La chambre devient tout à coup immense lorsqu’ils quittent la pièce. J’ai l’impression que les battements de mon cœur se répercutent contre les murs. Clarisse attend au pied du lit que la porte se referme et revient vers moi. Ce n’est plus la maman de Jules et Zoé, ni la belle-fille de Viviane et Raymond qui me regarde. C’est une femme secouée qui retrouve enfin son mari après un long coma. La femme de Rémi. Elle ne dit rien, me dévisage avec un sourire timide. Je sens qu’elle a besoin de se laisser aller, mais qu’elle se retient encore. Et moi, je suis son mari qui l’aime, c’est ça ? Rémi, bordel, aide-moi… Elle s’assied près de moi sur le bord du lit. L’émotion remplit son visage. C’est Nelly, c’est Nelly ?

– Oh Rémi, tu m’as manqué…

Elle craque et ses lèvres s’emparent de ma bouche. Et ses bras s’enroulent autour de mon cou. Et ses mains me caressent le visage. Et son souffle frémit sur ma peau. Et son parfum pénètre mes narines. Et son front se presse contre mon front. Et ses larmes débordent sur mes joues.

– Tu sais pas comme tu m’as manqué…

Et je plonge dans un nouveau baiser. Et je goûte cette langue salée, pour la première fois. Et je la serre dans mes bras… Parce que je suis seul, parce que j’ai besoin de ce contact, parce que je suis lâche, parce que j’ai peur, parce que Rémi n’est pas là.

Les mots sortent de ma bouche et je lui tends un sourire :

– Je suis là, ma chérie, je suis là.

Elle respire. Son maquillage discret s’est mélangé à ses larmes. Elle retrouve un peu de calme. Puis me regarde droit dans les yeux, avec une tristesse au bord des cils.

– Écoute, Rémi… Je voulais te dire… Je suis désolée pour… enfin, pour avant l’accident, je ne sais pas, je…

Quoi avant l’accident ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– …Tu m’as trop manqué, je suis vraiment désolée… Je t’aime, Rémi, lâche-t-elle en blottissant sa tête dans mon cou.

Cette fois je sens le regret dans ses sanglots. Un regret longuement retenu. Une culpabilité où je mêle mes propres douleurs en embrassant ses cheveux bruns et en caressant son visage… Parce que c’est ce que Rémi ferait après ça, Stan ?

Merde, Rémi, il s’est passé quoi ? Tu m’as rien dit ? Une engueulade ? Un autre mec ? Une envie de divorce ? Et toi ? Et moi, qu’est-ce que je fais, putain ? C’est trop énorme pour avoir oublié…

– C’est vrai ? finis-je par demander, incertain.

Clarisse s’écarte et me fixe à nouveau de ses yeux marron clair.

– Oui, on va se retrouver, tu vas voir… On va y arriver, insiste-t-elle en me donnant un autre baiser humide.

Se retrouver. Retrouver qui, Stan ? Je suis étourdi, je suis perdu dans des émotions contradictoires. Je ne sais plus qui je suis ou je n’ai plus envie de le savoir, je ne sais plus que penser. Je vais me réveiller et oublier tout ça. Parce que ça n’a aucun sens, parce que…

Clarisse se relève et retrouve sa contenance. Elle me sourit. Nous essuyons nos yeux.

– Ça va, comme ça ? me demande-t-elle, en avançant le visage.

– Ils sont encore un tout petit peu rouge, mais ça va aller.

– Bon… Je vais rappeler les enfants…

Elle s’assoit de nouveau sur le bord du lit comme pour prolonger encore un peu notre intimité.

– Tu sais, c’était dur avec eux, sans toi… Tu leur as trop manqué aussi. Et tu m’as vraiment manqué, Rémi.

– Oui, j’imagine…

Mais en fait t’en a aucune idée, Stan.

– ...Mais dans quelques jours je serai de retour à la maison, non ?

Ah ouais, et on verra ce que tu feras, « à la maison », chez Rémi.

– Oui, j’ai hâte que tu sois là… Comme avant…

Comme avant quoi, bon sang ?

– Faut que j’aille les chercher, maintenant, reprend-elle en se dirigeant vers la porte.

Je m’apprête de nouveau à jouer le rôle de père.