– Allez, c’est parti ! m’annonce Kiko tandis que l’espace autour de moi se met en mouvement et que le visage de Brice disparait de mon champ de vision. Je vous emmène au bout du couloir pour prendre l’ascenseur…

Un autre voyage commence. Je quitte enfin ce lieu étrange, à la lisière de la mort, berceau de mon cauchemar, miracle de ta vie, Rémi, ce lieu qui m’était presque devenu familier… Les plafonniers du couloir défilent au-dessus de la tête du brancardier. Nous croisons des visages à l’envers.

– Salut Kiko !

– Salut Jérôme !

– Salut Mimi !

– Salut Kiko, tu vas où ?

– En ortho et toi ?

– Je fais ma tournée… On se retrouve en pause clope ?

– Ça roule, à toute à l’heure… Elle, c’est Myriam, mais tout le monde l’appelle Mimi. Celle-là aussi, je la kiffe, ajoute-t-il en mordant sa lèvre inférieure… Voilà, on arrive à l’ascenseur.

Ding Ding. J’entends les portes s’ouvrir. On entre dans la cabine.

– Go pour le troisième…

Alors que l’ascenseur s’élève lentement, j’ai le sentiment d’embarquer pour une autre planète… C’est bon, c’est pas comme si t’avais jamais été à l’hosto, Stan. Non, mais c’est comme si j’y allais dans un déguisement de Rémi à deux balles et que d’un instant à l’autre quelqu’un allait s’en apercevoir et se mettre à gueuler « Hé, c’est l’dingo qui fait semblant d’être son pote, pas la peine de te cacher, on t’a vu ! ».

On s’arrête. Ça y est ?

– Forcément, on stoppe au rez-de-chaussée, maugrée Kiko.

Plusieurs personnes rentrent dans la cabine. Brèves salutations. « Quel étage ? Et vous ? Ah merci »… Au moins l’usage des ascenseurs n’a pas l’air d’avoir changé en cinq semaines.

– Maman, il a quoi le monsieur ?

– Chut, Lucas ! On ne demande pas des choses comme ça, c’est malpoli.

Allongé comme je suis, je ne vois pas le petit Lucas, s’il parlait bien de moi.

– Hé, t’inquiète pas petit, il est pas mort, commence Kiko en m’adressant un clin d’œil. Il s’est réveillé après avoir dormi pendant cinq semaines, t’imagines ?

Alors lui, il est lourd.

– Ah… Excusez-le, répond la mère gênée.

Je me demande si elle s’adresse à moi pour son fils ou pour le brancardier… L’ascenseur s’arrête. La mère et le gamin descendent. On repart.

– Troisième !

Cette fois c’est la bonne. Nouveau couloir.

– Salut ma belle Selma !

– Salut Kiko… Tu viens pour nous ?

– Ouais, c’est monsieur Blanchard, le patient de la réa.

– Ah très bien… Bonjour, monsieur Blanchard ! Kiko va vous amener dans votre chambre et on va venir s’occuper de vous tout de suite, m’explique-t-elle en prenant mon dossier sur le lit… C’est pour la 317. Je vais prévenir Carole, tu l’emmènes ?

– Mais bien sûr, Selma…

Même s’il est lourd, il faut reconnaître que Kiko a raison pour les yeux de Selma. C’est toujours ça… Espérons que ça ne soit pas la seule de ses qualités. Est-ce que c’est le genre de fille qui plairait à Rémi ? Qu’est-ce que ça change, Stan ? Je sais pas. Je dois bien faire semblant d’être Rémi, non ?

– Et voilà, monsieur Blanchard ! On y est, chambre 317 en orthopédie. Salon, salle à manger, salle de bain en suite, vue sur la mer ou presque, Elle est pas belle, la vie ?

En voyant la fenêtre, j’oublie d’en vouloir au brancardier. La lumière du jour est en train de décliner, mais je suis aspiré par la vue du monde extérieur. Ce monde qui existe bel et bien.

Le monde de Rémi ?

Le monde de Stanislas ?

– Alors ?

Kiko me tire de ma rêverie. Qu’est-ce qu’il me veut encore ? Je sais qu’il essaye d’être sympa, mais…

– Les yeux de Selma ! Qu’est-ce que je vous avais dit ?

Je réponds par un mouvement de tête et un roulement d’yeux qui se veulent complices, tandis que Kiko positionne le brancard le long du lit.