le sommier, les tentatives douloureuses mais réussies d’auto fellation, les expériences entre jeunes ados, pour voir ce que ça faisait quand quelqu’un d’autre la touchait, les doutes sur ses capacités, la première fois qu’une fille me l’avait caressée, la première fois qu’il fallait vraiment passer à l’acte et où elle m’avait trahi lamentablement, les fois suivantes où elle s’était rattrapée, dans les mains, dans les bouches, les vagins, les anus, entre les seins, avec ou sans capote, pleine de poils ou rasée, dans le lit, sous la douche, dans la baignoire, dans les chiottes, sur le canapé, dans la voiture, dans un train, dans la mer, dans la forêt, tous les orgasmes qu’elle avait provoqués chez moi et mes partenaires et ceux qu’elle avait foirés en jouissant trop rapidement, les matins au réveil où il fallait absolument s’y mettre pour le jour J même avec une demi-molle, les branlettes dans un tube à l’hôpital pour la FIV, les essais décevants de faux vagins en silicone, toutes les fois où j’ai dû l’essuyer après l’amour, après l’éjac, avec des mouchoirs qui collent au gland, avec des fringues ou des tas de tissus différents, la première fois qu’elle s’est faite prendre en photo pour déconner, qu’elle est apparue sur une vidéo coquine avec Nelly et que ça m’avait gêné avant de nous faire marrer… Nelly.
Flash.
Ouais bah pour l’instant, c’est la seule bite que tu aies, Stan, estime-toi heureux, ça pourrait être pire…
Vraiment ? Pire comment ? Comme de me réveiller dans le corps de Clara, avec un minou entre les jambes ?… Et encore, je ne sais pas si ça serait pire. Au moins ça serait excitant de se titiller la foufoune. Ta gueule.
En attendant je maintiens ma verge, la verge de Rémi, dans l’urinal… Le membre est chaud et flasque sous mes doigts. Je sens la pression légère de mon pouce et de mon majeur sur la peau ultra-sensible de ce sexe. Le retour de sensations distille une forme de réconfort dans mon écœurement. Je repense aux caresses savonneuses de Sylvie, ce matin… Je tente de me rassurer. Si j’arrive à ressentir du plaisir, ça en fait quand même un peu ma bite, non ?
Et quand elle déchargera, qui est-ce qui jouira, Stan ?
Sans répondre à la question, je pousse pour pouvoir enfin me soulager. Je sens mon urètre se gonfler alors que le liquide chaud se répand dans l’urinal.
C’est ta Rémiction, Stan.
Un spasme de rire nerveux s’échappe de ma gorge malgré moi, me faisant pisser par saccades. Je ne suis pas loin d’en mettre partout… Rire… Même si j’ai plutôt envie de chialer, ça fait du bien… Je me dis que tout n’est pas perdu si je suis encore capable de sortir ce genre de conneries « à la Stan ».
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